L’engendrement éternel du Fils: une doctrine biblique

      TrinitéDoctrine du Christ
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      Le Fils est engendré éternellement par le Père. Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce vraiment ce que la Bible enseigne?

      Cet article est plus technique que d’habitude, car adapté d’une dissertation faite dans le cadre de mes études. Vu le peu de ressources en français sur le sujet, il m’a paru bon de le publier quand même.

      L’engendrement éternel du Fils est un terme quasiment méconnu dans nos milieux chrétiens. Lorsqu’il est connu, ce terme est remis en cause comme n’ayant pas de fondements bibliques. Pourtant, la doctrine de l’engendrement éternel du Fils se retrouve dans un grand nombre de confessions chrétiennes historiques. Robert Letham écrit que l’engendrement éternel du Fils a été “confessé à travers les siècles par l'Église – orientale et occidentale; orthodoxe, catholique et protestante1”.

      L’engendrement éternel du Fils n’est pas une doctrine spéculative, mais se base bel et bien sur la révélation de Dieu dans l’Écriture. Cet article vise à exposer les bases bibliques de la doctrine.

      Selon Jean, Jésus est le Fils "unique engendré"

      La notion "d’engendrement" du Fils par le Père se retrouve de manière directe dans plusieurs textes de l’Évangile selon Jean (Jn 1.14; 1.18; 3.16; 3.18), même si la plupart des traductions modernes ne reflètent pas cette réalité.

      Historiquement, ces textes ont été compris comme enseignant que la deuxième personne de la Trinité était "le Fils unique engendré", traduisant le terme grec μονογενής2 (monogenes). Ce consensus a été remis en question au 20ᵉ siècle, lorsque plusieurs théologiens ont soutenu que μονογενής devrait être traduit comme signifiant "unique" ou "le seul de son genre", plutôt qu’avec la notion "d’engendrement"3. Aujourd’hui, la plupart des traductions bibliques reflètent ce nouveau consensus, enlevant par là certains des textes clés qui étaient auparavant utilisés pour enseigner l’engendrement éternel du Fils.

      Ces textes ne sont pas les seules bases bibliques de l’engendrement éternel du Fils. Il est donc possible de ne pas y voir l’engendrement éternel du Fils tout en reconnaissant que cette doctrine est enseignée ailleurs dans l’Écriture4. Cependant, la question se pose de savoir si le changement de consensus est fondé.

      Une contribution récente dans le milieu académique de Charles Lee Irons a pour but de défendre la position traditionnelle, bien que non populaire aujourd’hui, selon laquelle le mot μονογενής dans Jean devrait être traduit par "seul engendré"5. Irons répond premièrement à l’affirmation selon laquelle la traduction "seul engendré" serait apparue seulement au 4ᵉ siècle en raison de l’arianisme6. Il fait ensuite appel à l’étymologie du mot, non pas pour défendre que μονογενής veut nécessairement dire "seul engendré", mais plutôt pour répondre à l’objection de ceux qui font appel à l’étymologie pour soutenir que μονογενής ne peut pas signifier "seul engendré". Irons montre que cette objection n’a pas de fondements7.

      Ayant répondu aux objections principales contre sa position, Irons présente ensuite un ensemble d’arguments visant à justifier la traduction de μονογενής comme signifiant "seul engendré". Irons ne veut pas dire que μονογενής veut toujours dire "seul engendré" et ne veut jamais dire "le seul de son genre"8. Il cherche plutôt à distinguer entre la "signification biologique littérale" qui est "seul engendré, n’ayant pas d’autres frères et sœurs", et "d’autres extensions métaphoriques variées", y compris des extensions qui visent une utilisation scientifique, où μονογενής veut effectivement dire "le seul de son genre"9. En d’autres termes, le fait que le terme est parfois utilisé de cette manière (comme extension métaphorique) ne veut pas dire que son sens plus littéral n’est pas présent ailleurs.

      Ensuite, Irons interagit avec Jean 1.14 et Jean 1.18, démontrant comment ces passages ne peuvent être compris qu’avec un "sens métaphorique biologique", par lequel μονογενής est traduit comme signifiant "seul engendré"10.

      À la lumière de la démonstration faite par Irons, des retours positifs qu’il a reçus en milieu académique, et de la longue tradition qui comprend μονογενής dans Jean comme signifiant "seul engendré", il semble fondé de maintenir la notion d’engendrement éternel du Fils par le Père dans les textes de l’Évangile selon Jean (Jn 1.14; 1.18; 3.16; 3.18). Dans l’Évangile selon Jean, le Fils est désigné comme celui qui est engendré par le Père. Cela nous force donc à nous poser la question: que signifie cet engendrement?

      Selon Jean 5.26, le Fils possède l’essence divine par le Père

      Un autre texte de l’Évangile selon Jean aide à comprendre ce que signifie cet engendrement du Fils par le Père. Dans le contexte, Jésus explique pourquoi il peut faire tout ce que le Père fait (v. 19) et pourquoi il doit être honoré comme le Père l’est (v. 23). La raison est donnée au verset 26, où Jésus déclare à propos de lui-même:

      En effet, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même.

