Comment traduire "Yhvh"?

Doctrine de DieuTextes difficiles

Le tétragramme Yhvh (qu’on trouve aussi transcrit Yhwh) est le nom divin fréquemment employé dans l’Ancien Testament (plus de 6500 fois). Mais si vous ouvrez une Bible en version française, vous aurez peu de chances de le trouver. Dès avant l’ère chrétienne en effet (la pratique des scribes qumrâniens le démontre), les Juifs ont cessé de le prononcer, considérant qu’il était ineffablement saint.

Lorsque les massorètes, savants juifs du 5e au 10e siècle, ont effectué leur travail de ponctuation et de vocalisation du texte hébreu afin d’en perpétuer la juste lecture, ils ont donc établi ce que l’on appelle un qeré perpétuel: ils ont placé sous les consonnes du tétragramme “Yhvh” les voyelles d’un autre nom divin, “Adonaï*”* (traduit par “Seigneur”). Ils indiquaient par là que le lecteur devait prononcer “Adonaï” et non pas “Yahvé*”* lorsqu’il voyait le tétragramme.

Lorsque ledit tétragramme était précédé d’Adonaï, ce sont les voyelles d’Élohim, Dieu, qui ont été placées sous lui (exemples en Dt 9.26; És 50.7; Am 9.5; Za 9.14 notamment).

Quelle est la signification de “YHWH”?

Le sens exact de “Yhvh” est controversé. On le rattache ordinairement à la racine hyh (ou hvh), racine du verbe être que l’on retrouve dans le célèbre récit de la révélation de Dieu à Moïse, en Exode 3.14: “Je suis celui qui suis.” (traduction Segond).

Selon certains, la préformante (forme qui se met devant la racine) “ya” indique qu’il s’agit originellement d’un hiphil, conjugaison active de l’action causative. “Yhvh” signifierait “celui qui fait être”. Cette thèse est cependant contestée, notamment parce qu’en hébreu le verbe “hyh” n’est jamais conjugué au hiphil.

D’autres y ont vu un substantif dérivant d’un inaccompli “qal” (conjugaison active de l’action simple) qui signifierait “l’Être”; “l’Existant”.

Deux tendances se manifestent parmi les partisans de cette thèse. Les uns traduisent Exode 3.14 par une nuance future et dynamique: “Je serai celui qui sera” avec la notion d’un Dieu fidèle qui agit dans l’histoire, et qui sera toujours présent parmi son peuple. Les autres traduisent: “Je suis celui qui suis” et insistent sur le fait que Dieu est en lui-même l’Être absolu; le seul vrai Existant; celui qui est par lui-même.

La version grecque des Septante suis la même logique en traduisant: “Moi, je suis l’étant.” L’expression d’Apocalypse 1.8, “celui qui est, qui était et qui vient” semble confirmer cette dernière interprétation, métaphysique, sans toutefois réduire à néant la nuance dynamique.

Un lien du tétragramme avec la racine du verbe “être” permet de mieux comprendre la force de l’argumentation de Jésus en Jean 8, son insistance à affirmer “moi je suis”, et l’effet renversant de cette affirmation en Jean 18.5-6.

Que faire face à ces diverses données?

La solution la plus économique serait de retranscrire simplement “Yhvh” ou “Yahvé”, mais c’est prendre le risque de choquer les Juifs dans leur sensibilité.

Par ailleurs, “Yhvh” est imprononçable tel quel pour un lecteur francophone, et la transcription “Yahvé” n’est pas assurée (elle a pourtant été utilisée dans la S21 en Genèse 22.14, par exemple, car accompagnée d’un autre mot hébreu).

