Sans une juste compréhension de l'union avec Christ, notre compréhension de la justification sera incomplète : c'est seulement en union avec Christ que nous pouvons recevoir le pardon véritable.
Dans l'un des articles les plus importants de cette série, nous avons vu que l'union avec Christ est la source de notre salut. Être sauvé, c'est être uni à Christ, de qui nous recevons tous les bienfaits du salut : justification, sanctification, adoption, glorification, etc. Le salut n'est pas le don de choses, mais le don d'une personne. Comme l'écrivait Calvin, Christ ne nous sert à rien… tant que nous ne sommes pas faits un avec lui.
Le but de cet article est d'expliquer comment l'union avec Christ nous donne le pardon véritable. Nous allons explorer le lien qui existe entre l'union avec Christ et la justification, montrant comment la justification est basée sur l'union avec Christ. Une juste compréhension de l'union avec Christ est nécessaire pour avoir une juste compréhension de la justification.
La grande question à laquelle l'humanité doit répondre est la suivante : comment l'être humain pécheur peut-il être juste devant Dieu ? Il ne l'est pas en lui-même, c'est une certitude : nous qui sommes croyants en sommes bien conscients. Dieu ne peut pas baisser ses exigences, en acceptant des "moins que justes". Et l'être humain ne peut, par lui-même, atteindre la justice parfaite que Dieu requiert.
Quelle est donc la solution ? La Bible met en avant une merveilleuse nouvelle :
Quant à celui qui ne fait pas d'œuvre, mais croit en celui qui justifie l'impie, sa foi lui est comptée comme justice.
Romains 4.5
Il n'est pas question de faire des œuvres pour obtenir la justice dont nous avons besoin : Dieu nous donne cette justice par le moyen de la foi. Dieu est celui qui "justifie l'impie", c'est-à-dire qui déclare juste ceux qui ne le sont pas.
Cependant, cela soulève des questions : comment Dieu peut-il déclarer innocents des gens qui ne le sont pas vraiment (et même pas du tout !) ? Nous ne sommes pas réellement justes. Sur quelle base Dieu peut-il alors nous déclarer justes ?
Oui, comme la lettre aux Romains le montre, la justification repose sur l'œuvre de Christ à la croix : il a été condamné à notre place (Rm 3.21-26). Nous sommes “justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus” (Rm 3.24). Dieu ne met pas la poussière sous le tapis : il prend le péché au sérieux. Jésus est condamné pour que nous puissions être pardonnés. La croix est au cœur d'une juste compréhension de la justification.
Cependant, cela ne répond pas à toutes nos questions. Comment Jésus peut-il être condamné pour nos péchés, alors qu'il est innocent ? Et même si Jésus paye à notre place, cela ne règle pas tout : comment Dieu peut-il nous déclarer justes devant lui, alors que nous ne le sommes toujours pas ?
Le livre des Proverbes met en avant cette tension :
Celui qui justifie le méchant et celui qui condamne le juste sont tous deux en horreur à l'Éternel.
Proverbes 17.15
Le méchant doit être puni, pas justifié. Le juste doit être justifié, pas condamné. C'est une question de justice ! Est-ce cela que Dieu fait dans la justification ? Comme certains l'ont affirmé, notre justification est-elle une simple "fiction légale" ? Dieu déclare-t-il quelque chose qui serait, en fait, très loin de la réalité, tout en fermant les yeux sur la réalité ? C'est cette tension que vient résoudre l'union avec Christ.
Il est clair que la justification est une déclaration juridique de la part de Dieu (ou, comme on le dit en langage plus technique, une déclaration forensique). C'est une déclaration de la part de Dieu concernant le statut du pécheur, qui est fixe et qui ne change pas : notre justification n'est pas progressive. C'est un événement une fois pour toutes, pleinement suffisant.
Cependant, la Bible montre que notre justification a lieu alors que nous sommes unis à Christ. Nous voyons cela à plusieurs endroits de l'Écriture.
