7 raisons de lire des livres non-chrétiens (part.3)

Recension de livre

On poursuit et termine sur la place de la littérature non-chrétienne. Dans une première partie, on a vu que l’Esprit de Dieu était la source de toute vérité, quel qu’en soit l’auteur. Dans la deuxième partie, il y a les quatre premières raisons données par Tony Reinke de lire des livres non-chrétiens:

  1. Décrire le monde, quelles lois le régissent, et comment le maîtriser;
  2. Mettre en évidence des expériences de la vie quotidienne;
  3. Dévoiler le cœur humain
  4. Nous prodiguer sagesse et leçons de morale très utiles.

Voici les trois dernières raisons (si vous êtes pressés, je vous recommande au moins la conclusion car Tony Reinke récapitule bien les choses).

5. Saisir la beauté

Ce n’est pas facile de définir la beauté, mais on l’expérimente chaque jour.

La beauté, comme tout autre chose, peut être déformée par le péché. Mais, fondamentalement, toute beauté puise son origine dans le Créateur (Gn 1.31; Ec 3.11).

Ainsi, « la littérature et l’art sont des dons de Dieu pour l’humanité » a écrit l’érudit Leland Ryken. « Si Dieu est la source ultime de toute beauté et de tout talent artistique, alors la dimension esthétique de la littérature est le point pour lequel les chrétiens peuvent témoigner d’un enthousiasme sans réserve pour le travail d’écrivains non-chrétiens. » Ce point est crucial pour les lecteurs. Notre liberté à apprécier l’aspect esthétique de la littérature non-chrétienne ne requiert pas que nous souscrivions préalablement à la vision du monde de l’auteur ou à ces choix éthiques personnels. Les lecteurs chrétiens peuvent aimer la beauté d’écrits non-chrétiens parce qu’ils reflètent la beauté de Dieu, sans s’attacher aux conditions morale et spirituelle personnelles de l’auteur.

6. Poser des questions qui peuvent seulement être résolues en Christ

Le discours de Paul à une assistance païenne en Actes 17 (Ac 17.16-34) fournit un exemple biblique irréfutable de la valeur de la littérature non-chrétienne en tant que pont entre la culture contemporaine et l’Évangile.  Ici, Paul cite directement deux poètes païens (Ac 17.28). Le poète grec Épiménide d’abord: « C’est par lui que nous vivons, que nous nous déplaçons et que nous avons la vie. »  Puis, le poète stoïcien Aratus: « Car nous sommes de sa race. » Il semble que les deux extraits proviennent de poèmes païens écrits pour exalter Zeus.

Manifestement, Paul était familier de la littérature païenne de son temps. Ces deux exemples montrent qu’il utilise les extraits des poèmes païens de manière constructive. Il trouve en eux l’écho d’une vérité spirituelle au sujet de Dieu et de la nature de notre relation à Lui, en tant que Créateur.

Ici, en Actes 17, Paul reconnaît l’élan gréco-romain à chercher le divin. Il pénètre dans la cité d’Athènes saturée d’idoles afin d’encourager ses habitants à chercher Dieu dans l’Évangile de Jésus-Christ. « Ce que vous vénérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce. » (Ac 17.23)

En fin de compte, ce que les poètes panthéistes cherchaient en Zeus et compagnie est trouvé seulement dans le Dieu vivant et en son Fils Jésus-Christ. De plusieurs façons, ces impulsions spirituelles étaient réglo, mais, elles étaient aussi vaines. Sans l’éclairage de l’Évangile, en définitive, toutes les recherches de Dieu sont étouffées par le péché. La vérité à son sujet révélée dans la création est refoulée et l’élan naturel à l’adoration s’exprime dans le vain culte de l’or, de l’argent et des idoles faites de pierre (Ac 17.29; voir aussi Rm 1.18-32).

Néanmoins, il persiste chez les païens une recherche religieuse et un élan spirituel véritable pour adorer. Le théologien Herman Bavinck explique:

Tous les éléments et notions essentiels à la vraie religion (concept de Dieu, sens de la culpabilité, désir de rédemption, sacrifice, sacerdoce, temple, culte, prière, etc.), bien que corrompus, se trouvent néanmoins aussi dans les religions païennes. D’où le fait que le christianisme ne se définisse pas seulement par son caractère antithétique au paganisme mais aussi comme l’accomplissement du paganisme.

Le christianisme est la vraie religion, et pour cette raison la plus pure aussi. Il est l’original vivant de ce qui n’est qu’une caricature dans le paganisme. Ce qui n’est qu’apparence dans ce dernier est en lui essence. Ce qui est cherché, dans lui peut être trouvé.

