Derrière cette question apparemment simple se cache un vrai enjeu: le support influence-t-il notre manière de lire et de comprendre l’Écriture? Plutôt que d’opposer les deux formats, il s’agit d’explorer ce que chacun apporte… et ce qu’il fait perdre.
Deux situations récentes m’ont amené à réfléchir à ce sujet.
Je ne voudrais surtout pas laisser croire qu’il n’existerait qu’une seule "bonne" manière de lire la Bible, et que ce serait forcément sur papier. L’histoire montre bien que le rapport aux Écritures a beaucoup varié: pendant des siècles, la plupart des croyants n’avaient pas de Bible personnelle, et c’est uniquement lors du culte qu’ils pouvaient en entendre la lecture; aujourd’hui, chacun a dans sa poche l’équivalent d’une bibliothèque entière: des centaines de versions de la Bible, disponibles en un clic, dans toutes les langues du monde, directement sur son smartphone.
Chaque façon d’aborder le texte biblique – oralement, par écrit, sur papier ou sur écran – a ses forces et ses limites. Mais lorsque les habitudes changent, il vaut la peine de se demander ce que chaque format nous offre… et ce qu’il nous fait perdre. La question du support, papier ou numérique, mérite donc d’être posée.
Le format numérique de la Bible offre des avantages difficiles à surestimer. D’abord, sa portabilité: fini le poids des livres, on peut emporter sa Bible partout et la lire sans encombre. Ensuite, l’accès à de multiples traductions, certaines littérales, d’autres plus "dynamiques", c’est-à-dire qui privilégient le sens et l’intention du texte original plutôt que la traduction mot à mot. Une telle diversité permet d’adapter la lecture selon le contexte: étude approfondie, lecture pour des enfants, etc.
Le numérique ouvre également la Bible au multilinguisme, offrant un accès à tous, même dans des régions où les exemplaires imprimés se font rares ou dans des pays où les croyants seraient en danger si on les trouvait avec une Bible entre les mains. Les applications de lecture apportent en plus de précieux outils: plans de lecture, rappels pour maintenir une régularité, et versions audio, idéales pour écouter la Bible en déplacement.
À première vue, rien ne plaide en faveur du format papier… Mais n’y a-t-il pas des "pertes cachées" à lire la Bible sur écran?
Je suis convaincu que la réponse est “oui”. Voici les trois principales raisons pour lesquelles je privilégie personnellement la lecture de la Bible sur papier.
En premier lieu, le papier permet une meilleure concentration. Vous le savez comme moi, le grand avantage du smartphone est également son pire défaut: c’est un appareil multifonction qui nous permet de faire 1000 choses à la fois, mais qui, du coup, nous sollicite constamment. Toutes les minutes ou presque, un bip ou un dring résonne. Et vous êtes tenté de déverrouiller l’écran, de consulter vos messages, avant d’errer sans but à la recherche de la prochaine distraction.
À la différence d’un livre posé sur une table, qui reste tranquille jusqu’à ce que vous décidiez de le lire, votre smartphone vous interpelle constamment. Comme le dit un auteur, à l’ère numérique, “la distraction n’est pas un obstacle statique à éviter, elle vient vous chercher1”. Et petit à petit, nous devenons dépendants de ces interruptions, incapables de supporter le silence ou l’ennui. Quelques minutes sans notifications nous semblent insupportables.
Quelqu’un a demandé un jour à Tim Keller: “Pourquoi pensez-vous que les jeunes adultes chrétiens ont des luttes difficiles avec Dieu en tant que réalité vivante et personnelle dans leur vie?” Keller a répondu:
Le bruit et la distraction. Il est plus facile de twitter que de prier!
On peut reformuler sa remarque pour notre sujet: pourquoi est-ce si difficile pour de jeunes chrétiens de pratiquer une lecture assidue et attentive de la Bible? La réponse est la même: sur un écran, il est presque impossible de se plonger profondément dans le texte sans être constamment happé par quelque chose d’autre.
Ensuite, le papier contribue à une meilleure compréhension. Ces dernières années, plusieurs études ont évalué l’effet du support de lecture – papier ou écran – sur la compréhension de textes documentaires (manuels scientifiques, ouvrages universitaires) ou narratifs (fictions, romans). Une synthèse de ces recherches a été publiée dans le Educational Research Review sous le titre "Don’t throw away your printed books" ("Ne jetez pas vos livres imprimés")2.
Les résultats sont clairs: la compréhension d’un texte est significativement meilleure sur papier que sur écran. Il en ressort également que cette différence n’est pas due au fait que les habitudes de lecture sur écran seraient moins ancrées que celles sur papier. Au contraire, les études les plus récentes montrent que l’écart de compréhension entre écran et papier tend à s’accroître. En d’autres termes, plus nous lisons sur écran, plus notre capacité à comprendre un texte semble diminuer.
Quelle en est la raison? Il semblerait que la matérialité du livre soit le facteur décisif. Comme l’explique Frédéric Bernard, maître de conférences en neuropsychologie à l’université de Strasbourg:
La lecture d’un livre implique non seulement l’analyse et le traitement de ce qui y est écrit, mais aussi l’association entre un contenu et un objet riche d’un point de vue sensoriel. Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent et à mieux les retenir dans la durée3.
Enfin, le papier favorise une meilleure mémorisation. Les chercheurs parlent d’un “effet d’infériorité de l’écran” (screen inferiority effect). En clair: non seulement notre compréhension d’un texte diminue lorsqu’il est lu sur écran, mais nous retenons aussi beaucoup moins d’informations que lorsque nous le lisons sur papier.
Deux facteurs déjà évoqués plus haut contribuent à ce phénomène: la surcharge cognitive – les écrans encouragent le multitâche et le défilement continu, ce qui perturbe la lecture en profondeur – et l’absence de repères spatiaux – contrairement aux livres physiques qui offrent des indices visuels (pages tournées, position du texte) facilitant la mémoire. Mais le facteur le plus décisif est sans doute la tendance au survol: sur écran, nous parcourons souvent le texte rapidement plutôt que de le lire attentivement et de manière analytique.
Comme le souligne le Centre d’apprentissage Oxford:
Chez les étudiants plus âgés, des recherches utilisant la technologie de suivi oculaire ont montré que ceux qui lisaient sur papier abordaient le texte avec plus d’attention, en relisant fréquemment les détails importants. À l’inverse, les étudiants qui lisaient sur écran avaient tendance à survoler, ce qui limitait leur capacité à retenir durablement les informations lues4.
En définitive, le papier reste le meilleur support pour l’étude approfondie de la Bible. Les applications sur smartphone sont pratiques – toujours à portée de main, avec plusieurs versions disponibles – mais pour vraiment plonger dans les Écritures, les comprendre en profondeur et les méditer, rien ne vaut le format papier.
Et même si emporter sa Bible à l’église paraît moins pratique, je vous encourage vivement à le faire. Lire et suivre directement dans votre Bible favorise la concentration, la compréhension et la mémorisation. Même si le texte est projeté ou accessible sur smartphone, avoir sa Bible papier en main permet de s’engager davantage dans l’écoute de la prédication… et d’en retirer bien plus!
webinaire
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Orateurs
B. Eggen