Peut-être avez-vous déjà entendu les mots « Loi » et « Évangile » être mis en relation. Le plus souvent, c'est sur la différence entre ces deux concepts qu'on insiste. Or, on peut discuter longtemps de ces choses sans se rendre compte qu'en réalité, tous ne parlent pas du même sujet!
Quand des personnes emploient les mêmes mots pour parler de réalités différentes, il est facile de mal se comprendre. Dans la paire « Loi et Évangile », c’est surtout le terme « Loi » (ou « loi » sans majuscule) qui pose question, et qui retiendra mon attention dans ce billet. Par « Évangile », les uns et les autres font généralement référence à la Bonne Nouvelle de ce que Dieu a fait pour nous en Christ, par pure grâce.
À quoi fait donc référence la « Loi/loi » quand elle est comparée à l’Évangile de la grâce?
Selon le cas, il peut être question du rapport: a) entre la Loi de Moïse et l’Évangile; b) entre les exigences de Dieu et l’Évangile*. Ce n’est pas la même chose!
Dans plusieurs textes clés du Nouveau Testament où il est question de la relation entre la Loi (nomos en grec) et les nouvelles réalités apportées par Jésus-Christ, c’est précisément de la Loi de Moïse (la « Torah ») dont il est question.
Je pense par exemple aux textes suivants (la version Semeur 2015 met à chaque fois une majuscule initiale à « Loi »):
Dans cette perspective, le livre Five Views on Law and Gospel [Cinq positions sur la Loi et l’Évangile] présente cinq conceptions différentes, parmi les biblistes, de la relation qui existe entre la Loi de Moïse et l’Évangile. Dans ce billet, je m’appuie en partie sur des remarques pertinentes de Douglas Moo apparaissant dans cet ouvrage.
L’autre usage du terme « loi » fait référence, de manière plus générale, aux prescriptions de Dieu, à ses injonctions, aux standards qu’il communique à son peuple, à ses divers commandements. Il est question des « impératifs divins », de ce que le peuple de Dieu « doit faire » ou « doit vivre », y compris au niveau du cœur. Le contraste visé est celui qui existe entre ce que Dieu a fait pour nous (c’est la Bonne Nouvelle de l’Évangile) et ce qu’il nous demande de faire (dire, penser) pour lui (c’est la « loi »).
Quand Martin Luther mettait en opposition la « loi » et l’« Évangile », c’est à ce sujet qu’il pensait. Il distinguait ce que nous devons offrir à Dieu et faire pour lui (exprimé dans la « loi ») et ce que Dieu nous a offert (exprimé dans l’« Évangile »). Comme le résume bien Matthieu Sanders dans un billet:
Martin Luther estimait que toute la Bible était caractérisée par une tension entre la loi avec ses impératifs (« fais! ») et l’Évangile avec ses indicatifs (« c’est fait! »).
On admettra aisément, avec Luther, que la « loi » comprise dans ce sens se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien Testament. En effet, diverses exigences de Dieu apparaissent du début à la fin de l’Écriture. Par exemple, en Jean 13.34, Jésus déclare: « Aimez-vous les uns les autres. » Pensons aussi à la fameuse règle d’or: « Faites pour les autres tout ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous. » (Matthieu 7.12) Dans un cas comme dans l’autre, l’exigence divine, transmise par Jésus, nous est donnée et Dieu attend de nous que nous lui obéissions.
Je précise encore davantage ma pensée. Qu’est-ce qui, fondamentalement, distingue la dualité « Loi (de Moïse) – Évangile » de la dualité « loi (ce que Dieu exige) – Évangile »?
En réalité, nous sommes devant deux paires de nature différente.
Dans le premier cas, nous réfléchissons aux rapports qui existent entre la période au cours de laquelle opérait la Loi (et l’alliance) de Moïse (grosso modo, celle de l’Ancien Testament) et la nouvelle ère de l’Évangile (ouverte lors de la venue de Christ, bien qu’anticipée dans l’Ancien Testament). Les auteurs du Nouveau Testament ont un immense intérêt pour cette question. Ils mettent en avant tantôt les rapports de continuité, tantôt les rapports de discontinuité qui relient ces deux grandes périodes.
