Le missionnaire indien, K.P. Yohannan, n’oubliera jamais sa première réunion de prière dans une Église américaine. Un jour, il a visité une megachurch réputée, jusqu’en Inde, pour les prédications exceptionnelles de son pasteur. Il a été ravi d’entendre ce pasteur inviter les 3 000 participants au culte à la rencontre de prière de la semaine. Il a même ajouté qu’il avait "un véritable fardeau" pour la prière.
Notre missionnaire trépignait d’impatience! En Inde, la réunion de prière est le poumon de l’Église, là où on livre un vrai combat, souvent jusque tard dans la nuit.
La salle désignée pour cette soirée de prière ne contenant que 500 sièges, il a veillé à arriver suffisamment tôt pour avoir une place. Mais à 19h, début de la réunion, il était tout seul. À 19h15, déconcerté et toujours seul, il s’est demandé s’il ne s’était pas trompé d’endroit. En sortant du bâtiment, il a pu vérifier que c’était bien la salle que le pasteur avait mentionnée le dimanche précédent. À 19h30, quelques personnes sont entrées, discutant de sport et de la météo jusqu’à ce que le responsable arrive finalement à 19h45. Celui-ci a apporté une courte méditation pour les 7 participants, a prié brièvement et a mis fin à la réunion.
Yohannan était abasourdi. Pas d’adoration. Pas d’intercession auprès de Dieu. Pas de pasteur principal. Quel était donc ce "fardeau" dans le cœur de ce pasteur dimanche dernier? Et la prière pour les malades? Pour les perdus?¹
Dans ce récit, personne n’a considéré la prière comme importante: ni le pasteur principal (qui n’est pas venu), ni l’assemblée (seulement 7 personnes étaient présentes), ni le responsable de la rencontre (45 minutes de retard et seulement une courte prière). La prière a seulement servi de façade.
Si vous avez des doutes à propos de quelque chose, c’est que vous ne croyez pas qu’elle puisse fonctionner. Vous ne l’utilisez donc pas. Dans cette réunion de prière, personne ne pensait que la prière fonctionnait. L'incrédulité, tout comme la foi, se révèlent dans la pratique.
En dehors de la réunion de prière formelle, nous rencontrons, chez les chrétiens et dans leur vie ordinaire (en famille, entre amis…), la même lacune dans le domaine de la prière collective que celle que Yohannan a vécue dans cette Église aux États-Unis.
Selon une étude, 94 % des adultes américains qui ont prié au moins une fois dans les 3 derniers mois l’ont fait tout seuls. Le responsable de l’enquête écrit:
La prière est de loin la pratique spirituelle la plus répandue chez les Américains… [Mais] les gens prient principalement tout seuls. C’est une activité solitaire, définie principalement par les besoins et les soucis du moment chez celui qui prie. La prière communautaire, et les besoins communautaires peinent à convaincre dans la vie de prière des chrétiens. Or, quoi de plus puissant que la prière collective, quand plusieurs se rassemblent dans le nom de Dieu?
L’Église d’Occident se prive de la puissance de la prière collective. Bien sûr, il y a toujours quelques personnes qui prient dans le secret, mais dans la plupart des Églises, les sujets de prière concernant la communauté n’ont que très peu d’importance. Combien de personnes prient réellement pour ces besoins?
Dans nos séminaires sur la prière, nous posons plusieurs questions confidentielles à propos de la vie de prière des personnes. Après des centaines de séminaires, nous avons réalisé qu’environ 15 % des chrétiens ordinaires ont une vie de prière intense. Ainsi, quand quelqu’un dit: “Je prierai pour toi.”, ce ne sont probablement que des mots, dans 85 % des cas. Ce n’est pas qu’un problème chez les pasteurs. C’est un problème chez tous les disciples de Jésus.
La réunion de prière, qui a été dans le passé le cœur de la vie d’intercession d’une communauté, est mourante. La rencontre du mercredi soir a été un rendez-vous majeur, où les personnes zélées venaient. Aujourd’hui, ces rencontres ne sont plus qu’un souvenir.
Un jour, lors d’un séminaire, j’ai demandé aux participants ce qu’ils n’aimaient pas dans les réunions de prière. Un jeune homme a dit: “C’est ennuyant.” Quelqu’un a ajouté: “C’est déprimant.” Mais le commentaire le plus alarmant était: “Je ne sais pas où je pourrai trouver une réunion de prière.”
J’ai demandé au pasteur d’une Église de 3000 membres s’il était informé des réunions de prière dans son Église. Il m’a répondu sans sourciller: “Non, je n’en ai aucune idée.”
Qu’est-ce qui bloque? Quels sont les obstacles à la prière communautaire dans notre monde moderne? Nous sommes un peuple bien occupé, et souvent prospère. Nous avons l’habitude d’atteindre nos objectifs de vie en nous "bougeant", et non pas en restant assis. Or, la prière communautaire nous fait souvent penser que nous restons assis! Nous sommes tellement occupés à construire et à produire que nous avons du mal à nous arrêter pour réfléchir à ce que nous sommes en train de construire.
Derrière nos occupations et notre confort se cache une philosophie appelée le sécularisme. Le sécularisme ne fait pas que nier l’existence de Dieu, mais il met aussi en doute celle de toute réalité spirituelle. Cela est d’autant plus surprenant que toutes les cultures du monde dans l’histoire ont intégré naturellement le concept d’un monde spirituel. Si vous choisissiez d’ignorer Dieu ou "les dieux", c’était à vos risques et périls. Dans cette culture, il pourrait même paraitre normal de démarrer un flash info par une prière de reconnaissance! Bien sûr, nous ne le faisons pas, par ce que le sécularisme est devenu normal pour nous. Parler ouvertement de Dieu ou à Dieu, ça fait bizarre.
