Dieu ne peut pas être vu

Doctrine de DieuUnion hypostatique

Dans sa nouvelle, La Lettre volée, l’écrivain Edgar Allan Poe raconte comment un ministre corrompu dérobe une lettre à la reine pour lui faire du chantage. La police fait tout pour retrouver la lettre, allant jusqu’à fouiller sous le papier peint et les tapis de la maison du ministre. En vain. Les policiers ont beau chercher, ils ne trouvent rien. Finalement, c’est un détective amateur, Auguste Dupin, qui parvient à éviter le pire en retrouvant la lettre, rangée dans un simple porte-lettres. Le ministre, sachant que la police le soupçonnerait de cacher la lettre, avait simplement retourné l’enveloppe, inscrit une autre adresse et l’avait laissée là, à la vue de tous.

Il existe un tas de raisons qui expliquent pourquoi certaines choses sont invisibles, ou du moins pourquoi nous ne les voyons pas. Par moments, j’ai l’impression que mes clés de voiture possèdent un don d’invisibilité tout à fait extraordinaire. Ce pouvoir se manifeste surtout quand je suis pressé et déjà un peu en retard. Ainsi, il arrive que ce qui se passe en moi m’empêche de voir certaines choses. D’autres fois, je suis incapable de voir ce qui est trop petit ou trop loin (surtout maintenant que ma vue baisse). Il y a aussi des choses que je ne vois pas parce que c’est moi qui suis trop petit, ou parce que je me trouve trop proche d’elles. La Terre est ronde mais mon expérience ne me l’a jamais prouvé parce que je suis petit et que je me tiens près du sol. C’est une question d’échelle.

Je ne peux pas voir Dieu et vous non plus. Aucun être humain ne le peut:

Personne n’a jamais vu Dieu.

Jean 1.18

L’astronaute russe Youri Gagarine est l’un des premiers êtres humains à avoir voyagé assez loin pour constater de ses yeux que la Terre est ronde. Même lui aurait déclaré que, depuis l’espace, on ne peut pas non plus voir Dieu1. Et c’est logique: si Dieu est invisible, ce n’est pas parce qu’il serait trop loin ou trop proche; ce n’est pas une question d’échelle. Si nous n’arrivons pas à voir Dieu, c’est pour des raisons bien différentes.

Dans les Écritures, l’invisibilité de Dieu est dissimulée à la vue de tous, comme la lettre volée. Elle est évoquée clairement, mais nous passons souvent à côté. La première épître de Paul à Timothée en donne un bon exemple. La lettre est encadrée par deux expressions de louange à Dieu. Toutes deux découlent de l’émerveillement de l’auteur devant la bonté de Dieu envers son peuple manifestée par Jésus-Christ. Mais il a choisi ses mots avec grand soin.

Nous trouvons la première de ces expressions au chapitre 1. Pour montrer ce qui est vraiment important dans la vie chrétienne (et donc dans le ministère dont Timothée a été chargé à Éphèse), Paul raconte comment lui-même a été sauvé: “Moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un homme violent”, mais Dieu est intervenu: “Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver des pécheurs. Je suis moi-même le premier d’entre eux” (1Tm 1.13, 15 – S21). Le souvenir de la grâce de Dieu est si puissant que Paul interrompt son argumentation pour s’écrier:

Au Roi éternel, immortel, invisible, au seul Dieu, soient honneur et gloire pour l’éternité. Amen!

1 Timothée 1.17

Pour beaucoup d’entre nous, ces mots sont familiers, mais restent tout de même curieux. Je me rappelle avoir chanté le célèbre cantique écossais Immortal, invisible [Immortel, invisible] quand j’étais enfant et m’être demandé pourquoi on faisait toute une histoire du fait que Dieu est invisible.

La fin de l’épître présente la même structure. Cette fois-ci, Paul évoque la seconde venue du Christ:

L’apparition de notre Seigneur Jésus-Christ, que suscitera au moment fixé celui qui est...