Dans la littérature païenne de son propre temps, Paul a perçu ces « éléments et notions ». Cela explique qu’il s’oppose à l’idolâtrie païenne et accorde dans le même temps du prix à ce qui est vrai dans les écrits des poètes païens. Il comprenait ces « éléments et notions » présents chez les poètes à la lumière de leur réalisation ultime et finale en Christ.

Paul fait montre de la même démarche ailleurs. Ses auditeurs juifs attendaient de lui une démonstration puissante de signes et de miracles. Ses auditeurs grecs, une sagesse parfaitement articulée. Paul leur offre puissance et sagesse dans le Messie crucifié (bien que dans une forme différente de celle à laquelle ses auditeurs s’attendaient!). Pour Paul, « Jésus crucifié » est l’ultime manifestation de puissance et de sagesse. La puissance de Dieu se dévoile dans la faiblesse de la croix et sa sagesse dans la folie de la croix. Incroyablement, les aspirations humaines de puissance spirituelle et de sagesse trouvent dans l’Évangile leur antithèse et leur ultime expression (1 Co 1. 22-25).

À bien des égards, la littérature non-chrétienne contemporaine est différente de celle citée par Paul en Actes 17, mais je pense que  l’approche générale de l’apôtre est encore utile pour les lecteurs d’aujourd’hui. Elle nous prémunit d’approcher seulement de manière antithétique les impulsions religieuses de la culture ambiante. Adoptant cette attitude, nous pouvons découvrir que les auteurs non-chrétiens soulèvent de temps à autre des aspirations spirituelles véritables dont nous savons qu’elles ne peuvent être satisfaites nulle part ailleurs que dans le christianisme original, essentiel, en Jésus-Christ lui-même.

7. Faire écho à des vérités chrétiennes et nous édifier

Dans un sermon destiné à aider les jeunes hommes chrétiens à se confronter au flot de la littérature grecque, Basile de Césarée (env. 330-379 ap. J.-C.) a dit: « le savoir païen n’est pas sans bénéfice pour votre esprit. »

De la même façon, Augustin d’Hippone (354-430 ap. J.-C.) croyait que « si ceux que l’on appelle philosophes, et spécialement les platonistes, ont dit quoi que ce soit pour autant que cela soit vrai et en harmonie avec notre foi, nous n’avons pas seulement à avoir un mouvement de recul, mais à le revendiquer pour notre propre édification ». Il continue: « Les branches du savoir païen ne concentrent pas toutes uniquement des chimères fausses et superstitieuses et de lourds fardeaux, produits d’une réflexion stérile, que chacun d’entre nous, une fois quitté la famille des païens pour passer sous l’autorité du Christ, devrait abhorrer ou éviter. »

Augustin invite les lecteurs chrétiens à puiser abondamment dans les « feuilles d’or » de la littérature non-chrétienne¹ pour illustrer des questions de théologie, d’éthique et même d’adoration. Il n’a pas tenté d’imposer à l’Église la philosophie païenne et il n’était certainement pas un syncrétiste tentant de concilier Écriture sainte et paganisme. Il utilisait la Bible comme guide pour discerner ce qui était vrai de ce qui était faux dans les livres non-chrétiens. Ce qui était considéré comme vrai avait sa source en Dieu. Et, pour Augustin, tout ce qui était vrai était utile.

Calvin a prolongé cette tradition. Par exemple, en donnant un cours sur le Notre Père, il cite cette prière païenne des œuvres de Platon (427-347 av. J.-C.):

Dieu Jupiter, emploie-nous aux choses les meilleures, que nous les souhaitions ou non, mais ordonne que les choses mauvaises soit loin de nous même si nous les demandons.

Le dieu Jupiter, le dieu des dieux romain, avec son éclair de feu? Nous avons raison de nous demander pourquoi Calvin cite cette prière. De quelle façon peut elle instruire les chrétiens des choses spirituelles?

Dans la prière de Platon, Calvin a fait une découverte édifiante. Platon regrette que ses propres requêtes au dieu mythique Jupiter soient ironiquement à l’encontre du but recherché. À sa lecture, il a identifié qu’elle soutenait une vérité biblique importante. Voici ce qu’il dit:

L’homme païen est sage en ce qu’il apprécie combien c’est dangereux de rechercher auprès de Dieu ce que notre cupidité nous dicte; en même temps, il dévoile notre misère, de ce que nous ne pouvons même pas ouvrir la bouche devant Dieu sans danger à moins que l’Esprit ne nous enseigne la bonne manière de prier (Rm 8.26).

