L’image choque, et pourtant elle vient de la Bible elle-même. Les premiers Pères de l’Église, puis les Réformateurs, voyaient dans le mariage du Christ et de son Église la métaphore ultime de la grâce.
Luther parlait d’un Prince qui épouse une prostituée – et par l’image de cette union, il expliquait tout l’Évangile: notre honte échangée contre sa gloire, nos dettes contre sa richesse, notre péché contre sa justice.
Pendant mes études, j’ai suivi des cours d’histoire de l’Église. Et une chose m’a tellement surpris à l’époque qu’elle m’est restée en mémoire jusqu’à aujourd’hui.
En parcourant les écrits des Pères de l’Église, au IIᵉ et au IIIᵉ siècle, puis de leurs successeurs pendant tout le premier millénaire, on remarque un fait étonnant: chaque grande figure de l’histoire de l’Église semblait avoir un faible… pour le même livre biblique!
Imaginez: nous sommes au IVᵉ siècle. Vous flânez dans les rues de Constantinople, un beau dimanche de printemps. Vous entrez dans une église, vous vous asseyez sur un banc. Et voilà que le pasteur monte en chaire et ouvre sa Bible…
Savez-vous quel livre biblique a une chance sur deux d’être lu? Le Cantique des cantiques!
Oui, ce poème d’amour décrivant la romance entre un jeune prince et sa fiancée était le livre incontournable pendant près de mille ans d’histoire chrétienne. Bernard de Clairvaux, par exemple, a prêché 86 homélies sur le Cantique des cantiques. Un historien de l’Église écrit ainsi:
À l’époque, le Cantique des cantiques était un texte de prédilection très populaire auprès des prédicateurs1.
Mais pourquoi un tel engouement?
Parce que ces hommes avaient saisi une vérité essentielle – peu à peu oubliée dans les siècles suivants, jusqu’à ce qu’elle soit redécouverte lors de la Réforme: la grande histoire de la Bible est une histoire d’amour. Une romance qui culmine dans un mariage.
C’est l’histoire du mariage entre Jésus, le Prince du ciel, et son épouse, l’Église.
C’est pourquoi ils prêchaient sur le Cantique des cantiques: pour parler de l’union des croyants avec le Christ.
Le Réformateur allemand Martin Luther avait une affection particulière pour ce livre.
Lorsqu’il voulait expliquer l’Évangile, Luther ne se tournait pas d’abord vers l’Évangile selon Jean ou l’épître aux Romains, mais vers le Cantique des cantiques. Car, pour lui, la meilleure façon de comprendre notre union avec Christ est celle qu’utilise la Bible elle-même: le mariage.
Luther raconte l’histoire d’un Prince – riche et bon au-delà de toute mesure – qui représente Jésus, le Prince du ciel. En face de lui se trouve une pauvre fille des rues, une prostituée, qui représente son peuple, l’Église. Elle n’a rien d’une princesse: sale, vêtue de haillons, accablée de honte.
Mais le Prince, depuis la fenêtre de son palais, la voit. Il descend dans la rue, la prend par la main… et décide de l’épouser.
Le jour des noces venu, la jeune femme lui dit: “Tout ce que je suis, je te le donne. Tout ce que j’ai, je le partage avec toi.” Et que partage-t-elle? Ses dettes, sa honte, sa souillure.
Mais le Prince, si riche et si bon, paie toutes ses dettes. Il couvre sa honte d’un manteau de pureté. Puis il se tourne vers elle et dit à son tour: “Tout ce que je suis, je te le donne. Et tout ce que j’ai, je le partage avec toi.”
Et, à cet instant, la prostituée devient princesse. Le royaume lui appartient. Tout ce qui est au Prince devient à elle – par son union avec lui.
Voilà ce qui se produit lorsque nous mettons notre foi en Jésus. Nous n’apportons que nos dettes, nos péchés. Jésus les prend sur lui, les paie sur la croix. Puis, ressuscité, il s’avance vers nous et dit: “Tout ce que je suis, je te le donne; tout ce que j’ai, je le partage avec toi: mon nom royal, ma famille, mon héritage.” Et nous devenons enfants de Dieu, membres de la famille royale.
