Nous ne savons pas grand-chose de l’enfance de Jésus. En dehors de sa naissance, le seul évangile qui nous en parle un peu plus est celui de Luc. Il raconte comment Jésus, à l’âge de douze ans, a disparu dans la ville de Jérusalem.
Cette histoire évoque sûrement des souvenirs à tous les parents. J’ai ressenti plusieurs fois le terrible effroi de constater que l’un de nos enfants avait disparu. Un dimanche, après le culte, notre fille de trois ans s’est enfermée dans un placard dans l’entrée de l’église pour lire tranquillement pendant que nous discutions un peu trop longtemps autour d’un café. Quand nous nous sommes rendu compte qu’elle avait disparu, ce fut la panique totale. Nous avions peur qu’elle soit sortie du bâtiment. Je me suis mis à courir dans le quartier tout en priant qu’il ne lui arrive rien.
Ce sentiment d’impuissance et de désespoir me revient en mémoire quand j’imagine Joseph et Marie ratisser les rues bondées de Jérusalem pendant trois jours à la recherche de leur fils. Quel soulagement lorsqu’ils le retrouvent enfin!
Trois jours plus tard, ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres; il les écoutait et leur posait des questions. Tous ceux qui l’entendaient s’émerveillaient de son intelligence et de ses réponses.
Luc 2.46-47
Luc dirige avec brio notre regard vers l’authenticité de cette situation en mettant en parallèle l’émerveillement des auditeurs de Jésus et l’agacement de ses parents:
Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? Tu sais, ton père et moi, nous étions très inquiets et nous t’avons cherché partout.
Luc 2.48
La réponse de Jésus constitue le point culminant de l’histoire:
Pourquoi m’avez-vous cherché? [...] Ne saviez-vous pas que je dois m’occuper des affaires de mon Père?
Luc 2.49
Pour les lecteurs de Luc qui viennent de lire le récit de la naissance de Jésus et de tous les événements miraculeux qui l’ont accompagnée, la réponse de Jésus coule de source. Mais ses parents, eux, “ne comprirent pas ce qu’il leur disait”, même si “sa mère gardait précieusement dans son cœur le souvenir de tout ce qui s’était passé” (Luc 2.50-51).
Pendant deux millénaires, des millions de personnes dans le monde ont adoré ce Jésus comme étant Dieu lui-même. Des civilisations entières se sont construites autour de ce culte. Pourtant, l’extraordinaire connaissance religieuse et la sagesse manifestées par ce préadolescent sont finalement ce qu’il y a de plus facile à comprendre et à accepter dans cette histoire. Mais Luc ne s’arrête pas là. Il rapporte que Jésus est retourné à Nazareth avec ses parents, qu’il leur obéissait et qu’il “grandissait et progressait en sagesse, et il se rendait toujours plus agréable à Dieu et aux hommes” (Luc 2.51-52).
Le fait que Jésus grandissait est apparemment très important pour Luc puisqu’il s’en sert comme cadre pour raconter l’enfance de Jésus à Nazareth.
Juste avant de parler de cette visite à Jérusalem, Luc rapporte que Marie et Joseph ont ramené le bébé chez eux à Nazareth et que “le petit enfant grandissait et se développait. Il était plein de sagesse, et la grâce de Dieu reposait sur lui” (Luc 2.40). Luc 1.80 rapporte à peu près la même chose au sujet de Jean, le cousin de Jésus, qui “grandissait et son esprit se fortifiait”.
Il est clair que Jésus était un enfant à part, mais c’était aussi un enfant comme les autres. Il grandissait comme n’importe quel enfant.
Jésus avait Dieu pour Père, et par sa mort, sa résurrection et son ascension, il allait donner la preuve ultime qu’il possédait effectivement la puissance et les compétences que seul Dieu possède. Et pourtant, il a grandi. Pas seulement physiquement, mais aussi en sagesse.
Autrement dit, Jésus est allé à l’école. Il a dû apprendre son alphabet: A, B, C, D, etc. (ou plutôt aleph, beth, gimel, daleth, en hébreu). Cela nous paraît peut-être un peu étrange étant donné que nous savons qu’il est Dieu. L’auteur de la lettre aux Hébreux lui-même s’étonne:
Bien qu’étant Fils de Dieu, il a appris.