Cette prière païenne est instructive et Calvin se sent libre de s’en servir pour l’instruction des chrétiens. Nous prions souvent pour des choses qui nous détruiraient, si nous les obtenions. Le pendant chrétien de ce qu’écrit Platon ici, c’est que même pour formuler nos prières, nous dépendons du Saint-Esprit.

Quand c’est nécessaire, Calvin ridiculise Platon pour ses erreurs et son total aveuglement spirituel. Et, quand Platon est utile, Calvin se sent libre de bénéficier de son enseignement.

La littérature contemporaine résonne aussi avec des vérités bibliques. John Piper a écrit une fois: « des indices annoncent le Christ dans chaque philosophie ». C’était dans un article évaluant la philosophie de l’athée Ayn Rand et de son roman La Grève (Atlas Shrugged, 1957_)._  Malgré l’engagement de Rand en faveur de l’athéisme, Atlas Shrugged reflétait une poursuite du plaisir similaire à ce que Piper lit dans la Bible. C’est, avec ses mots, « si proche et pourtant si loin de ce que je trouve dans la Bible. » Et ça, c’est une phrase vraiment appropriée.

Dans les écrits non-chrétiens, nous découvrons ce qui est si proche et pourtant si lointain de ce que nous lisons dans la Bible. Le défi est de faire usage du « si proche » pour notre édification et pour la gloire de Dieu tout en étant vigilant face au « pourtant si loin ».

Conclusion

En tant que lecteurs, nous faisons fausse route quand nous rejetons catégoriquement les livres non-chrétiens. De même quand nous les lisons sans faire preuve d’esprit critique. Les êtres humains ont été créés par Dieu pour poursuivre et rassembler la vérité et, à vrai dire, cette capacité se rapporte à l’une des caractéristiques de l’image de Dieu qui est en eux (Col 3.10).

Nous pouvons ne pas fréquenter uniquement l’enseignement de l’Ecriture et de ses grands interprètes mais aussi tout savoir qui s’offre à nous. Et pourquoi pas? L’Esprit-Saint est l’auteur de toute vérité et nous devons donc l’embrasser d’où qu’elle sorte.

Toutefois, nous aurons besoin d’une connaissance solide de la Bible et de la sagesse chrétienne afin de reconnaître ce qui est vrai et de démêler le vrai du faux. Les chrétiens doivent essayer de ne pas offenser l’Esprit-Saint en méprisant la vérité dans les auteurs non-chrétiens sur lesquels l’Esprit a reposé. Cela ne signifie pas non plus que les chrétiens peuvent se permettre de lire ces auteurs sans discernement. Après tout, la foi de quelqu’un, même en des idoles, façonne la plupart de ce qu’elle pense et écrit. Or, le chrétien doit se préserver de tous les mensonges qui entrent en compétition pour s’emparer des coeurs et des esprits.

L’esprit doit être gardé avec beaucoup de soin, de peur qu’à travers notre amour pour les lettres il soit touché par une infection dont il n’avait pas conscience, comme un homme qui absorbe du poison avec du miel. (Basile de Césarée, dans ses conseils aux jeunes gens sur le bon usage de la poésie grecque)

Le but de cette série n’est pas de vous convaincre de remplir votre bibliothèque de romans non-chrétiens ou de vous établir un programme de lecture de toutes les dernières philosophies à la mode. La première nécessité, c’est d’avoir une vision du monde biblique fonctionnelle, que l’on mobilise aisément.

Tout cela pour dire que nous ne pouvons pas rejeter la littérature non-chrétienne, ni lui accorder une confiance systématique. C’est une tension non résolue pour le lecteur chrétien. Il doit simplement chérir tout ce qui que tout ce qui est vrai, honorable, juste,  pur, aimable, mérite l’approbation, vertueux et digne de louange (Ph 4.8) – où que ça se présente. Si un lecteur chrétien est habitué au murmure de Dieu, il entendra ce murmure dans quelques endroits vraiment inattendus.

[1] Voir la citation de Spurgeon mentionnée dans la première partie pour comprendre la métaphore de la « feuille d’or ».

[2] Adaptation en français d’extraits de Tony Reinke, Lit!: a Christian guide to reading books, chapitre 5, The Givers’s Voice, Seven Benefits of Reading non-christian books.

Pour aller plus loin:

Myriam J.

Myriam a fait une licence d'histoire à la Sorbonne. Elle a été une contributrice régulière au site TPSG durant plusieurs années.

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