Ce n’est pas un hasard si la réunion de prière a décliné en même temps que le sécularisme a grandi. Le monde spirituel est vu comme une fantaisie, qui peut être vrai pour vous, mais certainement pas pour tout le monde. C’est là un héritage des Lumières du 18ᵉ siècle. Emmanuel Kant, un des penseurs principaux du siècle des Lumières (et paroissien fidèle!), décrivait la prière comme une "illusion superstitieuse" que Dieu n’a pas besoin d’entendre, et donc qui n’accomplit rien du tout. Le dieu de Kant est distant, il n’est pas personnel. Ignorer Dieu est bien plus efficace que de chercher à nier son existence. Si vous l’ignorez, il disparait automatiquement.
Le sécularisme est longtemps resté cantonné dans les universités et chez les élites, jusqu’à l’arrivée des médias de masse (radio, télé, etc.) au milieu du 20ᵉ siècle. À force de décrire un monde sans Dieu et sans but, ce monde-là est devenu la norme. Les agnostiques modernes ne sont plus seulement incertains à propos de l’existence de Dieu, ils n’en ont que faire. Dieu n’est plus du tout une question. Comme un jeune homme s’éloignant de la foi me l’a dit un jour: “Quelle différence ça fait?”
Quand nous reléguons la prière au domaine des sentiments, la prière ne devient plus qu’une thérapie personnelle. Si elle ne concerne plus que les sentiments, alors, prier ensemble, ça devient gênant.
Quand on parle avec quelqu’un de sport, la conversation peut être bien fournie, car on partage un intérêt commun, un langage, une connaissance. On aime tous les deux regarder un match de foot et encourager notre équipe favorite. On sait tous les deux que le sport existe. Mais que se passerait-il si tout votre entourage se mettait à dire que le sport n’existe pas, que personne n’y joue vraiment, et que les matchs que vous voyez ne sont que des mises en scène factices? Entendre ce message à longueur de journée, année après année, vous conduirait à douter, vous aussi, de la réalité du sport.
Le fait de combiner une Église sans prière et une culture sans prière crée un "monde sentimental", dans lequel Dieu semble glorifié, mais est absent. Et lorsque l’épreuve vient, Dieu semble impuissant et insensible. Cela se vérifie particulièrement quand vous avez prié pour quelque chose de lourd, et que les cieux vous ont semblé fermés. Au final, vous ne ressentez rien venant de Dieu. Il n’est plus sur le devant de la scène.
Parce que notre monde plat en deux dimensions a écarté la prière, le fait de prier spontanément avec des amis autour d’un repas ou au téléphone parait décalé. Nous avons perdu la fluidité de la prière que peuvent avoir certains enfants: ils peuvent enchainer une phrase qu’ils vous adressent en disant directement: “Merci, Seigneur, parce que je n’ai pas eu de cauchemar.”
Nous pouvons entendre des prédications sur la prière, écouter la prière d’un pasteur, débuter une réunion avec une prière, mais la prière apparait rarement de façon naturelle dans une conversation. Elle sonne trop religieux.
C’est pour cette raison que la communion avec des frères et sœurs africains ou asiatiques est tellement savoureuse. Ils sont restés largement à l’écart de la philosophie des Lumières. Par exemple, les Églises ougandaises ont depuis des années des nuits de prière mensuelles. Ils sont restés pleinement conscients du monde spirituel, et la prière fuse, sans gêne.
Je suis allé manger avec un jeune pasteur et sa femme après l’un de nos séminaires pour responsables (toujours sur le thème de la prière). La femme, maman de trois enfants leur faisant l’école à la maison, m’expliquait comment elle organisait sa vie autour de la prière. Puis, elle s’est penchée vers son mari et lui a demandé: “C’est aussi comme cela que vous organisez la vie de l’Église, n’est-ce pas?” Il a fait non de la tête. Devant son épouse surprise, il a ajouté: “Nous prions au début des rencontres, mais cela sonne comme une formalité; ça manque de profondeur.”
Le pasteur de la megachurch qui a annoncé la réunion de prière a voulu faire croire qu’elle était de la plus haute importance, mais finalement, il ne s’y est lui-même pas rendu. En agissant ainsi, non seulement il a dévalué la réunion de prière, mais il a aussi envoyé un signal confus à la congrégation. Ses mots disaient une chose, mais ses actions disaient autre chose. Jésus a appelé cela de l’hypocrisie. Dans le Sermon sur la Montagne, il a vu dans la prière un terreau fertile pour les hypocrites (Mt 6.5-6). Il n’y a rien de pire, pour une communauté qui prétend vouloir suivre Jésus, que de paraitre spirituelle à l’extérieur et de ne rien avoir à l’intérieur. L’hypocrisie chez les responsables crée du cynisme chez les paroissiens.
Après avoir conduit un temps de réflexion avec les pasteurs au sujet de leurs luttes dans le domaine de la prière, je leur demande généralement: “Estimez-vous que vous êtes un bon prieur public?” Souvent, ils me répondent “Plutôt bon.” Je les provoque alors: “Qu’est-ce que cela fait de vous, si vous êtes un bon prieur en apparence, mais un mauvais prieur à l’intérieur?”
Bien sûr, cela s’applique à nous tous. À chaque fois que nous cultivons une apparence extérieure alors que nous cachons une faiblesse intérieure, nous corrompons notre âme. Et ceci fragilise ce que nous avons de mieux à offrir aux autres: une âme qui marche avec Dieu.
webinaire
La prière: retrouver le plaisir de parler à notre Père
Découvre le replay du webinaire de Romain T. sur la prière, enregistré le 09 juin 2022.
Orateurs
R. T.