La rédaction des psaumes est si ancienne qu’il est impossible d’avoir des certitudes absolues quant à la fiabilité des suscriptions. Il faut donc faire des observations sur les suscriptions elles-mêmes pour évaluer leur fiabilité.
- Les suscriptions sont systématiquement écrites à la troisième personne alors que le texte des psaumes eux-mêmes est le plus souvent à la première personne. Cela laisse imaginer que l’auteur du psaume n’est pas l’auteur de la suscription.
- Les suscriptions sont formatées de manière très similaire les unes par rapport aux autres. L’ordre des informations et les mots utilisés sont très similaires d’un psaume à l’autre. Cela laisse imaginer qu’un éditeur a mis par écrit le souvenir d’éléments rédactionnels de manière normalisée pour en conserver la mémoire.
Ces deux premières remarques nous amènent à la conclusion que les suscriptions ne proviennent probablement pas du texte original, mais qu’elles sont un ajout ultérieur à la rédaction. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elles soient fausses.
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Nous avons un exemple intéressant de suscription en dehors des psaumes. En 1 Samuel 22, se trouve retranscrit presque mot pour mot le psaume 18. Il se trouve que la suscription du psaume 18 est, elle aussi, retranscrite presque mot pour mot. Cela signifie que, les suscriptions existaient déjà à l’époque de la rédaction du livre de Samuel. Autrement dit, les suscriptions sont anciennes, donc proches de la rédaction (étant donné qu’une grande partie des psaumes datent de l’époque de David et peu après). Nous devons donc les considérer comme probablement fiables.
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À quelques reprises, le Nouveau Testament utilise les suscriptions. Par exemple, Jésus dit ceci en Marc 12.35-37:
Comment les spécialistes de la loi peuvent-ils dire que le Messie est le fils de David? En effet, David lui-même, animé par l'Esprit saint, a dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: “Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis ton marchepied.” David lui-même l'appelle Seigneur. Comment peut-il donc être son fils?
Ici, Jésus cite le psaume 110. La logique n’a de sens que si David, l’ancêtre biologique de Jésus, est bien l’auteur du psaume 110. Or, le texte du psaume 110 ne permet pas d’identifier David comme son auteur, seule la suscription fait ce lien. Jésus considère donc les suscriptions comme fiables.
On peut donc en conclure que les suscriptions ne sont pas originales, mais elles doivent être considérées comme fiables, à moins qu’un élément évident ne remette cette fiabilité en doute. C’est le cas, par exemple, du psaume 30. La suscription du psaume 30 le désigne comme “chant pour la dédicace de la maison” alors que le psaume n’évoque ni le temple, ni aucune autre maison. Il est possible que cette suscription ait été attachée à un autre psaume et qu’une erreur de copiste l’ait fait atterrir sur ce psaume.
Les suscriptions en quelques chiffres
- 116 psaumes ont une suscription. Parfois très longue, parfois très brève. 34 psaumes n’ont aucune indication. Quelques fois, comme pour le psaume 2, il n’y a aucune suscription, mais un autre texte biblique communique des informations de contexte (pour le psaume 2, Actes 4.25 indique que David en est l’auteur).
- Si l’on s’en tient aux suscriptions uniquement, 73 psaumes sont attribués à David, 11 psaumes aux descendants de Koré (dont un à Héman), 12 à Asaph, 2 à Salomon, 1 à Moïse et 1 à Ethan.
- Concernant le genre, 56 psaumes sont appelés "psaume" dans la suscription et 1 est appelé "psaume de reconnaissance", 13 sont appelés "chant", 1 "chant d’amour" et 1 "chant pour le sabbat", 5 sont appelés "hymne" et 1 "hymne pour enseigner", 4 sont appelés "prière" et 1 "prière d’un malheureux", 13 sont appelés "cantique", 1 "complainte" et 1 "louange". Je précise que j’utilise ici les termes de la Segond 21.
