Pourquoi avons-nous besoin d’amitiés spirituelles?

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      Qu’est-ce que l’amitié spirituelle? Pourquoi est-elle précieuse et comment la cultiver? Cet article est le second d’une série de quatre sur l’importance des amitiés chrétiennes pour grandir avec Jésus.

      Pour comprendre notre besoin d’amitié, il faut revenir aux premiers chapitres de la Genèse. Le thème de l’"amitié" nous renvoie à l’aube de la Création, où l’on peut observer ce qu’un théologien qualifie de “l’une des plus grandes bizarreries théologiques de la Bible”.

      Celui-ci souligne, en effet, que c’est dans Genèse 3 que le péché fait son entrée dans le monde et que, par conséquent, tout se dérègle à partir de ce moment-là. Ce que l’on découvre donc dans Genèse 1 et 2, ce sont des images d’un monde parfait, de l’humanité avant la chute. C’est pourquoi, tout au long de ces deux premiers chapitres, Dieu répète sans cesse: “C’est bon. […] C’est bon. […] C’est bon.”

      Mais soudain, dans Genèse 2 – avant que le péché n’entre dans le monde! –, Dieu déclare qu’une chose n’est pas bonne: “Il n’est pas bon que l’homme soit seul” (Gn 2.18). N’est-ce pas bizarre? Dans un monde parfait, notre premier parent, Adam, se sentait seul!

      Mais c’est ainsi que nous apprenons que nous sommes faits pour des amitiés. Avoir besoin et désirer des amitiés profondes n’est pas un signe d’imperfection, mais de perfection. Voilà comment l’exprime ce même commentateur:

      Adam n’éprouvait pas de solitude parce qu’il était imparfait, mais parce qu’il était parfait. La douleur d’être sans ami est la seule douleur qui ne résulte pas du péché… C’est une douleur qui fait partie de sa perfection. Dieu nous a créés de telle sorte que nous ne pouvons pas même jouir du Paradis sans amis… Adam jouissait quotidiennement d’un temps de "culte personnel" parfait, 24 heures sur 24. Il n’était jamais "à sec" [spirituellement parlant], et pourtant il avait besoin d’amis1.

      Le Dieu qui est amitié

      Pourquoi est-ce le cas? Parce que l’homme a été créé "à l’image" du Dieu qui est amitié.

      En tant qu’être trinitaire, il n’y a en effet jamais eu un temps où Dieu était sans ami. Mais il a toujours été un ami: le Père aimant son Fils, dans la joie de l’Esprit – trois Personnes éternellement unies dans leur amitié l’une pour l’autre. Et Dieu nous a créés pour refléter ça. Ce qui signifie que moins nous voulons d’amis, moins nous ressemblons à Dieu!

      Pour bien saisir ce point, abordons-le sous un angle opposé. Demandons-nous: si, à l’inverse, Dieu était une entité solitaire, assis tout seul là-haut dans les nuages, à quoi la maturité spirituelle ressemblerait-elle? Elle ressemblerait à un vieil ermite, vivant seul dans sa grotte, au sommet d’une montagne. N’est-ce pas ainsi, d’ailleurs, que nous nous représentons si souvent la maturité, dans la vie chrétienne? Comme une personne "super-spirituelle" qui n’a pas besoin de compagnie humaine, parce que la compagnie de Dieu lui suffit.

      Mais c’est une erreur de penser cela. Parce que Dieu est une amitié de Trois, et qu’il nous a créés pour refléter ça. Et donc, moins nous voulons d’amis, moins nous ressemblons à Dieu. Créés à son image, nous sommes faits pour des amitiés. Dis autrement, l’image de Dieu se donne moins à voir dans la grotte d’un ermite qu’autour de la table d’un repas, où un groupe d’amis partagent ensemble leurs peines et leurs joies.

