Les tactiques des abuseurs spirituels

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      Il y a quelques années, Isabelle Nazare-Aga a contribué à démasquer les personnes manipulatrices dans la société en publiant son livre Les manipulateurs sont parmi nous. Mon objectif dans cet article est de mettre en lumière les pasteurs manipulateurs qui peuvent se trouver parmi nous, afin de mieux les discerner et de savoir s’en protéger.

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      Les pasteurs manipulateurs sont parmi nous

      L'arme par excellence de l'abus spirituel est la manipulation. Parler de ce sujet est complexe, car notre société est prompte à dénoncer toute forme de pression ou d'incitation comme de la manipulation. Dès qu'un pasteur exhorte un peu trop fort, délègue plutôt que d'exécuter lui-même, met une pression sur les gens et ose même confronter les péchés des autres et les appeler à la repentance, il risque d'être taxé de manipulateur. Si l’on adopte ces critères excessivement larges, je serais moi aussi coupable de manipulation.

      Paradoxalement, cette dénonciation à outrance permet aux vrais manipulateurs de rejeter les accusations comme étant de simples calomnies. Les accusations abusives dérobent leur crédibilité aux accusations fondées. Elles servent ainsi de bouclier aux véritables abuseurs. Tous les pasteurs qui sont parfois rudes ou rigides, qui sont exigeants envers leurs ouailles et qui exercent leur autorité avec certains angles morts ne sont pas de facto des abuseurs ou des manipulateurs.

      Alors, quand devient-on un "pasteur manipulateur"? Il y a un certain degré de subjectivité entre ce que l'un verra comme de la manipulation et l'autre comme l'exercice légitime de l'autorité pastorale. Cependant, certains critères objectifs ne mentent point et permettent un juste discernement entre l'hyper-sensibilité contemporaine et le déni traditionnel.

      Avertissement – La lecture de cet article comporte un risque de lecture manichéenne où les pasteurs sont classés en deux catégories: bons vs. mauvais. La réalité est plus complexe et nuancée. Il ne faut pas croire qu'un pasteur est disqualifié dès qu'il possède un des traits décrits ci-dessous. Les abus spirituels doivent être discernés sur une échelle et par rapport à la trajectoire. De bons pasteurs peuvent parfois pécher contre les brebis, et même des pasteurs abuseurs peuvent, à certains égards, sembler leur faire du bien. Discernement et sagesse chrétienne sont essentiels pour reconnaître la différence entre les deux.

      Deux types de manipulation

      Les pasteurs qui manipulent les autres le font parfois délibérément, mais parfois inconsciemment. Il y a deux types de manipulation: structurelle et relationnelle.

      La manipulation structurelle consiste à court-circuiter les structures de redevabilité de manière à neutraliser tout recours contre eux. Les abuseurs manipulent le système de manière à n'avoir aucune véritable redevabilité. Ils peuvent donner l’impression de travailler en équipe et d’être soumis à d’autres, mais ces structures sont soigneusement composées d’acolytes, de yes-men ou d’amis loyaux dont ils n’ont rien à craindre et qui, au besoin, pourront servir de muraille protectrice contre les accusations malveillantes qui viendront. S'entourer de gens crédibles est l'une des stratégies les plus efficaces pour crédibiliser un pasteur abuseur. Mais pour manipuler la structure, il faut aussi savoir manipuler les personnes.

      La manipulation relationnelle a pour but de cultiver la loyauté envers l'abuseur. Celui-ci a besoin de victimes loyales ainsi que de défenseurs crédibles qui lui soient fidèles. Pour garantir cette loyauté, l'abuseur utilise la flatterie, il complimente et valorise l'apparence ou les qualités des personnes dont la confiance et la fidélité lui sont nécessaires. Il bâtit cette confiance via un stratagème de confidence: “Tu es la seule personne à qui je peux dire cela.” Bien sûr, dans ce contexte, ces confidences ont pour but d’amener l’autre personne à divulguer ses propres secrets qui, plus tard, seront utilisés contre elle si elle menace de parler. La manipulation relationnelle inclut des actes de générosité calculés ou des confessions sélectives de péchés. En bref, “l'agresseur prépare ses victimes d'une manière qui n'est pas très différente de ce qui se passe dans les cas d'abus sexuels, en les manipulant dans le but de gagner leur confiance1”.

