Qu’est-ce que l’amitié spirituelle? Pourquoi est-elle précieuse et comment la cultiver? Cet article est le premier d’une série de quatre sur l’importance des amitiés chrétiennes pour grandir avec Jésus.
Vous avez sans doute déjà remarqué que l’amour peut revêtir différentes formes. Par exemple, nous avons beau "aimer" notre grand-mère et "aimer" notre conjoint, il va de soi que le sentiment d’amour que nous éprouvons à l’égard de ces deux personnes est bien différent. De même, nous aimons nos enfants, mais d’un amour différent de celui que nous éprouvons pour nos collègues de bureau. Le fait que la langue française ne possède qu’un mot pour décrire ce sentiment ne dissimule en rien que l’amour peut revêtir plusieurs formes.
Au cœur de l’argumentation de C. S. Lewis se trouve l’idée que l’amour d’amitié est devenu, de nos jours, le parent pauvre des relations humaines. Autrefois exaltée comme la forme la plus noble de l’amour, l’amitié tend aujourd’hui à être reléguée au second plan. Il écrit que “pour les Anciens, l’amitié semblait être le plus heureux et le plus abouti des amours, le couronnement de la vie et une école de vertu. Mais le monde moderne l’ignore”.
Les études récentes le confirment: l’amitié décline dans le monde moderne. Selon une enquête de l’IFOP (janvier 2024), 62 % des jeunes Français de 18 à 24 ans se sentent régulièrement seuls, un chiffre en hausse constante2. Une étude de Snap Inc. montre que ce phénomène touche surtout l’Occident: en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, on compte en moyenne 2,6 à 3,1 meilleurs amis, contre trois fois plus en Inde, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est. Cette tendance illustre l’effritement des liens amicaux dans nos sociétés modernes3.
Comment en est-on arrivé là? On pourrait citer de nombreuses causes: la mobilité grandissante, l’essor du numérique, les confinements liés à la Covid-19… Autant de facteurs qui ont fragilisé les liens amicaux. Mais au-delà de ces explications, C. S. Lewis estime qu’il existe une raison plus fondamentale: c’est que l’amitié est – ou semble être – le type d’amour le moins nécessaire. Il écrit:
L’amitié est – et cela n’a rien de péjoratif – le moins naturel des amours, le moins instinctif, organique, biologique, grégaire ou nécessaire… Sans l’éros, aucun d’entre nous n’aurait été engendré, et sans affection, aucun d’entre nous n’aurait été élevé ; mais il est possible de vivre et de se reproduire sans amitié. Biologiquement parlant, l’espèce n’en a pas besoin.
Lewis estime toutefois que le déclin de l’amitié dans le monde moderne est tragique, car, dit-il, “la vie n’a rien de mieux à nous offrir”. Et si biologiquement parlant, l’amitié n’est peut-être pas aussi nécessaire à la survie de l’espèce que l’amour romantique ou l’amour d’affection, elle est néanmoins nécessaire à la vie.
Mais pour saisir l’importance que C. S. Lewis lui attribue, il faut comprendre ce qu’est l’amitié – et l’amitié spirituelle en particulier.
C. S. Lewis propose une métaphore saisissante pour illustrer la singularité de l’amitié. Il explique que éros et philia diffèrent en ceci: dans l’éros, deux êtres se font face, absorbés l’un par l’autre, tandis que dans la philia, l’amitié, ils se tiennent côte à côte, regardant ensemble dans la même direction.
Ainsi, explique Lewis, l’amitié naît lorsque deux personnes découvrent qu’elles partagent un intérêt commun, lorsque l’une s’exclame, presque incrédule: “Comment? Toi aussi? Je pensais être le seul!” Toi aussi, tu apprécies cette musique? Toi aussi, tu n’as jamais chaussé de skis? Toi aussi, tu as échoué à cet examen? C’est dans cette reconnaissance mutuelle, dans cette connivence soudaine, que l’amitié prend racine.
Et Lewis de conclure:
Ainsi, nous représentons-nous les amants face à face, alors que les amis sont figurés côte à côte, le regard dirigé vers l’avant… L’amitié est toujours à propos de quelque chose, elle [a besoin d’un] intérêt commun [pour exister], même s’il s’agit d’une simple passion pour les dominos ou les souris blanches.
Vous aurez compris avec cette dernière remarque sur "les dominos ou les souris blanches" que Lewis ne fait que définir l’amitié en général.
Qu’est-ce donc que l’amitié spirituelle? C’est un moine du XIIᵉ siècle, Aelred de Rievaulx, qui éclaire pour nous cette question4. Dans son traité sur L’amitié spirituelle, Aelred distingue trois formes d’amitié, chacune fondée sur un type d’intérêt commun différent:
En soi, il n’y a rien de mal à entretenir ces deux types de relations. Il peut être tout à fait légitime de poursuivre des amitiés de plaisir ou d’utilité.
En bref, si l’amitié est toujours "à propos de quelque chose", l’amitié spirituelle est à propos de Quelqu’un! Lorsque vous devenez chrétien, vous cessez de vivre pour vous-même et commencez à vivre pour lui – Jésus. Désormais, votre but est de Le connaître. C’est de marcher à Sa suite, en portant votre croix, pour parvenir un jour à la résurrection (cf. Ph 3.10ss).
Or, la Bible décrit cela comme un long voyage, un pèlerinage, avec de nombreux obstacles sur le chemin. Et nous tomberons souvent, et nous aurons besoin de quelqu’un pour nous relever. Et nous faiblirons souvent, et nous aurons besoin de quelqu’un d’autre pour nous encourager. Et c’est ce que font les amis spirituels…
Heureusement, Chrétien porte sur lui la Clé de la Promesse, capable d’ouvrir toutes les portes. (C’est une façon, pour Bunyan, de nous rappeler qu’en périodes de désespoir et de doute, ce sont les promesses de Dieu qui, telles des clés, nous délivrent. Dans nos moments de détresse, nous nous rappelons que “toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu”, que nous n’avons rien à craindre car “notre Père céleste sait de quoi nous avons besoin”, etc.) Chrétien possède donc cette Clé de la Promesse, mais il l’a oubliée. Et qui est là pour lui rappeler? Son ami. Cependant, même lorsqu’il se souvient des promesses de Dieu, Chrétien peine à insérer la clé dans la serrure. Il n’a pas la force de la tourner. Et qui est là pour l’aider à déverrouiller la porte? Son ami.
À travers cette scène, Bunyan nous enseigne une vérité essentielle:
Tout au long de ce voyage qu’est la vie chrétienne, vous avez toutes les promesses dont vous avez besoin pour persévérer. Mais le plus souvent, vous avez besoin d’un ami pour "tourner la clé", pour vous les rappeler, pour vous les prêcher!
Si biologiquement parlant, l’amitié n’est pas nécessaire à notre survie, spirituellement parlant, nous avons besoin d’amis spirituels pour nous rappeler les promesses de Dieu, pour nous relever lorsque nous chutons et pour nous encourager à poursuivre notre route les yeux fixés sur Jésus.
Et vous? Avez-vous de telles amitiés, ou vos amitiés sont-elles, dans l’ensemble, plutôt des amitiés de plaisir ou d’utilité? Pourquoi? Quels sont les défis pour établir et maintenir des amitiés spirituelles?
webinaire
De l'amitié au mariage: les 4 étapes de l'intimité
Ce replay du webinaire de Nicolas VanWingerden a été enregistré le 12 février 2020.
Orateurs
N. VanWingerden