      Jean 5.26

      Il y a trois choses importantes à soulever dans ce verset, en lien avec notre sujet.

      Premièrement, il n’y a pas de différence entre ce que le Père et le Fils ont: le Fils a "la vie en lui-même", tout comme le Père a "la vie en lui-même". C’est pour cela que le Fils peut faire ce que le Père fait (v. 19) et c’est pour cela qu’il doit être honoré comme le Père l’est (v. 23).

      Deuxièmement, cette "vie en lui-même" doit être comprise comme étant la vie divine, celle qui est propre à Dieu uniquement et qui existe nécessairement d’elle-même11. Ainsi, le Père et le Fils ont la même essence divine.

      Troisièmement, ce passage pointe vers une distinction dans la manière dont le Père et le Fils possèdent cette unique vie divine. La différence n’est pas dans ce qu’ils ont, mais dans la manière dont ils l’ont. Le Fils a cette vie de la part du Père (le Père "a donné au Fils").

      Comme la vie en question est la vie divine, alors cela fait nécessairement référence à un état éternel, et non à un acte qui a eu lieu dans le temps12. Le Fils reçoit de manière éternelle l’unique essence divine de la part du Père. Jean 5.26 explique donc ce que signifie pour le Fils d’être "engendré" par le Père, ce que les textes précédents en Jean ont établi. Cet engendrement signifie que le Père communique éternellement l’essence divine au Fils.

      Des images qui pointent vers la relation interne Père-Fils

      L’Écriture utilise d’autres images pour révéler la relation intra-trinitaire qui existe entre le Père et le Fils de toute éternité. Jean 1.1 décrit la deuxième personne de la Trinité comme étant la "Parole". Colossiens 1.15 nous dit que le Fils est "l’image" du Dieu invisible. Hébreux 1.3 décrit le Fils comme étant le "rayonnement" de la gloire de Dieu. Comme Scott Swain l’observe, ces images ne sont pas de "simples décorations"13. Elles font partie de la révélation que Dieu nous a donnée pour faire connaître qui il est en lui-même, pointant vers la relation interne qui existe entre le Père et le Fils14.

      En particulier, ces images pointent vers une relation d’origine, où le Fils est décrit comme tirant son origine du Père. Swain explique comment, selon ces images, “la personne du Père est la source éternelle de la personne du Fils: le Fils est la parole de Dieu, l’image du Dieu invisible, le rayonnement de la gloire du Père”. Ces images révèlent la relation interne qui existe au sein de la Trinité, et décrivent des "relations d’origine": le Fils vient du Père.

      Le fait que le Fils tire son origine du Père ne nie pas l’égalité d’essence qui existe entre le Père et le Fils: le Fils est ὁμοούσιος (homoousios) avec le Père. Au contraire, cette relation d’origine préserve l’égalité d’essence. Ces images décrivent une relation d’origine, mais pointent également vers une “correspondance ontologique complète entre le Père et le Fils15”. La même chose pourrait être dite de Jean 5.26, vu précédemment. Le fait que le Fils reçoit la vie divine de la part du Père n’implique pas d’infériorité ontologique, mais sécurise plutôt le fait que le Père et le Fils subsistent dans la même essence divine.

      Conclusion: une doctrine bibliquement fondée

      L’Écriture révèle donc la relation entre le Père et le Fils au sein de la Trinité comme une relation par laquelle le Fils est engendré du Père. C’est cela qui fait que le Fils est Fils: le Fils est le Fils du Père. Il est le Fils parce qu’il est celui qui est engendré.

      Bien sûr, comme tout discours théologique à propos de Dieu, cela doit être compris de manière analogique. L’engendrement du Fils décrit une vérité à propos de Dieu, mais le fait en utilisant un terme qui ne peut pas être appliqué à Dieu sans aucune qualification. Comme l’écrit Irons, en faisant référence à la notion d’engendrement:

      Comme toutes les métaphores, il y a des points de discontinuité notoires16.

      Par exemple, il est important de souligner que cet engendrement est éternel. Il ne s’agit pas d’un acte qui aurait eu lieu dans le temps, avec un début et une fin. De plus, dire que le Fils tient son origine du Père ne veut pas dire qu’il aurait été créé par le Père. Comme le Symbole de Nicée l’exprime, le Fils est "engendré, non créé".

      L’engendrement éternel du Fils permet plutôt de maintenir que le Fils est Dieu sans aucun soupçon d’infériorité, tout en maintenant qu’il est distinct du Père. Comme Kevin DeYoung l’exprime:

      L’engendrement éternel du Fils est la manière par laquelle le Fils peut être tout aussi divin que le Père, et en même temps le Fils n’est pas la même personne que le Père17.

      Ce dernier aspect – la notion des distinctions entre les personnes au sein de la Trinité, sera l’objet d’un prochain article.




      Benjamin Eggen

      Benjamin est marié à Jessica, papa d'une petite fille, et pasteur-adjoint de l’Église Protestante Évangélique de Bruxelles-Woluwe. Il a fait ses études à l’Institut Biblique de Bruxelles, où il enseigne ponctuellement. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Soif de plus? et Qu’est-ce que tu crois?. Vous pouvez le suivre sur sa chaîne YouTube.

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