1 Timothée 6.14-15

Paul termine sa phrase en s’exclamant:

...le Bienheureux, l’unique Souverain, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Lui seul est immortel. Sa demeure est bâtie au sein de la lumière inaccessible à tous. Nul parmi les humains ne l’a vu de ses yeux, aucun ne peut le voir. À lui soient à jamais l’honneur et la puissance! Amen.

1 Timothée 6.15-16

Lorsque nous mettons en parallèle ces deux passages, nous remarquons que ce que Paul écrit ici est bien plus délibéré qu’une prière spontanée. Il commence sa lettre en mentionnant la première venue de Christ puis en louant Dieu pour plusieurs de ses attributs. Et il la termine en parlant de la seconde venue du Christ et en louant Dieu encore une fois pour ces mêmes attributs. Coïncidence? Je ne crois pas.

Mais alors, pourquoi ces attributs et pas d’autres? Si je dressais la liste de cinq choses que je trouve merveilleuses chez Dieu, je ne sais pas si j’obtiendrais la même que Paul dans 1 Timothée 1 et 6. Roi, oui; immortel, oui; honoré et glorieux, oui! Mais invisible? On ne comprend pas tout de suite pourquoi Paul choisit cet adjectif. C’est en ce sens que je dis que l’invisibilité de Dieu est dissimulée à la vue de tous. Quand vous lisez ces versets, j’imagine que, comme moi, vous prêtez plutôt attention aux éléments qui semblent les plus éblouissants, mais que vous passez probablement au-dessus de l’invisibilité de Dieu. Finalement, c’est tout à fait approprié.

Pourtant, l’invisibilité figure bien dans la liste de Paul. Je crois qu’il est légitime de nous demander pourquoi le fait que Dieu ne peut pas être vu devrait susciter notre adoration.

1 Timothée n’est pas le seul passage biblique à mettre en avant l’invisibilité de Dieu. Colossiens 1.15 est l’un des plus grands hymnes à la gloire de Jésus-Christ. Voici comment il débute: “Ce Fils, il est l’image du Dieu que nul ne voit.” L’auteur de la lettre aux Hébreux, qui cherche à encourager ses lecteurs à s’engager en faveur de Christ en période de persécution, décrit la foi comme étant “un moyen d’être sûr des réalités qu’on ne voit pas”. Il leur rappelle que, si Moïse a trouvé le courage nécessaire pour conduire le peuple hors d’Égypte, c’est parce que, par la foi, il a vu "le Dieu invisible" (Hé 11.1, 27). Le prologue de l’Évangile selon Jean, qui est sans doute la plus grande prouesse littéraire du Nouveau Testament, finit comme suit:

Personne n’a jamais vu Dieu: Dieu, le Fils unique qui vit dans l’intimité du Père, nous l’a révélé.

Jean 1.18

Voici ce que le théologien africain Origène (184-253 environ), l’un des plus grands auteurs de l’Église primitive, écrit au sujet du prologue de Jean:

Jean [...] déclare clairement, à tous ceux qui peuvent comprendre, qu’il n’existe pas de nature à qui Dieu soit visible. Il ne faut pas comprendre qu’il serait visible de nature et échapperait à la vue de la créature trop faible, mais qu’il est naturellement impossible de le voir2.

En d’autres termes, Dieu est véritablement invisible; il ne s’est pas simplement caché ou trop éloigné pour qu’on puisse le voir. Origène ne cherche pas à rendre les choses plus compliquées qu’elles ne le sont. Ce commentaire est tiré du traité De Principiis ("Sur les premiers principes"), qui est le premier ouvrage de théologie systématique chrétienne. On dit qu’il est "systématique" parce qu’il entreprend d’expliquer la foi de manière logique dans le but de minimiser les risques d’erreurs et de confusion. Or, l’invisibilité de Dieu est une notion si fondamentale qu’elle figure au premier chapitre.

Mais, me direz-vous, pourquoi croire à l’invisibilité de Dieu est-il si important?