      Les obstacles à l’amitié

      Le problème de notre société hypermoderne, c’est que plusieurs facteurs conjoints rendent l’amitié plus difficile à vivre qu’elle ne l’a jamais été. En voici trois:

      • Le premier, c’est la mobilité. Selon une étude récente, 25 % des milléniaux n’auraient aucun ami. Cassandre, une jeune femme interrogée dans le cadre de cette étude, explique:

        On est une génération plus mobile que jamais. On se réinvente constamment: nouvelles études, nouveaux jobs, nouvelles villes […]. Et donc nouveaux cercles? Nouveaux amis? Pas forcément2.

        En effet, l’amitié prend du temps. Et les déracinements successifs peuvent créer un sentiment de “À quoi bon?”: pourquoi faire des efforts pour nouer de profondes amitiés, alors que je ne sais pas si je suis ici pour rester? Ainsi, la mobilité accrue de notre société moderne est un grand défi pour l’amitié.

      • De même que la technologie. EnjoyPhoenix, qui est la première youtubeuse de France, a affirmé récemment dans une interview: “Avec YouTube, je n’ai pas besoin d’amis”! Et la triste vérité, c’est que pour beaucoup de gens, l’écran d’ordinateur ou du smartphone est devenu leur meilleur ami. Seulement, les écrans peuvent donner l’illusion d’une interaction sociale, pas la réalité. Même si vous avez 6 millions d’"amis" sur Facebook, comme EnjoyPhoenix, combien d’entre eux vous connaissent vraiment? Sur combien d’entre eux pourriez-vous compter dans les moments difficiles?

      • Enfin, si l’amitié est plus difficile à vivre que jamais, c’est en grande partie en raison de l’hypersexualisation de nos sociétés occidentales. Le théologien Carl Trueman a longuement étudié les dynamiques du mouvement LGBT. Récemment, lors d’un entretien, on lui a posé une question intrigante: comment expliquer que tant de jeunes s’identifient comme homosexuels ou bisexuels? Sa réponse, fascinante, mérite que l’on s’y attarde:

        L’une des choses que nous avons perdues, selon moi, est la notion d’amitié. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles, en Occident, un grand nombre d’adolescentes s’identifient aujourd’hui comme bisexuelles ou lesbiennes – à un âge où je n’aurais même pas été conscient de ma sexualité. J’ai récemment demandé à un enseignant: “Pourquoi penses-tu que 5 filles sur 10 dans ta classe se déclarent lesbiennes à l’âge de 12 ans?” Il m’a répondu: “Parce qu’on ne leur apprend plus ce qu’est l’amitié. Ces enfants éprouvent des sentiments forts pour d’autres enfants, et nous ne leur avons rien donné d’autre que des catégories sexuelles pour qu’ils comprennent ces sentiments dans cette relation.” Mon conseil est donc le suivant: apprenez à vos enfants ce qu’est l’amitié3.

        Ce qu’explique Carl Trueman, c’est que l’obsession de notre société pour le sexe et la normalisation des relations amoureuses entre personnes de même sexe font que nous n’avons plus qu’une seule catégorie pour penser l’amour: l’amour sexuel (eros)! On part donc du principe que toute relation particulièrement étroite, même entre hommes ou entre femmes, doit comporter un élément sexuel – forcément! Cela crée inévitablement un sentiment de distance, où nous pensons que nous ne devons pas être trop proches des autres, de peur que cela soit mal interprété.

      Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, tisser et préserver des liens d’amitié véritables relève aujourd’hui d’un véritable défi.

      Notre besoin d’amitié

      Faut-il pour autant y renoncer? C’est peut-être ce que certains chrétiens pourraient penser. Comme l’explique John Stott:

      On rencontre parfois [dans les églises] des personnes super-spirituelles qui affirment ne jamais se sentir seules et ne pas avoir besoin d’amis humains, car la compagnie du Christ satisfait tous leurs besoins. Mais l’amitié humaine est quelque chose que Dieu a voulu pour le bien de l’humanité… Lorsque nous nous sentons seuls, nous avons besoin d’amis. Admettre cela n’est pas manquer de spiritualité; c’est assumer notre humanité4.