Dans Philippiens 3, Paul explique que sa propre justice, bien qu'impressionnante, n'est pas suffisante (v. 4-7). Il a mis ce "CV religieux" à la poubelle, afin de "gagner Christ" (v. 8). C'est en gagnant Christ qu'il a obtenu la justice dont il a besoin :
Et même je considère tout comme une perte à cause de l'excellence de la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j'ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin de gagner Christ, et d'être trouvé en lui, non avec une justice qui serait la mienne et qui viendrait de la loi, mais avec la justice qui est (obtenue) par la foi en Christ, une justice provenant de Dieu et fondée sur la foi.
Philippiens 3.8-9
Cette autre justice dont Paul a besoin vient de Dieu et s'obtient par la foi. Paul précise qu'il a obtenu cette justice alors qu'il a gagné Christ, et qu'il a été trouvé "en lui". C'est alors que Paul est uni à Christ qu'il obtient la justice dont il a besoin, une justice parfaite.
Dans 2 Corinthiens 5.21, nous lisons :
Celui qui n'a pas connu le péché, il l'a fait (devenir) péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu.
Ce verset décrit le "joyeux échange" dont parlait Martin Luther : nos péchés ont été mis sur le compte de Christ. Même s'il n'a jamais péché, il a été traité comme un pécheur, payant à notre place. De l'autre côté, nous devenons justice de Dieu : la justice de Christ est mise à notre compte. Cependant, là encore, il faut observer la présence de l'union avec Christ : c'est "en lui" que nous devenons justice de Dieu, c'est-à-dire en étant unis à Christ.
La même réalité est présente dans Romains 5.12-21. Alors que Paul met en avant les parallèles et contrastes entre Adam et Christ, il montre que les actes des deux ont des répercussions sur l'ensemble de l'humanité. L'humanité est incluse en Adam ou en Christ : ils sont nos représentants. Leurs actes entraînent tous ceux qui vivent dans un lien de solidarité avec eux. Ainsi, nous sommes soit unis à Adam, soit unis à Christ, et ces deux unions ont des conséquences :
Ainsi donc, comme par une seule faute la condamnation s'étend à tous les hommes, de même par un seul acte de justice, la justification qui donne la vie s'étend à tous les hommes. En effet, comme par la désobéissance d'un seul homme, beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul, beaucoup seront rendus justes.
Romains 5.18-19
Être en Christ, l'avoir comme notre chef ou notre représentant, c'est être au bénéfice de sa justice. C'est seulement alors que nous sommes unis à Christ par un lien de solidarité que nous recevons ses bienfaits, y compris les conséquences de son œuvre qui nous justifient.
Pour une juste compréhension de la justification, il y a donc deux éléments qu'il faut maintenir fermement (parmi d'autres) :
Le maintien de ces deux affirmations nécessite une juste compréhension de l'imputation. L'imputation est l'acte par lequel nos péchés sont mis sur le compte de Christ, et par lequel la justice de Christ est mise à notre compte. C'est ainsi que Jésus peut réellement être condamné, bien qu'il soit innocent. Et c'est ainsi que Dieu peut nous déclarer réellement justes, bien que nous ne le soyons pas en nous-mêmes, car il a sous les yeux la justice de Christ.
Ce que les passages bibliques cités précédemment nous amènent à affirmer, c'est que l'imputation a lieu grâce à notre union avec Christ. Pourquoi est-ce que Christ peut payer pour mes péchés ? Pourquoi puis-je être revêtu de sa justice ? Parce que nous sommes faits un avec lui. Alors que nous sommes unis à Christ, ce qu'il a devient nôtre, et ce que nous avons devient sien. C'est ainsi que nous pouvons réellement posséder une justice qui n'est pas la nôtre, et être pleinement acceptés par Dieu.
