Le Dieu qui a souffert et qui est mort seul

Doctrine de DieuSouffrances et la mort de Christ

Dieu peut-il souffrir et mourir? Serait-il toujours Dieu si c’était le cas? Dans son livre 12 choses que Dieu ne peut pas faire, Nick Tucker nous démontre que cette question prend tout son sens dans la personne de Jésus. Voici un extrait.


Un calme inquiétant régnait. C’était comme si une vague de silence s’était soudain abattue sur la campagne. Et ce silence était contagieux. Parmi nous, personne ne parlait. Nous étions au sommet d’une falaise à l’extérieur du vieux village de pêcheurs de Mousehole, situé à la pointe ouest des Cornouailles, pour admirer une éclipse de soleil. Comme nous n’étions pas tout à fait dans l’axe de l’éclipse totale (nous l’avons ratée de quelques kilomètres), la lumière nous donnait plutôt l’impression d’être en fin de soirée et non au milieu de la nuit. Mais cette expérience de crépuscule en pleine journée était tout de même assez étrange, presque surnaturelle. Pourtant, ce phénomène était tout à fait naturel: pendant un bref instant, la lune s’est glissée entre la terre et le soleil, exactement à la bonne distance pour nous cacher la lumière du soleil. Cet événement m’en rappelle un autre, celui-là bien plus extraordinaire.

Un vendredi avant la Pâque, à Jérusalem, il y a environ deux mille ans, les ténèbres ont recouvert la terre à midi. Ce n’était pas une éclipse, car la Pâque était toujours célébrée un jour de pleine lune, où il ne peut y avoir d’éclipse. Pourtant, l’obscurité a duré trois heures. Mais ce n’est pas le plus extraordinaire dans cette histoire. Depuis ce jour, les chrétiens affirment que le Fils de Dieu lui-même a souffert et qu’il est mort à ce moment-là, au milieu des ténèbres. Celui qui, par nature, ne pouvait pas souffrir, celui qui ne pouvait mourir, se trouvait là, suspendu au bois entre le ciel et la terre, tandis que sa vie le quittait.

Que le Dieu invisible soit apparu parmi nous comme l’un des nôtres est un véritable mystère. Mais qu’il ait "disparu" de cette manière est un mystère encore plus grand. Ce jour-là, les ténèbres qui ont remplacé le soleil de Judée ont marqué ce qui fut, en vérité, le moment le plus étrange de toute l’histoire de l’univers. Dieu est mort.

Pour les chrétiens de l’Église primitive, il est vite devenu essentiel de trouver un moyen de rendre compte de l’étrangeté de cet événement. La réalité de cette mort, en dépit de son impossibilité, réside au cœur de l’histoire de la relation de Dieu avec son peuple. Mais alors, comment l’expliquer? Pouvons-nous vraiment dire que Dieu est mort sur la croix?

Après quatre siècles de débat au sein de l’Église, Cyrille, l’un des grands théologiens d’Alexandrie, répond par l’affirmative. (Alexandrie, située en Égypte, était l’une des trois villes que l’on pourrait qualifier de capitales théologiques de l’époque.) Vous l’aurez peut-être deviné, il fonde son argumentation sur la double nature de Christ: nature divine et nature humaine réunies en une seule personne. Ainsi, affirme Cyrille, même si “la Parole de Dieu est par nature immortelle et incorruptible, Dieu dans sa grâce a permis, comme le dit Paul, que son corps goûte à la mort en faveur de tout homme. C’est pourquoi il est dit qu’il a souffert et qu’il est mort pour nous”. Ainsi, puisque c’est son corps qui a souffert et qui est mort, nous pouvons affirmer que "Dieu est mort", même si en raison de sa nature divine, Dieu ne peut pas mourir.

À peu près à la même époque, à Rome, l’une des deux autres villes qui pouvaient prétendre à la prédominance théologique, un pasteur important formule une remarque très similaire: Jésus était pleinement homme et pleinement Dieu “sans que les caractéristiques de l’une ne portent atteinte à celles de l’autre nature”. C’est pourquoi:

Afin de rembourser la dette de notre condition, la nature inviolable [immuable] s’est unie à la nature passible [sujette au changement, en particulier à la souffrance]. Ainsi, comme le nécessitait notre situation, un seul et même médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ, a pu à la fois mourir dans l’une et ne pas mourir dans l’autre. Le vrai Dieu est donc né dans la nature parfaite et entière d’un vrai homme, complet dans sa nature et complet dans la nôtre1.

Cela veut dire que les deux natures de Jésus ne sont pas collées ensemble ni mélangées l’une à l’autre. Mais toutes deux appartiennent à la même personne, et c’est cette personne qui est morte et ressuscitée pour nous. Ainsi, Dieu meurt à la croix, mais il meurt en tant qu’homme.

Ces théologiens ne se contentaient pas de faire de la théorie. Ils étaient évêques, c’est-à-dire des hommes d’Église chargés de prendre soin des chrétiens de leur ville et d’enseigner la foi. Ils avaient le souci d’aider le peuple de Dieu à “connaître Christ [et] la puissance de sa résurrection et avoir part à ses souffrances” (Philippiens 3.10). S’ils désiraient tant que les chrétiens sachent qui était mort, c’est en grande partie parce qu’ils savaient pourquoi il était mort: la mort de Jésus sur la croix ne peut nous donner le salut que parce que Jésus est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu.

Il explique qu’en interdisant à l’homme et à la femme de manger du fruit en Genèse 2.17, Dieu leur fait aussi une promesse: “Le jour où tu en mangeras, tu mourras.”

