Que penser des traitements psychiatriques?

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      Cet article est le second d’une série de deux: après avoir examiné les diagnostics dans un premier volet, nous allons à présent aborder la question des traitements psychiatriques.

      Prozac, Ritalin, Xanax: nous connaissons tous les noms de ces médicaments psychoactifs. Il s’agit d’antidépresseurs, de psychostimulants ou d’anxiolytiques fréquemment prescrits par les médecins. Mais que devons-nous en penser? S’agit-il d’outils providentiels donnés par Dieu pour soulager la souffrance mentale? Ou devons-nous les considérer comme des "échappatoires" et insister sur le fait qu’une attitude de dépendance à Dieu est tout ce qui est vraiment nécessaire en cas de troubles mentaux?

      Nous vivons à une époque où de plus en plus de problèmes de la vie sont attribués à un dysfonctionnement du cerveau.

      Selon lui, cette hypothèse est pourtant largement discutable (voir notre précédent article sur les diagnostics psychiatriques). Il poursuit néanmoins:

      La médication est [donc] présentée comme un aspect important (si ce n’est le plus important) du traitement au sein de la communauté psychiatrique. [Et] dans la pensée populaire, c’est souvent le traitement de choix1.

      C’est pourquoi il est important que les chrétiens en général, et ceux qui sont engagés dans un ministère d’accompagnement en particulier (pasteurs, conseillers, etc.), possèdent des connaissances de base sur les médicaments psychoactifs.

      Des "bombes" intelligentes ou conventionnelles?

      Un médicament est considéré "psychoactif" quand il est composé d’une substance chimique conçue pour pénétrer dans le tissu cérébral et agir sur l’état du système nerveux central, afin de provoquer des changements d’humeur, de perception ou de comportement. Les principales classes de médicaments psychoactifs sont: les hypnotiques (ou somnifères), les anxiolytiques (ou tranquillisants), les antidépresseurs, les neuroleptiques (pour traiter la schizophrénie, p. ex.), les stabilisateurs d’humeur (pour traiter les troubles bipolaires, p. ex.) et enfin, les psychostimulants.

      Trois remarques s’imposent immédiatement.

      • La première, c’est que – selon l’image employée par Michael R. Emlet – plusieurs de ces médicaments ressemblent moins à des "bombes intelligentes" agissant de manière chirurgicale qu’à des "bombes conventionnelles" ayant un effet généralisé sur le cerveau. Il explique:

        Ce manque de spécificité nous rappelle à quel point notre compréhension est limitée concernant la composante neurobiologique des problèmes psychiatriques2.

      • Deuxièmement, le potentiel de tolérance de certains de ces médicaments (surtout les anxiolytiques) est très élevé. Le risque de développer une dépendance à leur égard, puis des difficultés de sevrage, est donc très grand.

      • Notons enfin que les effets secondaires sont courants avec chacune de ces classes de médicaments psychoactifs.

      Ces quelques considérations devraient nous encourager à être pour le moins prudents, et à ne prendre de tels médicaments qu’après mûre réflexion.

      Leur fonctionnement: traitent-ils un "déséquilibre chimique"?

      Un autre facteur qui devrait nous inciter à la prudence est que nous ne savons pas exactement comment les médicaments psychoactifs fonctionnent.

      Ce que nous savons, c’est que les neurones de notre cerveau communiquent entre eux via des substances chimiques appelées "neurotransmetteurs" (sérotonine, dopamine, etc.). Il est généralement admis que les troubles mentaux résultent d’un déséquilibre ou d’un dérèglement de ces "neurotransmetteurs". Par exemple, la dépression résulterait d’une carence en sérotonine – carence qu’il suffirait de combler au moyen d’un antidépresseur pour traiter le problème.

      Mais que savons-nous réellement du fonctionnement de ces médicaments psychoactifs? Pas grand-chose, selon Michael R. Emlet. D’une part, nous sommes incapables de mesurer les niveaux de "neurotransmetteurs" dans le cerveau d’une personne sous traitement psychiatrique, ce qui fait qu’on ne peut pas prouver de manière définitive que ceux-ci sont responsables d’éventuels changements chez le patient. D’autre part, nous ne savons pas vraiment si ces médicaments traitent un "déséquilibre chimique" dans le cerveau. Au lieu de s’en tenir à cette notion simpliste, il serait plus exact de dire que “ces médicaments sont probablement impliqués dans des changements au niveau du réseau neuronal et de la neurotransmission dans le cerveau, mais que cela reste non prouvé à l’heure actuelle3”.

      Leur efficacité: solution miracle ou effet placebo?

      Bref, nos connaissances sur le fonctionnement de ces médicaments sont très incomplètes. Nous avons encore beaucoup à apprendre. Il est donc judicieux de faire preuve de prudence à leur égard, d’autant plus que leur efficacité n’est pas garantie.

      Bien trop souvent, les médicaments psychoactifs sont présentés comme la solution miracle. Or, si ces médicaments sont généralement efficaces (comparés à un placebo), les études cliniques ne disent rien, en fin de compte, sur la façon dont une personne réagira (ou non) à… un antidépresseur, par exemple.