- Concernant la musique, 15 psaumes ont des indications concernant les instruments ou les voix. De plus, 11 psaumes font références à une mélodie existante (par exemple, 4 psaumes font références au chant: "Ne détruit pas").
- Concernant les destinataires, 55 psaumes sont adressés aux chefs de chœur (dont 2 spécifiquement à Jéduthun).
- Concernant les circonstances, 14 psaumes évoquent des circonstances spécifiques (ces 14 psaumes sont de David). De plus, 1 psaume (le 102) évoque des circonstances non spécifiques.
- Concernant d’autres indications, 2 psaumes sont dits "pour mémorial", et 15 psaumes sont dits "des montées".
Finalement, ces informations ne font pas partie des suscriptions, mais, alors que je relevais les suscriptions, j’ai constaté que 15 psaumes commencent par la même phrase: “Louez l’Éternel” (il s’agit des psaumes 105, 106, 107, 111, 112, 113, 117, 118, 135, 136, 146, 147, 148, 149, 150). Ces 15 psaumes n’ont pas de suscriptions.
Qu’est-ce que cela nous apprend d’utile?
Ces chiffres ne sont pas seulement des statistiques, ils nous révèlent des informations intéressantes sur le contexte historique des psaumes. J’aimerais donc maintenant faire 6 remarques utiles qui nous aident à nous immerger dans le monde des psaumes:
- La rédaction des psaumes s’étale sur plus d’un millénaire. Entre Moïse (Psaume 90) et jusqu’à l’Exil (Psaume 137), voire après l’Exile (Psaume 126). Durant plus de 1 000 ans, le livre des psaumes était un livre ouvert dans lequel de nouveaux psaumes se sont ajoutés. Le livre a été édité, compilé, jusqu’à sa forme finale que nous avons aujourd’hui.
- Même si la rédaction a duré des siècles, une bonne partie du livre date de David et peu après lui. En effet, la moitié des psaumes sont attribués directement à David. Et on peut ajouter les psaumes d’Asaph (voir 1 Chronique 16.7), ceux de Salomon et probablement tous ceux destinés aux chefs de chœur. Cela signifie qu’il faut bien connaître la période de la monarchie unifiée (époque des rois David et Salomon) pour comprendre le contexte des psaumes.
- Une grande partie des psaumes sont destinés au chef de chœur. Cela laisse supposer qu’ils étaient destinés à être chantés dans un cadre cultuel. Il s’agit, dans une large mesure, d’un recueil de chants d’assemblée. Ils peuvent naturellement être médités individuellement, mais ce n’est pas l’usage premier de ces textes.
- La forme finale du psautier est probablement le fruit de plusieurs étapes. Il y a d’abord eu la rédaction de textes individuels, puis l’élaboration de petits recueils (par exemples les chants des montées), puis l’élaboration de livres indépendants (depuis très longtemps, on a facilement identifié 5 livres des psaumes, car ils se terminent par des mots pratiquement identiques (livre 1: 1-41; livre 2: 42-72; livre 3: 73-89; livre 4: 90-106 et livre 5: 107-150)), et finalement, la compilation qui a donné la forme que l’on connait.
- Les psaumes expriment une panoplie importante d’émotions, dans des styles variés. Ils parlent dans toutes les situations de la vie humaine.
- Les psaumes étaient utilisés régulièrement en Israël. Il y a d’ailleurs des psaumes en dehors du Psautier: Le psaume de Jonas (Jn 2), celui d’Anne (1S 2), celui d’Habakuk (Ha 3), celui de Moïse (Ex 15), celui de David (2S 22), celui de Marie (Lc 1). Ces psaumes sont généralement inspirés plus ou moins librement du psautier. Cela laisse penser que les Juifs connaissaient les psaumes, et qu’ils étaient capables de s’en servir dans toutes les situations de la vie.
J’espère que ce petit tour d’horizon vous motive à lire, à méditer et à chanter les psaumes.