En revanche, les deux membres de la seconde paire (« loi » avec un petit « l » et « Évangile ») appartiennent à une même période, la nôtre! En effet, ce n’est pas parce que le salut en Jésus-Christ est gratuit et qu’il s’obtient par la foi seule que Dieu n’exige plus rien de son peuple. Ainsi, « loi » (exigence divine) et « Évangile » sont deux aspects complémentaires de la nouvelle alliance et de la vie chrétienne. Ces deux aspects occupent une place importante dans le Nouveau Testament. Le défi est de bien comprendre leur articulation – ce sujet très vaste ne sera pas abordé ici.
Certains théologiens, suivant la tradition luthérienne, utilisent les catégories « loi » et « Évangile » (ou « loi » et « grâce ») pour évoquer deux principes, deux forces complémentaires simultanément en vigueur à toute époque, c’est-à-dire pas seulement dans le Nouveau Testament, mais aussi dans l’Ancien Testament. En effet, l’Ancien Testament contient incontestablement quantité de promesses et d’autres manifestations de la grâce de Dieu qui interagissent avec les commandements divins.
La confusion fréquente de ces deux dualités (Loi – Évangile; loi – Évangile) est la source de nombreuses erreurs théologiques. Parmi elles, la croyance que la vie « sous la grâce » n’est soumise à aucun impératif, que les commandements n’ont plus leur place dans la vie chrétienne. Il suffit de lire le Sermon sur la montagne (Matthieu 5–7) – ou n’importe quel livre du Nouveau Testament – pour se convaincre du contraire!
Pour le dire simplement – c’est le cœur du problème –, sur la base de textes du Nouveau Testament qui parlent du sujet 1 (le rapport entre la Loi mosaïque et l’Évangile), certains font de grandes déclarations sur le sujet 2 (la place des prescriptions dans la vie chrétienne). On dit, par exemple, « nous ne sommes plus sous la loi » pour indiquer que toute injonction divine est dorénavant inutile. On insinue même que l’attachement à quelque commandement de Dieu trahirait un « légalisme »!
Les auteurs du Nouveau Testament disent tout à fait autre chose. Qui oserait affirmer que les prescriptions données par Jésus et par les apôtres ne sont pas des injonctions divines? Le premier livre du Nouveau Testament, l’évangile selon Matthieu, s’achève d’ailleurs par le fameux mandat missionnaire, selon lequel les disciples doivent faire des disciples parmi tous les peuples. Que doivent-ils enseigner à ces nouveaux disciples? À obéir à tout ce que Jésus a prescrit (Matthieu 28.19-20).
En conclusion, la dualité « Loi de Moïse – Évangile » nous rappelle que, avec Christ, une ère nouvelle s’est ouverte: l’alliance mosaïque a cédé la place à la nouvelle alliance en Jésus-Christ. La dualité « loi/exigence divine – Évangile », de son côté, suggère que les chrétiens aussi (et pas seulement les Israélites d’antan) doivent intégrer, dans leur quotidien, l’obéissance à des impératifs divins.
Je reconnais que la distinction présentée dans ce billet (entre deux dualités à ne pas confondre), si elle apporte certains éclairages (c’est mon souhait!), suscite de nouvelles séries de questions:
*Dans une étude plus poussée, il importerait d’aborder encore d’autres distinctions. Pour un bel exemple qui va dans ce sens, se reporter à Brian S. Rosner, Paul and the Law. Keeping the commandments of God, Downers Grove, IVP (NSBT 31), 2013.
N.B. J’avais publié cet article le 16 mars 2017. Je l’ai mis à jour et republié pour de nouveaux lecteurs le 8 novembre 2021.
webinaire
La Bible est-elle sans erreur?
Ce replay du webinaire de Florent Varak a été enregistré le 11 juin 2019.
Orateurs
F. Varak