Réfléchissons à cette question en suivant la même approche que dans les chapitres précédents. La Bible établit une distinction fondamentale, au cœur de toute réalité: le Créateur et sa créature sont des êtres de nature différente. Le Créateur "est", tout simplement. Il n’a pas de commencement et n’est en rien limité par sa création. Ses créatures, elles, ont un commencement et sont soumises aux lois qui régissent le monde créé, telles que le temps et l’espace. Mais Dieu est totalement insensible à l’influence et à la limitation du temps et de l’espace.

Comme nous l’avons vu dans le psaume 139, il n’y a pas un endroit de l’univers où Dieu ne se trouve pas. Vous pouvez voyager où bon vous semble (dans l’espace, dans les profondeurs de la mer, à l’est, à l’ouest), vous vous rendrez compte que Dieu y était déjà avant vous. Son omniprésence est liée à son invisibilité. Dieu ne peut pas être vu parce qu’il n’a pas de corps. Comme Jésus lui-même l’a dit quand une femme lui a demandé où il fallait l’adorer, “Dieu est Esprit” (Jn 4.24).

Lorsque vous commencez à comprendre ce que cela signifie pour Dieu d’être invisible et de ne pas avoir de corps, votre relation avec lui commence elle aussi à changer. Si Dieu était un être physique, il serait forcément quelque part et, en nous déplaçant, soit nous nous rapprocherions de lui, soit nous nous en éloignerions. Mais Dieu n’est pas un être physique, c’est pourquoi il peut être parfaitement et pleinement présent partout. Au moment où vous lisez ces lignes, assis dans votre cuisine, au parc, dans le bus, à l’hôpital, où que vous soyez, Dieu est là avec vous. Dieu n’est pas divisé en petites parties de lui-même. Il est tout entier auprès de vous. Et parce qu’il est entièrement avec vous et qu’il n’est limité ni par le temps ni par l’espace, vous avez, pour ainsi dire, toute son attention. Dieu ne se laisse pas distraire et ne vous laisse pas en marge de ses pensées.

J’imagine que c’est soit la chose la plus rassurante, soit la chose la plus troublante que vous ayez jamais entendue. Chaque instant de votre vie se déroule sous l’œil attentif de Dieu. Voilà une vérité rassurante si vous traversez une épreuve ou une injustice. Dieu voit tout. Il est avec vous dans toutes ces épreuves et, un jour, il réglera tous les comptes. En revanche, si vous préférez lui interdire l’accès à certaines zones de votre vie, vous devriez y réfléchir à deux fois. Nous vivons chaque instant de chaque jour coram Deo, comme disent certains théologiens, c’est-à-dire face à face avec Dieu. Il n’y a pas une pièce de ma maison, pas un instant de ma journée, pas un quartier de ma ville et, tout compte fait, pas une seule ville ou un seul endroit, où Dieu ne soit pleinement présent.

Cela peut sembler incohérent. En fait, plus nous connaissons la Bible, plus cela devient difficile à accepter. Depuis l’époque de Moïse, la présence de Dieu accompagnait son peuple par une manifestation visible liée d’abord au tabernacle, puis au temple. Là, la présence de Dieu se manifestait de manière visible dans le lieu très saint de telle sorte que quiconque était assez imprudent pour y pénétrer tombait raide mort. Cela veut-il dire que, d’une certaine façon, Dieu était plus "présent" dans ce lieu qu’ailleurs?

Dans la Bible, la question de la présence de Dieu (et de la signification du "lieu") est complexe. Il serait dangereux de vouloir donner des réponses trop simplistes. Je ne vais donc pas tenter d’y répondre maintenant. Je dirai simplement qu’il y a deux façons d’aborder le sujet de la présence de Dieu: nous pouvons en parler soit de notre point de vue, soit du point de vue de Dieu. En fait, notre expérience humaine de la présence de Dieu varie en fonction de ce que Dieu choisit de nous en révéler. Mais si je me place du point de vue de Dieu (je vous l’accorde, c’est quelque peu audacieux de ma part), je peux dire que Dieu est toujours présent, parfaitement et partout.