Hébreux 5.8
Oui, c’est ce qu’il a fait.
Bien souvent, nous avons du mal à considérer sérieusement l’humanité de Jésus. L’un des meilleurs moyens pour surmonter cette difficulté instinctive est de réfléchir aux caractéristiques de son intellect.
Au cours de l’interlude précédent, nous avons remarqué que certains responsables de l’Église primitive avaient de la peine à admettre la divinité de Jésus. Pour d’autres, il était tout aussi difficile d’accepter qu’il soit pleinement homme. Peut-être que, comme moi, vous êtes tentés de voir Jésus comme une sorte de mélange d’humain et de divin, et non comme étant pleinement l’un et l’autre. C’est tout à fait naturel.
Les chrétiens luttent avec cette méprise depuis les débuts de l’Église, ce qui a mené à toutes sortes de dérives théologiques qu’il a fallu corriger.
L’évêque Apollinaire de Laodicée, mort en 382, en est un bon exemple. Adversaire de la doctrine arianiste qui niait la divinité de Jésus, Apollinaire a proposé une explication de l’incarnation dans le but de démêler ce casse-tête. D’après lui, le Fils de Dieu a remplacé l’esprit et l’âme humains dans l’homme Jésus. Jésus était donc Dieu dans un corps humain (littéralement incarné, "en chair").
Voilà une idée séduisante. Il est toutefois difficile d’imaginer qu’un tel Jésus puisse encore être qualifié d’humain. Posséder un esprit humain semble être un prérequis essentiel à la condition humaine. D’ailleurs, Grégoire, un contemporain d’Apollinaire, se moque un peu de cette vision de l’incarnation en affirmant que “si quelqu’un a mis son espérance dans un homme privé d’esprit, il a vraiment perdu l’esprit et n’est pas digne d’être sauvé entièrement, car ce qui n’a pas été assumé16 [par Christ] n’a pas été guéri17”. En d’autres termes, un Sauveur qui ne posséderait pas d’esprit humain ne servirait qu’aux êtres humains sans esprit.
Mais Jésus possédait bel et bien un esprit humain! Il a appris et il a grandi en sagesse. Prenez le temps d’y réfléchir. Dieu ne peut pas apprendre. Pourtant, en Jésus, Dieu est, d’une certaine façon, devenu un élève.
Évidemment, cela soulève quand même des questions. Un esprit humain peut-il posséder le même genre de connaissances que Dieu? Bien sûr que non! Dieu connaît le mouvement de chaque particule subatomique de l’univers du début jusqu’à la fin des temps. Il sait tout des effets qu’elles produisent les unes sur les autres et de l’endroit où elles se trouvent les unes par rapport aux autres, et ce à chaque seconde de l’histoire de la matière; et il sait tout cela instantanément et en tout temps. J’ai le cerveau qui chauffe rien que d’y penser.
Essayer, à l’instar d’Apollinaire, de se représenter ce qui s’est produit pendant l’incarnation, c’est s’aventurer sur un terrain glissant. Le passé nous enseigne qu’il vaut mieux ne pas tenter de disséquer le mécanisme de l’incarnation, mais plutôt l’apprécier pour ce qu’il est: un mystère. Jésus-Christ est véritablement et pleinement le Fils de Dieu. Il a tout créé et tout subsiste en lui. Mais, pour que notre salut soit possible, il est aussi véritablement et pleinement humain. Il a partagé nos limites: des pieds pleins de poussière et un cerveau humain. Si Dieu est devenu l’un des nôtres, c’est pour une seule et unique raison: parce qu’il nous aime et qu’il veut nous réconcilier avec lui.
Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tous ceux qui placent leur confiance en lui échappent à la perdition et qu’ils aient la vie éternelle.
Jean 3.16
Qui pourrait comprendre une telle chose? Pas moi. Comme l’a dit Pierre, un ami de Jésus, même “les anges désirent y plonger leurs regards” (1 Pierre 1.12 – COL). Je ne comprendrai peut-être jamais vraiment comment Dieu a pu se retrouver un jour sur les bancs de l’école, mais je peux m’émerveiller qu’il l’ait fait.
Nous recevons tous le salut comme des petits enfants. La sagesse et l’immense bonté dont Dieu fait preuve à notre égard me dépasseront toujours. Mais je peux me reposer sur lui et ainsi, trouver le repos.