Il peut être intéressant, en outre, de noter que dans le Nouveau Testament, lorsque des versets de l’Ancien Testament portant le tétragramme sont cités, “Yhvh” est remplacé par “Kurios” qui signifie “Seigneur”. Cela signifie que les auteurs néo-testamentaires n’ont pas jugé fondamental de maintenir la prononciation du tétragramme. Rien ne les aurait en effet empêchés d’en proposer une transcription en grec. Il est aussi intéressant de relever que la citation, dans plusieurs cas, est appliquée à Jésus-Christ qui est donc identifié comme étant Yhvh (Mt 3.3 citant És 40.3, à comparer avec Mt 11.10; Ac 2.21 citant Jl 3.5 et suivi d’Ac 2.25 citant Ps 16.8 et confirmé par Ac 2.36; 1Co 2.16 citant És 40.3).

Remplacer purement et simplement “Yahvé” par “Adonaï” –ou “Seigneur”– à la suite du Nouveau Testament. Nous avons estimé que c’était d’une certaine façon appauvrir le texte de l’Ancien Testament, et que cela posait un problème d’identification du tétragramme au lecteur. La solution aurait pu être, comme dans plusieurs versions françaises actuelles, de mettre le mot Seigneur ou Dieu en petites majuscules lorsqu’il correspond “simplement” à la vocalisation de Yhvh, mais des majuscules ne sont pas perçues en cas de lecture à haute voix. C’est néanmoins le choix opéré par la NGÜ.

Pierre Robert Olivétan (1506-1538) a été le premier à traduire la Bible en français sur la base de l’hébreu et du grec (1535), et l’initiateur de la traduction de “Yhvh” par “Éternel”. Élève de Lefèvre d’Etaples, c’est lui qui a amené à la foi son cousin Jean Calvin. Voici comment il explique son choix dans sa préface de la Bible, citée par M.F. Gonin, Le mystère du Tétragramme sacré:

Désirant montrer la vraie propriété et signification de ce mot “YHVH” (…) je l’ai exprimé selon son origine, au plus près qu’il m’a été possible par le mot “Éternel”. Car “YHVH, Jéhovah” vient de “HWH” qui vaut à dire “est”. Or, n’y a-t-il vraiment que lui qui soit en être et fasse toute chose être. (…) De le nommer comme les juifs “Adonaï”, c’est-à-dire “Seigneur”, ne remplit et satisfait pas la signification et majesté du mot. Car “Adonaï” en l’Écritures est communicable, étant aux hommes comme à Dieu. Mais “Jéhovah” est incommunicable, ne se pouvant approprier et attribuer, sinon qu’à un seul Dieu selon son essence.

“Éternel” est donc une tentative de rendre un sens possible du tétragramme et correspond à une appellation de Dieu en Daniel 12.7 (“celui qui vit éternellement” se dit littéralement “la vie du toujours”).

Même si la solution n’est pas parfaite, elle nous a paru satisfaisante, accompagnée d’une note à la première occurrence du nom (en Gn 2.5), voire dans l’introduction.

Elle nous a paru d’autant plus satisfaisante que le nom l’Éternel est passé dans la langue courante en français (voir l’expression “un grand voyageur devant l’Éternel”) et qu’il serait dommage pour notre génération que la totalité des versions l’abandonnent.

Pour les diverses raisons évoquées ci-dessus, les lecteurs de la Segond 21 retrouveront par conséquent dans leur Bible “l’Éternel” qu’ils avaient l’habitude de rencontrer dans la Nouvelle Édition de Genève 1979.

Viviane André

Née au Nigéria de parents missionnaires, avant d'être élevée en partie en France et en partie en Suisse, Viviane André a grandi “entre deux pages de Bible”, selon l'expression usuelle. Assez tôt, elle a voulu pouvoir vérifier par elle-même ce qu'on lui enseignait. Elle a donc fait le choix d'étudier les langues anciennes jusqu’à l’université, puis elle a suivi une formation théologique à Vaux-sur-Seine, et a travaillé à la Société Biblique de Genève. À côté de cela, elle aime transposer les textes bibliques et le message de l'Évangile sous forme théâtrale avec la Troupe Étincelle.

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S. Kapitaniuk