Quand la littérature a quelque chose à nous dire sur le mariage

Mariage

Il est des livres que je ne lirais jamais, à moins qu’une amie dont je ne doute de la perspicacité ne me les mette dans les mains! Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies de Christiane Singer est de ceux-là.

Disons plutôt que j’aurais été attirée par le titre, sans soupçonner que cet auteur ait quelque de précieux à dire, à transmettre… Et pourtant! J’ai trouvé dans son éloge du mariage beaucoup de vérité, de lucidité.

Dieu est absent. Alors, où se cache l’once de vérité? Je crois que c’est dans cette capacité de Singer à voir plus loin que les idéaux qui peuplent nos imaginaires. Plus loin que notre soif d’être heureux, peut-être superficiellement heureux. Après, à nous de mettre derrière ses « lois de l’être », ses « lois ontologiques », le dessein du Créateur… Est-ce que vous ne faites jamais cet exercice, finir les phrases d’un auteur, les commencer autrement?

Si j’ai tant aimé, c’est parce que le livre m’a fait penser ces propos du Seigneur, « ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » (Mt 19.6), dans un style déroutant, non-conformiste.

« Ce que certains de nos contemporains appellent mariage n’est qu’une anomalie notoire qu’a produite l’Occident. » Comme chrétiens, on peut facilement se rallier à ce constat. Je partage ici quelques passages dans lesquels Singer ébranle des idées bien ancrées.

Je n’ai pas encore l’âge d’avoir des amis divorcés. J’ai juste remarqué un motif commun de rupture, quelque chose comme « oh… il a changé… je ne pensais pas qu’il était comme ça… des aspects de sa personnalité que je n’imaginais pas… il n’est plus comme avant… ». 

Mais alors, comment

louer le serment que se font deux êtres… de ne plus changer d’avis… d’envie… de vie! Existe-t-il serment plus mortifère? J’exagère dis-tu? J’oublie que tu aimes? Qui aime qui? Qui aime quoi? L’autre n’est-il pas le produit fiévreux, sublime et généreux de ton imaginaire, de cette faim d’aimer qui t’a fait surgir au monde comme un jeune loup de sa tanière? Faim de nourriture, faim de lumière, faim de mouvement, faim d’extase, faim d’herbes et de ronces et de délices folles? Qui t’assure que cet être aimé restera celui que tu as cru apercevoir? Quel visage te révélera-t-il dans une heure, un mois, un an, sept ans? Le reconnaîtra-tu seulement à l’improviste dans la rue sous un autre manteau, un autre chapeau? Et si en levant les yeux demain sur lui, tu n’allais plus rien déceler de ce qui hier ressemblait encore à lui? Cauchemar. Coupez! Oui mais alors? Comment s’engager dans un processus dont on ignore où il mène?

N’est-ce pas ce qui vaut au verbe « se marier » le synonyme de « se mettre la corde au cou »? Ce qu’a décrit Singer, sans ambages, n’est-ce pas l’objection de beaucoup au mariage? Se marier, c’est perdre sa liberté. En choisir un, se refuser à tous les autres. Suivons, encore  l’auteur.

Mais que le piège puisse aussi s’appeler « liberté », qui le soupçonne encore? Lorsqu’elle est bafouée et victime d’un malentendu, lorsqu’elle est comprise comme l’abrogation de toute obligation, de tout engagement, de toute relation profonde, la pseudo-liberté mène droit à l’entropie, au désenchantement et à la mort. Seule la puissance des limites fait que l’esprit se cabre, s’enflamme, s’élève au-dessus de lui-même. Devant une toile immense dont il ne verrait pas les bords, tout peintre aussi génial fût-il baisserait les bras. C’est la restriction de la toile, sa limitation même qui exaltent ses pinceaux.

À l’heure du non-engagement, c’est déjà plutôt intéressant. Rappelons-nous que ce n’est pas un ecclésiastique qui parle! Mais Singer poursuit, « si le mariage n’était que l’union d’un homme et d’une femme, il ne pèserait pas lourd. Ce qui rend le mariage si fort et si indestructible, c’est qu’il réunit un homme et une femme autour d’un projet. » On n’en saura pas plus sur « le projet », c’est frustrant. Mais, de toute façon, le projet, ne le connaît-on pas? Il nous a déjà été révélé. Bien avant que Singer ne prenne la plume… Un appel à persévérer dans le don de soi, à l’exemple de Jésus, car rien ne glorifie plus le Créateur, celui qui a institué le mariage dès l’origine et qui se donne lui-même en modèle plusieurs fois.*

Ici, Singer me surprend encore par sa lucidité.

Que cet état soit difficile à vivre, exigeant et inconfortable, qui le contestera? En mariage, l’autre me confronte aux limites de mon être. Avec une ingéniosité étonnante, déjouant tous les gardiens, il s’introduit dans les coulisses. Il ne lui suffit pas de me voir produire en scène, tenir ma part tant bien que mal, livrer mon quota de vie diurne et montrable, il lui faut s’introduire dans la loge, là où poudre et sueur se mêlent, où la vulnérabilité est à son nadir, où l’enfant des profondeurs à l’abri des regards, épuisé, las, se recroqueville. (…)

Ce qui rend le mariage si lumineux et si cruellement thérapeutique, c’est qu’il est la seule relation qui mette véritablement au travail. Toutes les autres relations aventureuses et amicales permettent les délices de la feinte, de l’esquive, de la volte-face et de l’enjouement. Car mieux vaut mettre l’autre à dure épreuve que lui manifester une bienveillance de bon aloi qui n’engage à rien. À partir de cette authenticité qui provoque, écorche et dérange, le chemin mène au mystère de l’être.

Ce que je tente d’exprimer est autre chose encore: les épreuves ne sont pas en mariage le signe qu’il faut clore l’aventure mais souvent, bien au contraire, qu’il devient passionnant de la poursuivre.

« Le chemin mène au mystère de l’être. » Je vous l’accorde, ça a des relents d’ésotérisme… Mais, remplaçons cela par le chemin mène à la sanctification. C’est éclatant de vérité, non? Je ne sais plus qui disait que notre nature véritable est celle qui se dévoile quand nous sommes à la maison. Alors, par le mariage nous recevons la grâce d’un autre au contact duquel se révèlera, mieux qu’avec personne, la vieille nature dont nous avons à nous dépouiller. Et, un autre à aimer, à servir, à pardonner, à l’imitation du Christ. Et réciproquement.

« Pitié pour ceux qui se marient pour être heureux.

Pitié pour ceux qui, par malheur, seront trop longtemps heureux de ce bonheur anodin qu’on leur souhaite au jour de leurs noces – trop longtemps amoureux de l’amour inoffensif des lunes de miel!

Le mariage a pour nous d’autres ambitions. »


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Myriam J.

Myriam a fait une licence d'histoire à la Sorbonne. Elle a été une contributrice régulière au site TPSG durant plusieurs années.

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