      La manipulation ultime: renverser le scénario

      Le tour de force que les meilleurs manipulateurs arrivent à faire consiste à renverser le scénario2. Ils arrivent à convaincre les autres qu'ils sont les victimes et que les "prétendues victimes" sont en fait les véritables agresseurs qui cherchent à salir leur réputation. Aussi invraisemblable que cette tactique puisse paraître, elle fonctionne. Cette inversion suit généralement un scénario bien rodé par les étapes suivantes.

      Tout d'abord, une coalition de défenseurs est nécessaire. Lorsque sa crédibilité est ébranlée, le leader abuseur utilisera la crédibilité d'autres personnes autour de lui. Plus ils sont nombreux et plus ils sont crédibles, mieux c'est. Ces défenseurs ne sont pas nécessairement des complices, ils sont souvent eux-mêmes manipulés et trompés, mais malheureusement, ils finissent par prendre part aux abus en les facilitant ou en les cachant.

      Ensuite, pour bien renverser le scénario, l'abuseur récusera la validité de toute démarche faite contre lui en employant l'arme procédurale et en arguant que le processus biblique n'a pas été suivi. Cette étape est une clé essentielle, car elle permet de diriger le projecteur, non sur le péché en accusation, mais sur les vices de procédures qui deviennent alors le vrai scandale. Il insistera en particulier sur le fait que les étapes de Matthieu 18 n'ont pas été suivies et cherchera à présenter l'affaire comme un simple conflit interpersonnel nécessitant une médiation et une confession mutuelle. Ces démarches, lorsqu'elles aboutissent, ajoutent au traumatisme des victimes dont les fautes sont rendues équivalentes à celles de leur agresseur, auquel elles doivent aussi demander pardon.

      C'est à la troisième étape que le script est concrètement inversé en attaquant la crédibilité des victimes, afin que le fautif puisse établir son propre témoignage. L’abuseur s’attaque alors au caractère de la victime ou des détracteurs, utilisant contre eux tout ce qu’il a à sa disposition: péchés divulgués, calomnies, failles morales et personnelles; afin que la victime soit disqualifiée avant même d'être écoutée. L'étape suivante consiste à faire coller sa propre version des faits. Cette version a généralement une apparence de vérité, car elle n'est pas totalement fausse. Cette version est souvent plus facile et agréable à croire que l'autre version qui nous obligerait à voir "l'homme de Dieu" comme un imposteur. Comment pourrait-il être un imposteur alors qu'il a toutes ces lettres de créances et ces grands accomplissements qui témoignent pour lui? Ne sous-estimez pas cette difficulté.

      La dernière carte à jouer consiste à attiser la sympathie du jury et du public. Finalement — conclut-on, l'accusé est victime d'attaques injustes contre sa personne et accepter cela serait permettre au diable de détruire un ministère fructueux. L'accusé n'est peut-être pas entièrement innocent, mais ses fautes ont certainement été largement exagérées et, quoiqu'il ait pu faire, il a déjà été suffisamment puni par un procès inique. Ainsi, sans jamais avoir à reconnaître son péché, l'abuseur poursuit sa route et reçoit non seulement la sympathie, mais l'appui nécessaire pour maintenir un ministère. Mission accomplie: le scénario a été renversé avec succès!

      Les faux bergers démasqués par la Parole de Dieu

      Terminons avec quelques données de l'Écriture sainte qui mettent en lumière les caractéristiques de ceux qui viennent à nous “en vêtements de brebis, mais au-dedans sont des loups ravisseurs” (Mt 7.15). Depuis longtemps, le Seigneur met en garde son peuple contre les mauvais leaders (cf. 1S 8; Ez 34; Jr 23; Ac 20.28; Rm 16.17-18). Voici quelques-uns des traits des mauvais bergers que la Bible expose.

