Les écrans: bons serviteurs, très mauvais maîtres

AddictionsTechnologie et médias

Un dicton populaire dit que l’argent est un très bon serviteur, mais un très mauvais maître. Le même principe peut s’appliquer aux écrans qui nous entourent. Ils peuvent être des cadeaux qui servent à notre bien, ou des outils néfastes qui vont nous détruire.

Nous ne pouvons pas échapper aux écrans: ils sont partout autour de nous. Je ne parle pas ici de la technologie en général, mais surtout du monde digital qui nous entoure: le smartphone dans notre poche, l’ordinateur sur notre bureau, la télé dans le salon, la tablette dans notre chambre… À cela, il faut ajouter la réalité qu’est internet et les réseaux sociaux: nous avons accès à tout, partout.

Comment considérer ce monde digital? L’article qui suit vise à offrir quelques réflexions pour encourager une utilisation consciente et maîtrisée des écrans.

Cadeau ou danger?

Il est possible de voir ces écrans qui nous entourent comme un danger. Nous devenons de plus en plus conscients des effets addictifs des écrans, et de la manière dont ils impactent notre développement en tant qu’humain. Ce n’est pas pour rien que les instances de santé recommandent fortement de limiter les écrans pour les enfants.

De l’autre côté, il est possible de considérer ce monde digital comme un cadeau, en prenant en compte les nombreuses opportunités que cela offre. Les écrans nous connectent les uns aux autres et nous donnent accès à des informations qui nous seraient autrement inaccessibles. N’est-ce pas là une belle opportunité pour la foi chrétienne et le progrès de l’Évangile?

Comme dans beaucoup de domaines, il semble parfois que l’on soit forcé de prendre position, en ayant à choisir l’un de ces deux camps: soit considérer les écrans comme un danger, en étant conscient des effets négatifs, soit les recevoir aveuglément comme un cadeau, en se focalisant sur les effets positifs.

Une approche plus nuancée

Je crois personnellement qu’une approche beaucoup plus nuancée est possible, et même nécessaire. Il y a quelque temps, j’ai découvert une distinction mise en avant par Cal Newport1, qui dessine les contours d’une telle approche.

Comme je l’ai partagé plus longuement dans un article sur l’intelligence artificielle, Newport explique comment, en rapport avec la technologie, il semble que les seules options possibles sont le "techno-scepticisme" et le "techno-optimisme". Le "techno-sceptique" voit toute évolution technologique avec suspicion, en ayant un regard très critique sur la technologie. Le "techno-optimiste" pense que, même si une technologie a des effets négatifs, les effets positifs vont finalement l’emporter sur les effets négatifs, et donc cela vaut la peine d’aller de l’avant.

Cal Newport rejette ces deux approches, et met en avant une autre option: le "techno-sélectionisme". Un "techno-sélectionniste" ne considère pas toute évolution technologique comme mauvaise et reconnaît la nécessité d’encourager les développements technologiques. Cependant, il s’agit de le faire (1) "les yeux grands ouverts", en étant conscients des effets négatifs d’une technologie (2) en étant prêt à refuser une évolution technologique si les effets négatifs sont trop néfastes pour la société. En d’autres termes, il s’agit de dire qu’un effet positif ne suffit pas à justifier l’utilisation d’une technologie.

Une telle approche me semble bien plus sage d’un point de vue humain, et d’un point de vue chrétien. Appliquons cette logique aux écrans.

Les écrans ne sont pas neutres

Il m’arrivait de dire que les réseaux sociaux et les écrans étaient neutres: on peut s’en servir pour le bien comme pour le mal. Il y a quelques années, en creusant davantage le sujet, j’ai changé de position. Les écrans ne sont certainement pas neutres.

Bien sûr, nous pouvons utiliser la technologie pour faire du bien et pour faire du mal. Cependant, nous devons réaliser que tout outil technologique nous change, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. La technologie ne nous laisse pas tel que nous sommes.

Dans son livre From the Garden to the City, John Dyer utilise l’exemple d’une pelle. Nous pouvons utiliser une pelle pour faire du bien, en cultivant la terre ou en creusant un puits, par exemple. Mais nous pouvons aussi utiliser une pelle pour faire du mal à quelqu’un (je reconnais que c’est une utilisation un peu bizarre d’une pelle… mais l’être humain est créatif!). Cependant, quelle que soit l’utilisation, nous devons réaliser que l’utilisation d’une pelle nous change: qui n’a pas eu des cloques sur les mains après une matinée de jardinage?

En ce qui concerne les écrans et les réseaux sociaux, la manière dont ils nous changent est de plus en plus évidente. On peut les utiliser pour le bien ou pour le mal, mais dans les deux cas ils affectent qui nous sommes: notre image de soi, notre dépendance, la valeur des choses, notre capacité d’attention, etc. Ils ne sont certainement pas neutres.

