L’autocensure des chrétiens dans l’espace public est l’un des défis majeurs que l’Église doit surmonter pour témoigner de la vérité qui est en Christ. Ce phénomène, loin d’être un simple réflexe social, est le résultat d’un mécanisme plus profond et plus insidieux: le totalitarisme soft.
Ce dernier impose lentement une idéologie dominante à travers la culture, les lois et les institutions, réduisant au silence ceux qui refusent de se conformer à ses exigences.
Ce phénomène découle en grande partie d'une forme de contrôle social et idéologique appelée le "totalitarisme soft".
Nous explorerons les différents leviers par lesquels ce totalitarisme soft se déploie et les enjeux qu’il représente pour la liberté d’expression du chrétien.
Avant d'aborder le concept de "totalitarisme soft", il est nécessaire de définir le totalitarisme.
Il s’agit d’un système politique dans lequel l’État exerce un contrôle absolu sur toutes les sphères de la vie publique et privée. L'État impose une idéologie unique et élimine toute forme d'opposition. Les libertés fondamentales – conscience, expression, politique, culte et presse – sont supprimées.
La censure, la violence et la répression sont les armes qui soutiennent l’idéologie du régime et lui garantissent son monopole.
Le totalitarisme cherche à soumettre les individus en les poussant à confesser des croyances auxquelles ils ne croient pas. Il pousse les hommes à vivre dans le mensonge afin qu’il devienne progressivement vérité.
Alexandre Soljenitsyne le définissait ainsi:
Le système totalitaire n'exige pas tant de croire au mensonge, mais de vivre comme si ce mensonge était la vérité.
L’Archipel du Goulag, 1973
L'exemple le plus emblématique de cette forme de contrôle est le régime soviétique, ou encore la dystopie 1984 de George Orwell, qui le décrit à merveille.
Dans Le discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie suggérait que les individus peuvent être asservis soit par la contrainte, soit par la tromperie.
Si le totalitarisme utilise la contrainte, sa version "soft" use de la tromperie.
Dans son ouvrage Résister au mensonge (Artège, 2020), Rod Dreher le définit comme un néo-totalitarisme qui gangrène progressivement l’Occident:
Il ne s’établit pas par des méthodes "dures" comme la révolution armée, et n’impose pas sa loi par les goulags. Son contrôle, au début du moins, il l’exerce au contraire à la manière douce. C’est un totalitarisme thérapeutique. Il cache sa haine des réfractaires à son idéologie utopique derrière le masque de l’aide et de la guérison.
p. 26
Le totalitarisme soft a en commun avec le totalitarisme le désir d’hégémonie, mais il diffère dans la méthode. Le totalitarisme soft ne s’impose pas violemment, mais en douceur, petit à petit. Il utilise la culture, le politiquement correct, la manipulation médiatique, le changement d’une loi, puis d’une autre. En douceur, il sature l'imaginaire social et transforme progressivement les normes éthiques et culturelles de la société.
Dreher ajoute:
Le (soft) totalitarisme d’aujourd’hui exige l’allégeance à un ensemble de croyances progressistes incompatibles avec la plus élémentaire logique – et certainement avec le christianisme.
p. 26
En effet, si la sécularisation a produit l’effacement du cadre transcendant et des normes morales reconnues comme universelles, le relativisme qui en découle (“à chacun sa vérité”) n’est qu’une posture de façade. Les nouveaux détenteurs du bien exigent toujours des autres qu’ils s’y soumettent.
Dans un contexte pluraliste, où différentes visions du monde se confrontent, le néo-marxisme, qui a émergé dans les années 1960, joue un rôle central, car c’est lui qui a remporté la guerre culturelle.
Le néo-marxisme se fonde sur l’herméneutique marxiste pour interpréter tout rapport humain sous l'angle de la lutte des oppresseurs contre les opprimés.
Le néo-marxisme culturel a adapté la thèse de la dictature du prolétariat pour la mettre au bénéfice des minorités. Dans cette version, l'oppression ne se limite pas aux questions économiques, mais devient psychologique et subjective. Les minorités doivent renverser le diktat de la majorité au nom de la diversité et de l’inclusivité.
Selon cette logique, les minorités sont les victimes d’une oppression historique fondée sur les valeurs judéo-chrétiennes, qui doivent être éradiquées au nom de l’émancipation personnelle.
Dans une société sécularisée où la morale a été psychologisée et la sexualité devenue un terrain de lutte identitaire, la tolérance est désormais érigée en vertu suprême. Les questions de sexualité et d'identité sont devenues les enjeux centraux de cette société. C’est à travers elles que l'on déconstruit ce qui est perçu comme oppressif, à savoir la vision biblique du monde.
