De quelles manières se manifeste concrètement l’amitié spirituelle?

Créés à l’image du Dieu trinitaire, nous sommes faits pour vivre en relation. La Bible l’affirme: “Il n’est pas bon que l’homme soit seul” (Gn 2.18). Elle nous invite ainsi à tisser des amitiés spirituelles profondes, à l’exemple du Christ et de l’apôtre Paul (voir les précédents articles).

Mais à quoi cela ressemble-t-il, concrètement? Pour le découvrir, tournons-nous vers le livre des Proverbes dans la Bible. Comme le souligne Hugh Black dans son livre Friendship, “le livre des Proverbes pourrait presque être qualifié de "traité sur l’amitié"¹” tant le sujet y est fréquemment abordé. En le parcourant, nous trouvons ces trois caractéristiques essentielles d’un ami spirituel: il est constant, franc et prudent.

Il est intéressant de noter que ces trois caractéristiques de l'amitié véritable – la constance, la franchise et la prudence – ne sont pas seulement présentes dans la Bible, mais aussi chez divers auteurs comme Cicéron ou Jean Calvin, qui les désignaient sous les termes de constantia, veritas et fides².

La constance

Les épreuves de la vie ont cette particularité de révéler qui sont nos vrais amis. Ceux qui ont traversé des périodes difficiles remarquent souvent que ces moments ont mis en lumière ceux sur qui ils peuvent réellement compter.

• Comme le dit Proverbes 19.4, les prétendus "amis" disparaissent quand les temps sont durs:

  La richesse multiplie le nombre d’amis, mais les amis du pauvre l’abandonnent.

• En revanche, les vrais amis restent à vos côtés, peu importe les circonstances. Proverbes 17.17 nous rappelle:

  L’ami aime en tout temps, et dans le malheur, il se montre un frère.

Un vrai ami est celui sur qui vous pouvez compter, toujours.

Un exemple frappant dans la Bible est l’amitié entre Jonathan et David. Malgré la haine de son père, le roi Saül, envers David, Jonathan est resté fidèle à son ami, même lorsque cela le mettait en conflit avec sa propre famille. Bien que David ait été choisi roi à la place de Jonathan, ce dernier n’a jamais trahi leur lien. Durant les vingt années où David fuyait la colère de Saül, Jonathan s’est montré pour lui un frère, en demeurant à ses côtés. Si bien qu’en apprenant la mort de Jonathan, David a fondu en larmes et dit:

Je suis dans la détresse à cause de toi, Jonathan, mon frère! Tu m’étais si cher; ton amour était plus merveilleux encore que l’amour des femmes.

_{2 Samuel 1.26; cf. 1S 18.3; 20.8}

C’est un bon exemple de constance dans l’amitié. Mais comme l’explique Vaughan Roberts, nous devons veiller à ne pas tirer une mauvaise application de ce bon exemple. Il écrit:

En méditant sur l’exemple de Jonathan, nous risquons de le comparer à nos amis et de déplorer qu’ils ne nous apportent pas le soutien dont nous pensons avoir besoin. Mais plutôt que de penser aux autres, nous devrions nous laisser mettre au défi nous-mêmes et nous demander: “Quel genre d’ami suis-je?” Le danger est bien réel d’être tellement absorbés par notre propre vie que nous n’avons plus de temps ni d’énergie à consacrer aux autres, même en période de crise – lorsqu’ils sont affligés, par exemple, par une mauvaise santé, un deuil, ou des difficultés relationnelles. Dès lors, je supporte mal les sacrifices que l’amitié exige, et je fais profil bas en espérant que d’autres viendront à leur rescousse.³

Je sais ce que vous pensez. Vous vous dites sûrement, comme je l’ai pensé moi-même la première fois que j’ai lu cette citation: “Attendez, je suis un meilleur ami que ça! Si un de mes amis traversait une période difficile, je serais là pour lui. S’il venait me demander de l’aide, je l’aiderais sans hésiter!”