Pour expliquer ce principe, James Packer écrit :
Dieu déclare [les croyants] justes, parce qu'il les reconnaît comme tels ; et il leur reconnaît la justice, non pas parce qu'il considère qu'ils ont personnellement respecté la loi (ce qui serait un jugement erroné), mais parce qu'il les considère comme unis à celui qui l'a respectée de manière représentative (et c'est là un jugement vrai). Pour Paul, l'union avec le Christ n'est pas une fantaisie, mais une réalité - la réalité fondamentale, en fait, du christianisme1.
Le mariage est parfois utilisé pour illustrer cette réalité. Dans le mariage, les mariés mettent tout en commun. Ce qui était à l'un appartient désormais à l'autre, et vice-versa. L'union implique une possession de ce qui n'était auparavant pas à moi. Joël Favre explique bien cette réalité dans son article. Il cite Martin Luther, qui nous aide à comprendre comment notre justification a lieu :
S'ils ne sont qu'une seule chair et qu'il existe entre eux un véritable mariage [...] il s'ensuit que tout ce qu'ils possèdent, ils le possèdent en commun, le bien comme le mal. En conséquence, l'âme croyante peut se vanter et se glorifier de tout ce que le Christ possède comme si c'était le sien, et tout ce que l'âme possède, le Christ le revendique comme sien. Comparons ces deux choses et nous verrons des avantages inestimables. Le Christ est plein de grâce, de vie et de salut. Mon âme est pleine de péchés, de mort et de condamnation. Mais que la foi s’interpose entre eux, et mes péchés, ma mort et ma condamnation seront au Christ, tandis que sa grâce, sa vie et son salut seront pour mon âme ; car si le Christ est un époux, il doit prendre sur lui ce qui est à son épouse et lui donner ce qui est à lui2.
La punition de nos péchés est portée par Christ à la croix, car nous sommes unis à lui. La vie parfaite de Jésus est comptée comme étant la nôtre, car Dieu nous voit comme un avec Christ, comme si nous avions vécu sa vie.
Nous voyons donc que sans prendre en compte l'union avec Christ, notre doctrine de la justification est bancale et peut facilement être dénoncée comme étant une "fiction légale". Don Carson met en garde contre le danger de considérer la justification sans l'union avec Christ :
Si nous parlons de justification ou d'imputation… sans comprendre cette incorporation à Christ, nous courrons constamment le risque d'envisager une sorte de transfert sans être inclus en Christ, sans être unis à Christ.
On donne souvent une illustration pour expliquer le transfert qui a lieu lors de la justification : mon t-shirt sale, qui représente mon péché, m'est enlevé et a été porté par Jésus. Le t-shirt tout blanc de Jésus, qui représente sa perfection, m'est donné à la place. J'ai souvent utilisé cette illustration (sous d'autres formes), et elle n'est pas mauvaise. Mais il peut être utile d'ajouter un autre élément : si le t-shirt de Jésus devient le mien, et que le mien devient sien, c'est parce que nous sommes unis l'un à l'autre. Ce n'est pas un simple transfert externe, mais une union personnelle avec Christ.
Déjà au 16ᵉ siècle, Calvin avait cette compréhension que notre justification était fondée sur notre union avec Christ. Voilà ce qu'il écrit :
Je confesse que nous sommes privés de ce bien incomparable de la justice jusqu'à ce que Jésus-Christ soit fait nôtre. Je considère donc d'une importance capitale l'union que nous avons avec notre chef, sa présence dans nos cœurs par la foi, l'union sacrée dont nous jouissons avec lui, afin qu'étant nôtre, il nous accorde les biens qu'il possède en abondance de façon parfaite. Je ne pense donc pas que nous devons contempler Jésus-Christ de loin comme s'il était hors de nous afin que sa justice nous soit conférée ; nous sommes, en effet, revêtus de lui et greffés sur son corps, parce qu'il a daigné nous faire un avec lui.
C'est cela qui assure la stabilité de notre justification : quand Dieu me regarde, il voit la justice de Christ, et il n'a donc aucune raison de me condamner. Cette justice est fixe, elle ne va pas changer. Le verdict de Dieu non plus. Quelle merveilleuse nouvelle !