L’année passée, le pasteur John Piper a répondu à la question suivante sur son podcast, Ask Pastor John: "Y a-t-il une place pour les femmes professeures en faculté de théologie?" Dans les jours qui ont suivi l'épisode, internet a été inondé de débats animés sur la question!
Le temps ne me permet pas de débattre sur tous les points de son argumentaire, mais j’aimerais aller l’essentiel. Selon Piper « Le rôle des facultés de théologie est de préparer les hommes à la direction pastorale dans une congrégation. » Piper croit que les facultés de théologies sont plus efficaces lorsqu’elles se concentrent sur la formation des pasteurs1.
Il me semble, en toute humilité, que ceci est une vision étroite de l’objectif de la formation théologique. Je comprends que Piper veuille limiter l’accès au corps professoral des femmes dans les facultés de théologie. Mais son argument, qu’il faut comprendre dans le contexte de sa vision du rôle des facultés de théologie, semble vouloir exclure les femmes à tous les niveaux.
J’apprécie John Piper. Il a eu une énorme influence dans ma vie par ses livres et ses podcasts. Et dans cet article, Pastor John précise, « La question n’est pas de savoir si les femmes devraient suivre des cours dans une facultés de théologie et obtenir les meilleures bases bibliques possibles. » Pourtant, d’après son point de vue sur le rôle des facultés de théologie, il semble qu’il n’y aurait de place ni pour des femmes dans le corps professoral, ni pour des femmes qui ressentent un appel au ministère.
Pourquoi cela? Parce que Piper soutient que « Le rôle du professeur en faculté n’est pas seulement d’enseigner la théologie, mais d’être un exemple, un mentor, un guide, une incarnation de la charge pastorale en préparant les hommes à remplir cette charge à venir. » Puis, il ajoute: « Plus on fait de distinctions entre l’enseignant de faculté et l’enseignant-pasteur, plus on échoue à produire le genre de formation en faculté enrichi par la modélisation de pasteurs-mentors expérimentés. »
Je comprends son raisonnement. Le danger est que nos facultés de théologie évangéliques deviennent des « tours d’ivoire » où la théologie est transmise sans discipulat ni mentorat, ce que seul un ministre de l’évangile expérimenté peut donner. Mais si les facultés de théologie préparent les hommes et les femmes à des divers postes de service, pourquoi ne pas inclure des spécialistes dans une diversité de ministères?
J’ai obtenu mon master dans une faculté de théologie conservatrice, Moody Theological Seminary (MTS). J’y suis allée sur les conseils de mon mentor à l’université, un professeur de The Master’s Seminary – on ne peut pas être bien plus conservateur que ça! Environ la moitié des étudiants à MTS étaient des femmes, et je n’en connaissais aucune qui se préparait pour le pastorat. D’ailleurs, beaucoup des gars n’étaient pas là forcément avec la vision de devenir pasteurs non plus. Parmi les filles, plusieurs ressentaient un fort appel pour la mission. D’autres avaient un cœur pour le ministère auprès des femmes ou des enfants dans l’église locale. D’autres encore se sentaient interpellées par le ministère des sports, le ministère en milieu urbain, la traduction de la Bible, le counseling biblique, l’aumônerie, etc.
En tant que complémentariste, je ne milite pas pour que les femmes enseignent la théologie en faculté de théologie. Aucune ne l’a fait au mien. Mais nous avions une professeure qui enseignait les méthodes de recherche, et d’autres facultés de théologie conservatrice ont des femmes qui enseignent les langues bibliques, la missiologie et d’autres disciplines du genre.
La plupart des étudiantes de ma faculté ont étudié dans des programmes de maîtrise en deux ans. Étant « l’intello de la classe » que je suis, j’ai choisi le MDiv de 3 ans, un programme plus rigoureux sur le plan académique, qui exigeait deux ans d’étude de grec koinè et un an d’hébreu biblique. Comme on pouvait s’y attendre, je faisais partie d’une très petite minorité de femmes de ce genre.
Mon expérience comme seule femme dans certains de mes cours m’a convaincue de l’importance d’une présence féminine dans la formation théologique. Le problème c’est que sans la présence des femmes la formation pastorale ne permet d’entendre que la perspective masculine des choses. Je vais citer un seul exemple.
Dans un de mes cours de prédication, un étudiant a donné un message dans lequel il a illustré son argument en racontant une histoire plutôt négative sur sa femme. Je lui a fait part de mon interrogation à ce sujet et ce frère bien intentionné m’a répondu: « Mais tout s’est bien terminé, et elle a appris une leçon de grande valeur. » Il me semble pourtant que la femme d’un pasteur est déjà suffisamment la cible des critiques faciles sans que son époux ne fournisse en plus de nouvelles munitions! Si je n’avais pas été là, je ne suis pas sûre que les hommes dans ce cours auraient pensé à faire un telle intervention…
Cette expérience et d’autres similaires en tant qu’une des seules femmes en MDiv m’ont rendue reconnaissante. D’abord, pour le fait que les portes à la formation théologique nous aient été ouvertes des décennies auparavant. Et deuxièmement, pour l’opportunité d’être une voix dans la vie des futurs pasteurs et leaders.
Lors de mes deux dernières années de séminaire, 90% de mes camarades étaient des hommes, à cause de la structure du programme MDiv. Ces frères me respectaient et me donnaient une place à la table, que ce soit à la cafétéria ou en classe. Et j’aimerais croire que, d’une certaine façon, cette camaraderie a contribué à la façon dont ces hommes perçoivent les femmes dans leurs ministères actuels.
Je suis d’avis que, pour que les pasteurs puissent entendre la voix des femmes dans leurs églises aujourd’hui, ils ont tout avantage à les entendre tout au long de leur formation, que ce soit de la part de membres féminins du corps professoral, ou que ce soit des d’étudiantes. Parce que, que ce soit à l’académie ou à l’église, quand les hommes n’entendent que des hommes, le son est monotone. Mais quand une diversité de voix parle, la beauté du royaume de Dieu ressemble plutôt à un chorale harmonieuse.
1. https://cbmw.org/topics/complementarianism/what-the-debate-about-female-seminary-professors-is-not-about/