Peut-être. Mais comme l’explique Vaughan Roberts, la vraie question, en réalité, est celle-ci: Est-ce qu’il viendrait vraiment vous demander de l’aide? Est-ce que mes amis viendraient me solliciter? Ai-je été là pour eux dans les moments plus faciles de la vie, de sorte que, quand la crise survient, je sois la personne vers qui ils se tournent naturellement?

En réponse à cette question, je dois admettre que, dans mon cas, la réponse est probablement "non"! Au fil des ans, j’ai noué de nombreuses amitiés, mais les maintenir n’a pas toujours été une priorité. Bien sûr, il est impossible de maintenir toutes les amitiés. Avec le temps, certaines deviennent plus distendues, et de nouvelles se forment. C’est la vie! Toutefois, n’oublions pas qu’un vrai ami est constant. On peut toujours compter sur lui. La Bible le commande: en période de malheur, “n’abandonne pas ton ami” (Pr 27.10).

La franchise

En plus de sa constance, l’ami selon le modèle biblique se distingue également par sa franchise. Il n’hésite pas à dire la vérité, même lorsque celle-ci dérange. Avez-vous des personnes dans votre vie qui osent vous dire ce que vous n’avez pas envie d’entendre?

• Si quelqu’un vous dit toujours ce que vous souhaitez entendre – que tout va bien, que vous êtes formidable –, ce n’est pas un véritable ami. Selon Proverbes 29.5, c’est un ennemi:

  Un homme qui flatte son prochain tend un piège sous ses pas.

• À l’inverse, un vrai ami vous aime assez pour vous dire la vérité, même si c’est dérangeant. Même s’il court le risque d’être rejeté, il vous aime trop pour garder le silence. Proverbes 27.5 l’exprime ainsi:

  Mieux vaut une réprimande ouverte qu’une amitié cachée. Les blessures d’un ami prouvent sa fidélité, mais les baisers d’un ennemi sont trompeurs.

Ce que ce proverbe nous enseigne, c’est que lorsqu’on dit: “J’aime trop cette personne pour lui dire la vérité!”, on avoue en réalité: “Je m’aime trop pour lui dire la vérité!” Car, en vérité, ce qui nous empêche de parler, c’est la crainte qu’il ou elle réagisse mal, et que cela me soit reproché. Alors, on préfère garder le silence. Ce n’est pas de l’amour, c’est de l’amour-propre!

Le nom d’Oscar Wilde vous est-il familier? C’est un romancier non chrétien, mais qui a toujours su exprimer ses idées de manière inoubliable. À ce propos, il écrit:

Un vrai ami vous poignarde en face!

Par cette remarque, il souligne que ceux qui ne sont pas de véritables amis agissent de deux manières: soit ils vous "poignardent dans le dos" en vous critiquant dès que vous avez le dos tourné, soit ils ne vous poignardent pas du tout, se contentant de vous flatter et de vous dire que tout va bien. En revanche, un vrai ami vous "poignarde" – mais toujours en face!

Il est donc essentiel de se poser cette question: “Ai-je de vrais amis prêts à me dire ce que je ne veux pas entendre?” Si personne dans ma vie ne se sent capable de me contredire, de me faire remarquer mes erreurs ou de dévoiler mes faiblesses, il y a clairement un problème. Peut-être est-ce parce que je ne leur en laisse pas l’opportunité. Ils ont tenté par le passé, mais j’ai réagi sur la défensive, renvoyant leurs critiques en les accusant d’être dans l’erreur ou mal intentionnés. Mais le problème, c’est qu’ils ont appris à ne plus essayer! Et ainsi, c’est moi-même qui ai tendu un piège sous mes propres pieds…

La prudence

Le véritable ami, à la fois constant et franc, fait également preuve de prudence. C’est en quelque sorte “le revers de la médaille”. En effet, bien que les vrais amis se disent parfois la vérité sans détour, ils doivent toujours le faire avec tact et sensibilité.

• Par exemple, Proverbes 18.13 nous encourage à écouter avant d’ouvrir la bouche:

  Qui répond avant d’avoir écouté montre sa bêtise et se couvre de ridicule.

  Parfois, nos amis n’attendent pas de nous un conseil particulier; ils veulent seulement que quelqu’un les écoute. Et cela peut être d’une grande aide, pour eux, de simplement pouvoir verbaliser leur problème. Tout ce dont ils ont besoin, c’est d’une oreille attentive.