Dans ce cadre, les minorités sont présentées comme les victimes d'une tyrannie "systémique" imposée par une morale patriarcale archaïque et intolérante. Pour mener cette révolution culturelle, le néo-marxisme s'appuie donc sur son arme la plus puissante: libérer la sexualité et déconstruire l'identité, considérées comme des éléments fondamentaux de l'oppression à renverser.
Aujourd'hui, cette idéologie justifie la domination des discours victimaires et l'ascension de la "police de la pensée" dogmatique, qui cherche à faire taire toute position divergente sous prétexte de protéger la dignité des minorités ou des personnes offensées. C’est une censure thérapeutique: on ne juge pas de la valeur d'un raisonnement en fonction de sa démonstration objective, mais selon le fait qu’il puisse offenser la subjectivité.
La maîtrise du récit médiatique et de l’industrie audiovisuelle est la clé du totalitarisme soft. En effet, prendre le contrôle de la dialectique, c’est dominer les conversations, débats et discussions publiques en imposant ses propres termes et son cadre de pensée. Des slogans comme: “Mon corps, mon choix”, “Aimer ne peut pas être mal” ou “Les droits des transgenres sont des droits de l’homme” l’illustrent bien. Ces phrases, simples mais percutantes, imposent une réalité tout en masquant la complexité des débats. Ce contrôle du langage est plus qu’une stratégie: il est une manière de conditionner la société à accepter, sans discussion, des idéologies qui vont à l'encontre de ce qu’elle pense.
Aujourd’hui, le néo-marxisme est en quasi-contrôle de la dialectique grâce à son "hégémonie culturelle" dont rêvait le philosophe marxiste Antonio Gramsci.
Selon lui, détenir le monopole du discours, c’est détenir le monopole de la raison et de la vertu.
Prendre le contrôle de la dialectique et du langage, c’est prendre le contrôle de la pensée.
Ainsi, le magistère "du bien" détient la raison et la vertu et décide en son propre nom ce qu’il convient de penser.
En bref, celui qui contrôle la parole publique impose son idéologie. Un véritable terrorisme intellectuel.
Une des stratégies clés du totalitarisme soft consiste à stigmatiser ceux qui osent exprimer publiquement des convictions contraires à l'idéologie progressiste.
Si vos propos heurtent la représentation que les gens ont d’eux-mêmes, vous êtes immédiatement étiqueté comme "haineux". Oui à la liberté d’expression pour les progressistes, non pour les "réacs", autour desquels il faut ériger un cordon sanitaire, puis les "cancel".
À cause du totalitarisme soft, l’artiste – le vrai – se doit d’être de gauche, la musique – la bonne – doit promouvoir la transgression. Le cinéma – l’authentique – doit déconstruire les stéréotypes judéo-chrétiens. Le journaliste – le vertueux – doit être un militant. L’éducation sexuelle – l’émancipatrice – doit promouvoir la fluidité de genre et de sexualité, etc.
Prendre le monopole de la culture, c’est prendre le monopole de la morale. La prise d’otage de la cérémonie d’ouverture des JO Paris 2024 en était le parfait exemple.
De fait, le discours progressiste domine le politique, l'establishment de l’audiovisuel public ou privé, l’éducation nationale et l’université, l’industrie du cinéma, de la musique, les publicitaires, les acteurs sociaux et les services chargés de la diversité et de l’inclusion dans les entreprises…
Considérez comment les géants du streaming tels que Netflix ou Disney+ ont progressivement façonné, au fil des années, un environnement ultra-progressiste et woke. Surreprésentation systématique de personnages LGBTQIA+, qui, aujourd'hui, ont leur propre catégorie entre celle de l'horreur et du drame. Parallèlement, ces plateformes promeuvent un érotisme toujours plus transgressif, tout en dénigrant ouvertement la vision chrétienne du monde.
Tout cela, saupoudré d’un moralisme lénifiant conçu pour faire plier le réel à leur idéologie. Ce n'est pas simplement pour vous divertir: c'est une manière de façonner votre conscience et de vous inculquer des valeurs qui étaient auparavant considérées comme immorales.
Ainsi, l’imaginaire social est gagné à la réalisation d'un avenir où les questions de sexualité et d’identité seront définitivement libérées de tout jugement et où sera identifiée comme d’extrême droite toute pensée "conservatrice" ou qui se rapproche du cadre biblique.
Cela ne veut pas dire que ce progressisme soit majoritaire au sein de la population, mais qu’il impose sa vision du monde et ses valeurs comme étant la norme.
Puisque la culture influence le politique, nous avons de quoi nous inquiéter.
Hier l’avortement, puis sa constitutionnalisation; le mariage pour tous, la promotion de la théorie du genre. Demain, la GPA, l’euthanasie…
Jamais notre société ne voudra renoncer à ce "progrès". La bataille semble perdue.
Pourtant, les prêtres de ce progressisme passent leur temps à nous alerter du danger de la montée de la vague fasciste.
Pourquoi? Réponse dans le point suivant.