      • Ils prennent, mais ne donnent pas (cf. 1S 8.11-17). Les chefs tyranniques demandent énormément de la part des gens sous leur autorité sans prendre soin d'eux. Ils vont exiger de grands sacrifices des autres sous prétexte de faire avancer le royaume tout en se plaçant bien au centre de ce royaume. Lorsqu'un serviteur ne leur est plus utile, ils le jettent tout simplement et passent au suivant. Ils ne semblent jamais conscients ni reconnaissants de ce que les gens sacrifient pour les servir.
      • Ils sont dans le ministère pour leurs propres intérêts (Ez 34.2; Rm 16.18). Un trait qui ne trompe pas entre un bon et un mauvais berger est de savoir qui bénéficie de son ministère. Un bon berger sert les brebis du Seigneur; il les nourrit et cherche leur bien-être. Il est au service des autres. Le mauvais berger est attiré par le ministère comme un moyen de s'enrichir, de s'élever ou de se mettre en valeur d'une façon ou d'une autre. Les brebis ne sont qu'un moyen d'atteindre cette fin et ils s'entourent de celles qui le mettent en valeur.
      • Ils abusent des brebis du Seigneur (1S 2.12-17, 22). Les mauvais bergers font du mal aux autres. Hophni et Phinées, les fils du sacrificateur Éli, avaient des relations sexuelles avec plusieurs femmes dans l'exercice même de leur fonction, ils extorquaient le bien des autres en prenant de force sur les offrandes du Seigneur et usaient de menaces contre ceux qui leur résistaient. Des comportements similaires ne peuvent d'aucune façon être justifiés ou excusés. C'est de l'abus pur et simple.
      • Ils ont des facilitateurs (1S 2.15, 3.13). Les fils d'Éli ont pu continuer à perpétrer leurs abus grâce à la complicité tacite de leur père qui, tout en les désapprouvant, les a maintenus en poste. Ces mauvais bergers avaient aussi des acolytes qui facilitaient leurs abus et se tenaient entre eux et le peuple. Ces facilitateurs obéissent souvent par crainte, parce que les mauvais bergers créent un climat de peur afin que personne n'ose leur résister (cf. 1S 22.17-19).
      • Ils ont l'apparence des vrais bergers (Mt 7.15; 2Co 11.13). Pour arriver à se faire passer pour de vrais bergers, ils doivent en avoir l'apparence. Leur apparat est une belle orthodoxie, une grande érudition, des dons manifestes, une personnalité dynamique et attachante, etc. Ils sont parfois si bien déguisés qu'ils se trompent eux-mêmes et finissent par croire leur propre mensonge (cf. 2Tm 3.13). Il n'est pas étonnant que des personnes vulnérables se fassent prendre au piège, car les mauvais bergers maîtrisent entièrement l'art de séduire.
      • Ils causent des scandales et des divisions (Rm 16.17-18). Le bon berger donne sa vie en sacrifice pour sauver l'Église. Les faux bergers sacrifient l'Église pour sauver leur vie. La paix de l'Église n'est pas leur priorité, car ils ne cherchent pas les intérêts de Christ, mais les leurs (Ph 2.20-21). Ainsi, ils n'ont aucun scrupule à causer des torts, des divisions et des scandales dans l'Église si c'est le prix à payer pour se défendre eux-mêmes.

      Nous pourrions continuer à dépeindre les traits des faux bergers encore et encore. Mais la meilleure façon de reconnaître les mauvais pasteurs est encore de savoir identifier les bons. Voici les caractéristiques qui qualifient les bergers fidèles:

      2 Il faut donc que l’évêque soit irréprochable, mari d’une seule femme, sobre, modéré, réglé dans sa conduite, hospitalier, propre à l’enseignement. 3 Il faut qu’il ne soit ni adonné au vin, ni violent, mais indulgent, pacifique, désintéressé. 4 Il faut qu’il dirige bien sa propre maison, et qu’il tienne ses enfants dans la soumission et dans une parfaite honnêteté; 5 car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l'Église de Dieu? 6 Il ne faut pas qu’il soit un nouveau converti, de peur qu’enflé d’orgueil il ne tombe sous le jugement du diable. 7 Il faut aussi qu’il reçoive un bon témoignage de ceux du dehors, afin de ne pas tomber dans l’opprobre et dans les pièges du diable.

      1 Timothée 3.2-7


      Pascal Denault

      Pascal Denault est pasteur à l’Église réformée baptiste de St-Jérôme (Québec), il est marié avec Caroline et ils sont les heureux parents de quatre enfants. Pascal a complété un baccalauréat et une maîtrise en théologie à la Faculté de théologie évangélique de Montréal. Il est également blogueur sur le site Un héraut dans le net et auteur de plusieurs livres dont Le côté obscur de la vie chrétienne et Disciple aujourd’hui.

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