Et le jour est arrivé où l’homme et la femme ont mangé de ce fruit…

Ce qui se produisait était vraiment à la fois absurde et inconvenant. Absurde, en effet, le fait que Dieu parlant fut trouvé menteur [...] si après qu’il eût dit que nous mourrions, l’homme n’allait pas mourir. Et inconvenant, le fait que des êtres, une fois créés "logiques" et participants du Logos, périssent et par la corruption retournent au néant. Il n’était pas digne de la bonté de Dieu que des êtres suscités par lui fussent détruits2.

Dans les deux cas, il semble que Dieu soit perdant. Soit il doit renoncer à tenir parole, ce qui reviendrait à renier sa propre nature. Soit il doit accomplir sa promesse, ce qui entraînerait la destruction de l’humanité créée à son image.

Pour Athanase, l’incarnation du Fils de Dieu ("le Verbe", c’est-à-dire la Parole) est l’élégante solution de Dieu au problème du péché:

Le Verbe [...] prend pour soi un corps capable de mourir, afin que, participant au Verbe qui est au-dessus de tout, ce corps devienne apte à mourir pour tous, demeure incorruptible grâce au Verbe logé en lui et fasse désormais cesser la corruption en tous par la grâce de la résurrection3.

Jésus ne pouvait porter le châtiment pour notre péché dans la mort à moins de devenir l’un des nôtres; et il ne pouvait vaincre la mort à moins d’être Dieu. La très bonne nouvelle, c’est qu’il est les deux. Ainsi, ce que Jésus a accompli par sa mort, n’est rien de moins que la destruction de la mort elle-même!

Comme un sacrifice et une victime pure de toute tache, offrant à la mort le corps qu’il avait pris pour lui, il éloigna donc sur-le-champ la mort de tous les autres corps semblables, par le don de ce corps qui leur ressemblait [...] Le genre humain serait allé à sa perte, si le Fils de Dieu, maître de l’univers et sauveur, n’était venu le secourir pour mettre un terme à la mort4.

Ce qu’Athanase veut dire est simple: la parole de Dieu devait nécessairement s’accomplir. Jésus a subi la mort que devait subir son peuple (ces "corps semblables"). Ainsi, en mourant à notre place, il a permis que nous ayons à nouveau accès à la vie éternelle, pour laquelle nous avons été créés.

C’est pourquoi, la naissance de Jésus que nous fêtons à Noël, ainsi que sa mort, sa résurrection et son ascension, constituent le cœur du récit biblique. Pour les chrétiens, elles sont devenues la clef de voûte de toute l’Histoire. Sa naissance marque le moment où Christ a revêtu la vraie humanité, et sa mort, celui où il a porté les conséquences de notre rébellion. Quant à sa résurrection et à son ascension, elles nous garantissent sa victoire pour nous, l’assurance de la vie qu’il nous promet, et sa puissance pour restaurer toutes choses.

Pour accomplir cela, le Dieu qui ne peut pas se sentir seul est mort seul. Ses amis et ses disciples l’ont laissé tomber et, dans son agonie et sa solitude, il s’est même écrié:

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

Matthieu 27.46

Cet instant poignant de la vie de Jésus a inspiré la poétesse Elizabeth Barrett Browning dans ses réflexions sur la vie de William Cowper (1731-1800), lui-même grand poète, qui a écrit de nombreux hymnes et est connu pour avoir été un homme torturé. Cowper était en effet terrifié à l’idée d’être séparé de Dieu et délaissé par lui.

Les dernières strophes du poème de Barrett Browning, Cowper’s Grave [La tombe de Cowper], nous invitent à méditer l’affliction de Jésus à la croix. Ses vers sont une véritable consolation et un encouragement pour quiconque craint en secret d’être, sa fin venue, jugé indigne de la faveur de Dieu et délaissé par lui:

Délaissé! Qui pourrait rêver qu’à la croix dans l’obscurité, Ne se trouve chez le Condamné aucune trace d’amour porté? Quelles mains désespérées ont pu jamais empêcher son sang de couler? Ou quelles larmes l’ont pu laver, qu’une âme puisse être délaissée?


Délaissé! De sa propre essence, Dieu s’est séparé plutôt; Et le péché d’Adam a séparé Fils et Dieu Très-Haut. Au cri orphelin d’Emmanuel, l’univers fut ébranlé, Il s’est élevé seul, sans écho: “Mon Dieu, tu m’as abandonné!”


Il a surgi de la bouche du Saint qui habita sa création, Afin que, parmi les perdus, aucun fils ne prononce ces mots d’affliction, Que les pires folies ne sachent gâcher la réalisation des divines promesses, Et que je puisse, sur la tombe de Cowper, contempler sa céleste allégresse5.

Le Fils de Dieu qui, par nature, ne peut ni se sentir seul ni mourir, est devenu homme et il est mort seul, afin que nous, son peuple, n’ayons jamais à affronter l’horreur de la mort certaine et irréversible que nous méritions. Voilà à quel point il nous aime! Qui, croyant cela, ne trouverait pas le repos en lui?



Extraits du même livre:

Nick Tucker

Nick est pasteur de l'Église Bishop Hannington en Angleterre, où il vit avec sa femme Sam et leurs trois enfants. Avant cela, il a été pasteur à Birmingham, et a enseigné l’histoire de l’Église et la doctrine chrétienne au Oak Hill College de Londres pendant de nombreuses années. Il est également l'auteur du livre 12 choses que Dieu ne peut pas faire.

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