Qui sont ces fascistes si dangereux pour notre société? Ceux qui disent ouvertement qu’ils sont contre l’avortement, le mariage homosexuel, l’enseignement de la théorie du genre aux mineurs, ceux qui ne sont pas d’accord avec la pensée féministe woke… Parmi ces gens se trouvent les chrétiens (une bonne partie d’entre eux en tout cas).
Dès lors, c’est la carte de l’ad hominem qui est jouée afin de diaboliser celui qui s’oppose à la bien-pensance. Il faut s’attaquer à la moralité de celui qui ne fait pas allégeance aux valeurs progressistes. En effet, si vous êtes un "___phobe", cela légitime que l’on vous censure. On ne débat pas avec le diable.
Jamais le point Godwin n’a été autant franchi qu’à notre époque. Le magistère progressiste frappe d'interdit et psychiatrise l’intolérant "conservateur". Ce dernier souffre de phobies, c’est donc lui le fou. Voyons maintenant comment le faire changer.
Réduire les contradicteurs à des dangers pour la société alimente un activisme de plus en plus agressif. Cela justifie l'augmentation des moyens alloués au contrôle et au changement de la pensée. Le totalitarisme soft utilise plusieurs leviers pour imposer cette transformation idéologique.
Il crée de nouvelles lois qui ouvrent de nouveaux droits, souvent sous le prétexte de la protection des minorités. Ces transformations légales ne sont pas seulement théoriques, elles ont des conséquences concrètes sur la liberté de pensée et d’expression.
Ce contrôle se manifeste aussi par l'imposition d'un langage et de concepts spécifiques, comme l'introduction du mégenrage ou du terme "dysphorie de genre" dans le DSM-5, réorientant ainsi le discours médical pour légitimer des idéologies progressistes.
Le totalitarisme soft s'étend également à l'éducation, en mettant en place des programmes d'éducation sexuelle où l'enseignement est (souvent) délégué à des associations militantes pro-LGBTQIA+, subventionnées pour promouvoir la fluidité de genre et "les sexualités" sous couvert d’inclusivité.
Enfin, il promeut des événements comme le mois des fiertés (dont le capitalisme woke s’est très bien emparé) ou les Gay Prides. Ces événements ne sont pas seulement des manifestations culturelles, mais des instruments puissants de normalisation et d'imposition du néo-marxisme culturel.
Pensons au harcèlement que subit J. K. Rowling pour avoir dit que seules les femmes ont des règles. Ou à Dora Moutot et Marguerite Stern menacées de mort et interdites de débats pour leur livre Transmania. Que dire du philosophe Éric Marty ou des psychologues Caroline Eliacheff et Céline Masson également agressés et menacés lors de leurs conférences? Sommes-nous encore seulement au stade du terrorisme intellectuel?
Ces lois transforment les désaccords intellectuels en délits d'opinion. Cette pénalisation permet de traduire les "dissidents" devant les tribunaux et d’en faire des délinquants haineux.
Prenons pleinement la mesure de l'enjeu: ériger juridiquement une idéologie qui nie la réalité biologique et matérielle, tout en contraignant les individus à se soumettre à cette idéologie, n'est-ce pas là l'essence même du totalitarisme?
La liberté consiste à pouvoir dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit.
George Orwell, 1984, Livre 1, chapitre 7
Qu’est-ce que l’ensemble de ce que je viens de décrire induit comme type de réflexe? Qui a envie d’être accusé de transphobie ou de fascisme pour avoir dit qu’un enfant doit avoir un père et une mère?
Le climat instauré par le totalitarisme soft pousse les chrétiens à s’autocensurer lorsqu’ils doivent exprimer leurs convictions éthiques.
Le totalitarisme soft, sous couvert de tolérance et d'inclusivité, incite les chrétiens à se retirer des débats publics afin d’éviter d’être accusés d’intolérance. Ce processus de diabolisation rend le simple fait d’exprimer une opinion chrétienne sur des sujets comme le mariage ou la famille une action risquée.
Dans cette société, où Dieu nous a placés, quelles seraient les conséquences de notre silence?
Comment résister à la tentation du repli sur soi, de la compromission ou de la haine?
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À l’apôtre Pierre de conclure:
Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison, mais faites-le avec douceur et respect, en gardant une bonne conscience, afin que là même où ils vous calomnient comme si vous faisiez le mal, ceux qui critiquent votre bonne conduite en Christ soient couverts de honte. En effet, il vaut mieux souffrir, si telle est la volonté de Dieu, en faisant le bien qu’en faisant le mal.
1 Pierre 3.15-17
webinaire
Politique et chrétien: que devons-nous attendre d’un gouvernement?
Découvre ce replay du webinaire de Thierry Le Gall et Florent Varak sur la question de l’engagement politique du chrétien, enregistré le 17 Février 2022.
Orateurs
F. Varak et T. Le Gall