Luther l’exprime ainsi:
Le Christ est plein de grâce, de vie et de salut. Mon âme est pleine de péchés, de mort et de condamnation. Mais que la foi s’interpose entre eux, et mes péchés, ma mort et ma condamnation seront au Christ, tandis que sa grâce, sa vie et son salut seront pour mon âme; car si le Christ est un époux, il doit prendre sur lui ce qui est à son épouse et lui donner ce qui est à lui2.
Certains pourraient objecter: “Si nous sommes parfaitement pardonnés et déjà purs aux yeux de Dieu en Christ, pourquoi ne pas continuer à pécher?”
C’était d’ailleurs l’une des critiques adressées à la Réforme: “Si vous êtes certains d’être déclarés parfaits devant Dieu, qu’est-ce qui vous poussera encore à vivre dans la sainteté?”
Mais cette question passe à côté de l’essentiel. La grâce, la vie et le salut nous sont donnés en Christ — unis au Seigneur Jésus-Christ tout entier. On ne peut pas recevoir le Christ comme Sauveur sans le recevoir aussi comme Seigneur. On ne peut être uni au Christ qui justifie sans être en même temps uni au Christ qui sanctifie.
Être uni à lui, c’est être transformé. Comme le dit Paul dans 2 Corinthiens 5.17:
Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création.
Reprenons l’image du Prince et de la prostituée. Devenue princesse, elle ne vit pas aussitôt comme telle. Elle garde encore les réflexes de la rue; il lui faudra du temps pour apprendre les manières de la cour. Mais, à mesure qu’elle découvre qui elle est désormais, sa vie change. Son comportement devient peu à peu conforme à son nouveau statut.
Et si, des années plus tard, rien n’avait changé – si elle continuait à mendier dans la rue –, on se poserait la question: a-t-elle vraiment compris ce qui lui est arrivé? Et on aurait envie de lui crier: “Tu es une princesse maintenant! Tu es la bien-aimée du Prince. Pourquoi continuer de vivre comme si tu ne l’étais pas?”
Autrement dit, il arrive que cette prostituée retombe dans ses anciens travers: elle a tout un passé à désapprendre. Mais ses faux pas changent-ils son statut? Pas le moins du monde. Elle reste princesse, non à cause de sa conduite, mais en vertu de son union avec le Prince. Elle ne peut pas être "moins princesse"… et elle ne le deviendra jamais "davantage" qu’elle ne l’est déjà.
Il en va de même pour le croyant. Il demeure pécheur en lui-même, mais il possède désormais le statut parfait de son Époux céleste. En découvrant la sécurité de cette position en Christ, il grandit peu à peu dans la sainteté. Et lorsqu’il retombe dans le péché, et bien qu’il en soit affligé, il sait qu’il n’est pas moins aimé ni moins accepté par Dieu. À l’inverse, il comprend qu’il ne sera jamais plus juste, plus aimé ou plus accepté qu’il ne l’est déjà depuis le jour où il a été uni à Christ par la foi.
En fin de compte, nos sentiments, nos réussites ou nos échecs ne définissent pas notre relation à Dieu.
Luther l’exprimait magnifiquement:
Qui donc peut pleinement saisir ce que signifie cette union royale? Qui peut comprendre les richesses de la gloire de cette grâce? Voici que ce riche et divin époux, le Christ, épouse cette pauvre prostituée impie, la rachète de tout son mal et la pare de toute sa bonté.
Ses péchés ne peuvent plus la détruire, puisqu’ils sont déposés sur le Christ et engloutis par lui. Et elle a cette justice en Christ, son époux, dont elle peut se vanter d’être la sienne et qu’elle peut exhiber avec confiance face à la mort et à l’enfer, en disant:
“Si j’ai péché, mon Christ, en qui je crois, n’a pas péché; et tout ce qui est à moi est à lui, et tout ce qui est à lui est à moi.” Comme l’épouse dans le Cantique des cantiques [Ct 2.16] le déclare: “Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui”3.
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F. Bican