C’est un cadeau dangereux

Cela m’amène donc à dire que les écrans et les réseaux sociaux sont des cadeaux dangereux.

Ce sont des cadeaux, ce qui signifie que nous ne devons pas vivre en ermite loin de tout écran. Leur côté négatif n’implique pas que la seule solution soit de tout rejeter.

Les écrans peuvent véritablement être une bénédiction pour nous, en tant qu’humains et en tant que chrétiens. Nous avons un accès facile à des gens qui étaient auparavant éloignés, par exemple. Nous avons accès à un nombre incroyable de ressources qui peuvent nous aider à grandir, que ce soit en connaissance générale ou en connaissance de la foi chrétienne. En d’autres termes, nous pouvons nous servir des écrans pour être de meilleures personnes.

Cependant, pour réellement profiter des écrans, nous devons être conscients qu’ils sont des cadeaux dangereux. Les effets négatifs des écrans et des réseaux sociaux sont de plus en plus reconnus de manière universelle. Il est aujourd’hui évident que les réseaux sociaux sont conçus pour être addictifs (voir le documentaire Netflix The Social Dilemna). Récemment, le Surgeon General aux États-Unis (le porte-parole du gouvernement en matière de santé) a recommandé de mettre un "avertissement de santé" sur les réseaux sociaux (comme sur les paquets de cigarettes), en raison de l’impact néfaste reconnu des réseaux sociaux sur la santé mentale des adolescents2. Tant d’enfances, de jeunesse, et de vies ont été gâchées par une utilisation non-contrôlée des réseaux sociaux.

Si nous ne sommes pas conscients de ce danger inhérent aux écrans, alors nous allons les utiliser à notre perte. Au début de son livre Terms of Service, Chris Martin partage une illustration de deux poissons dans l’eau qui se rencontrent. L’un d’eux demande: “Comment est l’eau?” À cette question, l’autre poisson répond: “C’est quoi l’eau?” Un poisson n’est pas conscient de l’eau qui l’entoure. Mais si cette eau est polluée, il a besoin de le savoir! De la même manière, nous ne sommes pas naturellement conscients, en utilisant internet et les écrans, que nous nageons dans une eau "polluée". Mais nous avons besoin de le savoir pour éviter les dangers.

Il nous est généralement bien plus facile de voir les effets positifs des écrans, plutôt que les effets négatifs. Nous nageons dedans. C’est pour cela que ce point mérite d’être particulièrement souligné. Le côté addictif des écrans fait que, si nous ne sommes pas intentionnels, nous allons nous laisser emporter.

Un bon serviteur, mais un très mauvais maître

Il est courant de dire que l’argent est un bon serviteur, mais un très mauvais maître. La même chose pourrait se dire des écrans. Ils sont des cadeaux – c’est-à-dire de bons serviteurs. Nous pouvons nous en servir pour faire du bien, à nous-mêmes et aux autres. Cependant, les écrans sont de très mauvais maîtres.

Ce qu’il nous fait réaliser, c’est que les écrans fonctionnent naturellement pour devenir nos maîtres. Ils choisissent ce que nos yeux regardent, ce que nos oreilles entendent, et ce qui va occuper nos pensées. Ils savent quoi faire pour nous faire revenir, encore et encore, au moment où ils le décident. Si nous ne sommes pas conscients de ce danger, nous allons être maîtrisés par les écrans, plutôt que d’être en train de les maîtriser.

Ainsi, une question utile à se poser en ce qui concerne notre utilisation des réseaux sociaux et des écrans est la suivante: “Qui contrôle qui? Est-ce que c’est moi qui suis au contrôle, ou est-ce que ce sont eux qui me contrôlent? Prenez les écrans que vous utilisez un par un, ou les réseaux sociaux que vous utilisez, et posez-vous la question.

  • Est-ce que je contrôle mon smartphone, ou est-ce que c’est lui qui me contrôle?
  • Est-ce que je contrôle Instagram, ou c’est Instagram qui me contrôle?
  • Est-ce que je contrôle ________, ou c’est ________ qui me contrôle?

Nous pouvons nous servir des écrans comme des cadeaux, qui peuvent servir à notre bien. Mais ce sont des cadeaux dangereux. Ce sont de bons serviteurs, mais de très mauvais maîtres. Que le Seigneur nous aide à être de bons gérants de notre temps et de nos ressources, pour sa gloire.


Benjamin Eggen

Benjamin est marié à Jessica, papa d'une petite fille, et pasteur-adjoint de l’Église Protestante Évangélique de Bruxelles-Woluwe. Il a fait ses études à l’Institut Biblique de Bruxelles, où il enseigne ponctuellement. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Soif de plus? et Qu’est-ce que tu crois?. Vous pouvez le suivre sur sa chaîne YouTube.

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B. Eggen