• Un autre exemple: Proverbes 15.28 nous enseigne qu’après avoir écouté, il est essentiel de prendre un moment pour réfléchir avant de prendre la parole:

  Le cœur du juste réfléchit avant de répondre, mais la bouche du méchant déverse de mauvaises paroles.

Un exemple frappant de ce que l’on ne doit pas faire se trouve dans le livre de Job, avec ses soi-disant "amis", qui en réalité ne le sont pas du tout. Vous vous souvenez? Job, ayant tout perdu – ses enfants, sa maison, sa richesse – se retrouve dans une détresse immense, et même sa femme le critique: “Comment peux-tu encore avoir foi en Dieu? Maudis Dieu et meurs” (Jb 2.9). Imaginez la tourmente émotionnelle dans laquelle il se trouve! Mais plutôt que de faire preuve de silence, d’écoute et de réflexion avant de parler, que font ses trois "amis"? Ils lui assènent "ses quatre vérités", alors que ce dont il a vraiment besoin, c’est de compassion. C’est pourquoi Job leur répond:

Vous êtes tous de piètres consolateurs. Y aura-t-il une fin à ces paroles qui ne sont que du vent?

_{Job 16.2-3}

Le mauvais exemple des "amis" de Job nous rappelle une leçon essentielle: en tant qu’amis, nous devons faire preuve de sensibilité émotionnelle pour savoir quand, comment, et quoi dire. Proverbes 25.20 illustre cela parfaitement:

Chanter des chansons à un cœur affligé, c’est comme lui retirer son manteau par un jour de froid ou verser du vinaigre sur une plaie.

Si vous étiez pris dans une tempête de neige, aimeriez-vous que je vous enlève votre manteau? Non! Si votre genou saignait, apprécieriez-vous que je verse du vinaigre dessus? Non! Eh bien, c’est la même chose lorsqu’une personne est triste: un véritable ami ne fait pas cela.

Au contraire, il partage la douleur de son ami: lorsqu’il pleure, il pleure avec lui; lorsqu’il se réjouit, il se réjouit avec lui; et lorsqu’il souffre, il souffre aussi. En somme, un lien émotionnel profond se tisse. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on ne peut pas entretenir des dizaines et des dizaines d’amitiés profondes: cela demande un investissement émotionnel considérable.

Avez-vous de tels amis?

Constance, franchise, prudence… Comment définir en une phrase ce qu’est un véritable ami selon la Bible?

Tim Keller a trouvé les mots justes: un ami, c’est celui qui vous laisse toujours entrer et qui ne vous laisse jamais tomber⁴. D’une part, il ne vous laisse jamais tomber: il est toujours à vos côtés, compatissant; et quoi qu’il arrive, il ne vous abandonne jamais. D’autre part, il vous laisse toujours entrer: il vous ouvre son cœur, avec transparence; il est franc, sans être blessant.

Avez-vous de tels amis, qui vous encouragent à suivre Jésus et vous exhortent à persévérer dans la foi? Et vous, êtes-vous un ami spirituel pour eux? Ou bien vos relations se limitent-elles à partager de bons moments et à parler de la pluie et du beau temps?

Trop de chrétiens – et je m’inclus – se contentent d’une amitié superficielle, tournée vers les loisirs et les sorties. Mais prier ensemble? Cela reste rare. Ils échangent volontiers sur leurs vacances, le prix de l’essence ou l’entretien de leur jardin – ce qui n’a rien de mal en soi.

Mais quand ont-ils posé pour la dernière fois une question véritablement profonde: “Qu’est-ce que le Seigneur t’a appris récemment? Quelles sont tes luttes du moment? As-tu reçu une parole d’encouragement?”

Et vous, avez-vous construit de véritables amitiés spirituelles?

Dans la même série:

1. L’amitié spirituelle: une relation trop souvent négligée?
2. Pourquoi avons-nous besoin d’amitiés spirituelles?
3. De quelles manières se manifeste concrètement l’amitié spirituelle?

Pour aller plus loin:

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