      L’exemple de Jésus, à lui seul, suffit à démontrer cela. Si jamais il y a eu une personne véritablement "spirituelle", c’est sans aucun doute lui. Jésus était constamment rempli de l’Esprit, en perpétuelle communion avec son Père. Et pourtant, il ressentait le besoin d’amis. Il en choisit douze, et, dans l’Évangile selon Jean, il leur confie qu’il ne les appelle plus "serviteurs", mais "amis" (Jn 15.15). Parmi eux, trois semblaient lui être particulièrement proches: Pierre, Jacques et Jean (Mc 9.2), et surtout Jean, le "disciple que Jésus aimait" (Jn 13.23). Jésus avait des amis, et bien qu’ils n’étaient pas exempts de défauts, il avait besoin d’eux.

      Rappelez-vous comment, la veille de sa crucifixion, Jésus les implore de demeurer à ses côtés. Dans le jardin de Gethsémané, sa souffrance l’envahit et il les supplie: “Je suis triste à mourir; restez ici et veillez avec moi” (Mt 26.38). Jésus leur dit, en quelque sorte: “J’ai besoin de vous, mes amis. Maintenant plus que jamais.” Pourquoi? Parce qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul. Avoir besoin d’amis n’est pas un signe de faiblesse. C’est un signe de perfection.

      D’autres exemples d’amitié

      Il n’est donc pas étonnant que la Bible comme l’histoire de l’Église regorgent d’exemples de personnes ayant fait de l’amitié spirituelle une priorité, conscientes de sa valeur profonde.

      Pensez à l’apôtre Paul, par exemple. Vous êtes-vous jamais interrogé sur le sens de ces longues listes de noms à la fin de ses lettres? À vrai dire, j’ai souvent eu tendance à survoler ces salutations finales de l’apôtre. Cependant, en méditant sur l’amitié dans les Écritures, j’ai soudain pris conscience que ce que nous percevons comme des énumérations de noms apparemment sans lien est en réalité un véritable registre des amitiés de Paul (cf. Ac 27.3). Il y a “Ampliatus, qui m’est très cher” (Rm 16.8), “mon cher Épaïnète” (Rm 16.5), et bien d’autres encore… Parmi eux, Timothée, que Paul désigne comme “mon cher fils” (2Tm 1.2), et Luc, qu’il appelle “notre cher ami” (Col 4.14).

      N’est-ce pas fascinant? En dehors du Seigneur Jésus, personne n’a incarné une spiritualité aussi profonde que Paul. Pourtant, loin de l’image du missionnaire solitaire et austère, Paul était un homme d’amitié. Parce que Dieu lui-même est un Dieu d’amitié. Et, créés à son image, nous avons été conçus pour vivre des amitiés authentiques.

      C’est ce qu’ont su reconnaître les grands hommes de foi qui ont marqué l’histoire de l’Église. En voici quelques exemples:

      • Saint Augustin:

        Il n’est que deux choses qui soient essentielles en ce monde: la vie, et l’amitié. Toutes deux doivent être considérées comme infiniment précieuses5.

      • Martin Luther:

        Pour ma part, j’estime que la perte de tous les biens est plus facile à supporter que la perte d’un ami fidèle… tout au long de la vie, un ami fidèle est un grand bienfait et un trésor très précieux6.

      • Charles Spurgeon:

        L’amitié est une composante aussi nécessaire à l’existence dans ce monde que ne le sont la nourriture, l’eau, ainsi que l’air lui-même. Un homme peut traîner une existence misérable dans une dignité solitaire. Mais sa vie n’est pas une vie. Ce n’est qu’une survie7.

      En bref, nous avons besoin d’amitié.

      Dans les prochains articles, nous verrons concrètement ce qu’est l’amitié spirituelle, et comment la vivre.


      Pour aller plus loin:


      Joël Favre

      Joël est marié à Anne et partage avec elle le beau défi d’élever trois enfants. Diplômé en théologie du London Seminary et titulaire d’un master de recherche de la Faculté Jean Calvin, il exerce actuellement comme pasteur à l’Église Réformée Baptiste de Grenoble. Il intervient aussi en tant que professeur d’éthique à l’Institut Biblique de Bruxelles.

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