Ainsi, quand vous n’arrivez pas à dormir, que vous êtes allongé les yeux grands ouverts et que la lumière d’un nouveau jour commence à poindre, rappelez-vous que Dieu est là. Il est parfaitement présent. Immortel, invisible... et présent là où vous êtes. Aussi réel que votre lampe de chevet, votre armoire ou la pile de vêtements qui traîne dans un coin de la pièce. Plus réel, en fait, parce que l’existence de Dieu est la plus vraie de toutes et parce que toute sa personne est présente partout. Ainsi, chaque fois que vous avez peur, que vous vous sentez frustré ou seul, prenez une grande inspiration, soufflez lentement et goûtez sa présence.

Cela vaut tout de même la peine de se pencher sur l’autre raison pour laquelle Dieu nous est invisible. Elle est mentionnée par Paul dans sa première lettre à Timothée:

Sa demeure est bâtie au sein de la lumière inaccessible à tous.

1 Timothée 6.16

Nous avons parlé de ce que Dieu ne possède pas (pas de corps); nous avons dit que cela signifiait qu’il ne pouvait pas être vu. Mais nous devons aussi réfléchir à ce que Dieu possède et qui contribue également à le rendre invisible à nos yeux: sa gloire. Dieu est si éclatant de pureté et de gloire que des pécheurs tels que nous sont incapables de le contempler.

L’Ancien Testament répète à plusieurs reprises qu’il est dangereux de voir Dieu. Quand "l’ange de l’Éternel" apparaît à Manoah et à sa femme (les parents de Samson), Manoah s’exclame: “Nous allons sûrement mourir, car nous avons vu Dieu!” (Jg 13.22). Après sa rencontre avec ce même ange, Jacob “nomma ce lieu Péniel (la face de Dieu) car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve” (Gn 32.31). Quand Moïse demande à Dieu de lui révéler sa gloire, Dieu répond:

Je ferai moi-même passer devant toi toute ma bonté et je proclamerai devant toi les qualités de l’Éternel. Je ferai grâce à qui je veux faire grâce, j’aurai compassion de qui je veux avoir compassion. Mais tu ne pourras pas voir ma face, car nul homme ne peut me voir et demeurer en vie.

Exode 33.19-20

Nous nous retrouvons donc avec deux idées complémentaires. D’une part, nous sommes physiquement incapables de voir Dieu tel qu’il est. Notre vision résulte d’un phénomène précis: il faut que la lumière rebondisse sur un objet et atteigne notre œil. Mais Dieu ne possède pas de corps qui réfléchit la lumière; il ne peut donc pas être vu. D’autre part, nous sommes dans l’incapacité spirituelle de voir Dieu, non pas parce qu’il n’y aurait rien à voir, mais parce qu’il y a beaucoup trop! Dieu ne réfléchit pas la lumière, mais “sa demeure est bâtie au sein de la lumière inaccessible à tous”. Essayer de le contempler, c’est comme essayer de regarder le soleil. En fait, pénétrer dans la présence de Dieu serait plus dangereux que de marcher sur le soleil. Nous pouvons donc dire qu’en choisissant de ne pas manifester pleinement sa glorieuse présence sur la terre, Dieu fait une fois de plus preuve de miséricorde envers nous. S’il ne nous protégeait pas de sa gloire, nous ne pourrions survivre. Voilà une autre vérité à méditer pendant nos insomnies: Dieu est plein de bonté!

Il est saint.


1. On raconte que Gagarine aurait dit: “Je ne vois aucun Dieu là-haut”, mais la phrase ne figure pas dans les carnets de vol et il est possible qu’elle lui ait été attribuée par le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev dans un discours.
2. Origène, *Traité des principes – Tome I (Livres I et II)*, I, 1, 8, Paris : Éditions du Cerf, 1978, pp. 107-109.


Extraits du même livre:

Nick Tucker

Nick est pasteur de l'Église Bishop Hannington en Angleterre, où il vit avec sa femme Sam et leurs trois enfants. Avant cela, il a été pasteur à Birmingham, et a enseigné l’histoire de l’Église et la doctrine chrétienne au Oak Hill College de Londres pendant de nombreuses années. Il est également l'auteur du livre 12 choses que Dieu ne peut pas faire.

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