      Des études ont par ailleurs montré qu’une thérapie séculière (type TCC) est aussi efficace que la médication après quatre mois de traitement. La médication peut certes apporter une aide plus rapide que la thérapie, mais les médicaments ne constituent, en fin de compte, qu’une petite partie de l’approche globale de la personne.

      Des leçons pour le ministère

      Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, les traitements psychiatriques doivent être accueillis avec mesure par les chrétiens. À la question de savoir si nous devrions utiliser des médicaments psychoactifs, la réponse est en fin de compte: “Ça dépend!”

      Nous devons apprendre à "marcher sur la corde raide de la sagesse" en tenant compte de plusieurs vérités en apparence contradictoires:

      • Premièrement, Dieu veut à la fois soulager notre souffrance et nous transformer par la souffrance. On distingue au moins deux objectifs de Dieu dans la souffrance. D’une part, il veut soulager la souffrance qui a résulté de la Chute, comme le démontrent les miracles de guérison de Jésus (Ac 10.38) et le fait que, dans la nouvelle création, il n’y aura plus ni cri, ni douleur (Ap 21.4). Il n’y a donc rien d’intrinsèquement mauvais à vouloir soulager la souffrance physique ou psychique. Mais d’autre part, Dieu se sert de nos souffrances pour nous transformer à l’image de Christ (Ph 3.10-11; 1P 4.12-13; etc.). Qu’est-ce que cela implique concernant l’utilisation ou non de médicaments psychoactifs? Nous ne devons pas croire que nous abstenir de prendre des médicaments est nécessairement plus "spirituel", comme si la transformation du caractère par la souffrance était le seul bien que Dieu voulait accomplir. Mais avant de prendre (ou de prescrire) un médicament, nous devrions réfléchir à ce que Dieu peut vouloir accomplir au travers de nos souffrances – au-delà du soulagement de nos souffrances, ce que Dieu recherche, c’est notre sainteté. Comme le résume parfaitement Michael Emlet:

        La recherche d’un simple soulagement détaché de la vision du plan de transformation au milieu de la souffrance peut court-circuiter tout ce que Dieu veut accomplir dans la vie de la personne4.

      • Deuxièmement, une personne peut avoir de mauvaises raisons de vouloir prendre des médicaments tout comme de ne pas vouloir en prendre. Une personne peut choisir de prendre des médicaments parce qu’elle recherche un soulagement immédiat, ou à cause de la pression de son entourage. S’engager dans un traitement pour de telles raisons n’est sans doute ni judicieux ni bénéfique à long terme. Mais il existe aussi de mauvaises raisons de refuser un traitement: l’orgueil (“Je dois pouvoir m’en tirer sans médicaments”), la crainte des hommes (“Que penseraient les gens, s’ils apprenaient que je prends ces médicaments?”), ou bien la honte (“Il y a quelque chose qui ne va pas du tout chez moi si je dois prendre ce médicament”). Cela signifie qu’il est particulièrement important de sonder nos motivations, avant de prendre ou de refuser un traitement. Les médicaments ne sont pas en eux-mêmes "bons" ou "mauvais". Ce sont nos motivations pour y avoir recours qui sont "bonnes" ou "mauvaises".

      • Enfin, l’usage de médicaments peut faciliter la résolution des problèmes moraux et spirituels d’une personne tout comme il peut l’entraver. Les médicaments sont parfois nécessaires pour favoriser le traitement de la vie spirituelle d’une personne. Par exemple, une personne qui souffre d’insomnies, de dépression, d’une anxiété grave et de pensées suicidaires a certes besoin qu’on lui rappelle l’Évangile. Mais dans son état actuel – sans prendre un traitement à base de somnifères pour briser le cycle négatif dans lequel elle se trouve –, il lui sera difficile de répondre à l’Évangile avec une foi entière et assurée. Mais à l’inverse, les médicaments sont parfois un obstacle au traitement de la vie spirituelle d’une personne. Dans cet exemple, une fois les pensées suicidaires et la dépression disparues, cette personne conservera-t-elle le zèle nécessaire pour s’attaquer aux luttes spirituelles qui sous-tendent son problème d’anxiété? Pas sûr…

      Conclusion

      En bref, l’utilisation de médicaments psychoactifs est une question de sagesse, qui doit être abordée de manière individuelle avec les personnes que nous conseillons. Dans certains cas, ils peuvent faire partie du traitement global d’une personne qui souffre psychiquement. Mais en fin de compte, le vrai soulagement ne se trouve pas dans un flacon de pilules, mais dans la personne de Jésus. Michael Emlet conclut:

      Les médicaments peuvent constituer un élément approprié et même nécessaire du traitement d’une personne… [Mais] même si nous considérons les médicaments comme un outil potentiel dans une approche ministérielle globale, nous devons toujours chercher à apporter la richesse de la rédemption de Christ dans la vie des gens5.


      Dans la même série

      1. "Que penser des diagnostics psychiatriques?"
      2. "Que penser des traitements psychiatriques?"

      Joël Favre

      Joël est marié à Anne et partage avec elle le beau défi d’élever trois enfants. Diplômé en théologie du London Seminary et titulaire d’un master de recherche de la Faculté Jean Calvin, il exerce actuellement comme pasteur à l’Église Réformée Baptiste de Grenoble. Il intervient aussi en tant que professeur d’éthique à l’Institut Biblique de Bruxelles.

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