Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les évangiles ne s’attardent pas sur les détails sordides de la crucifixion? L’histoire de la mort de Jésus en croix est rapportée de manière très sobre par les quatre évangélistes. Quelles leçons pouvons-nous en tirer en cette période de Pâques?
Sorti en 2004, le film La Passion du Christ de Mel Gibson a été critiqué pour sa représentation particulièrement graphique de la crucifixion de Jésus. De nombreux spectateurs, choqués par sa violence extrême, l’ont qualifié de "torture porn" ou de film "gore": gros plan sur les clous transperçant mains et pieds, flagellation sauvage déchirant la chair, plaies sanguinolentes. Lors de sa sortie en salle, des rapports ont mentionné que plusieurs spectateurs se seraient même évanouis devant cette représentation brutale des souffrances du Christ.
La Passion du Christ n’est toutefois pas une exception: de nombreuses œuvres culturelles privilégient un réalisme cru et ne ménagent pas les détails brutaux du supplice. Parmi les exemples récents, citons le film Risen (2016) de Kevin Reynolds, ou la bande-dessinée Jésus de Nazareth (2022) d’Alexandro Jodorowsky et Jean-Claude Gal.
Ces représentations contrastent fortement avec celles des évangiles, comme l’Évangile selon Matthieu par exemple:
En résumé, les évangiles ne s'attardent pas sur les détails macabres des souffrances physiques de Jésus. Mais pourquoi? Trois raisons principales peuvent l'expliquer.
La première raison est que la crucifixion était tellement courante à l'époque de Jésus que personne n'avait besoin de détails pour comprendre l'horreur des souffrances qu'elle imposait. Comme le souligne l’historien Tom Holland, en évoquant le Christ:
Ses tourments n’eurent rien d’exceptionnel. Souffrances et humiliations, à quoi s’ajoutait "la plus cruelle des morts", formaient le lot commun de multitudes tout au long de l’existence de Rome1.
À titre d'exemple, il mentionne la Troisième Guerre servile (73-71 av. Jésus-Christ), connue sous le nom de révolte de Spartacus. Ce soulèvement d'esclaves, dirigé par Spartacus, un gladiateur thrace, a secoué la République romaine pendant plusieurs années. Ce fut finalement le proconsul Marcus Licinius Crassus qui fut chargé de réprimer la révolte. Voici comment Tom Holland raconte la fin de cette guerre:
Spartacus lui-même mena une charge désespérée contre le quartier général de Crassus, mais il fut tué avant d'avoir pu l'atteindre… La grande révolte des esclaves était terminée. Crassus avait sauvé la République… Il ordonna ensuite que tous les prisonniers qu'il avait capturés soient crucifiés le long de la Via Appia. Sur plus de 160 kilomètres, le long de la route la plus fréquentée d'Italie, chaque 40 mètres, une croix portant le corps d'un esclave cloué à celle-ci se dressait, comme des affiches macabres annonçant la victoire de Crassus2.
Comme l’indique l’issue terrible de cette guerre, la crucifixion était monnaie courante à l’époque. Tout le monde savait que ce mode d’exécution était véritablement "la plus cruelle des morts", car ils l’avaient vu infligée à un nombre incalculable d’esclaves ou de prisonniers de guerre.
Si donc les auteurs des évangiles n’ont pas décrit l’exécution de Jésus dans ses moindres détails sordides, c’est probablement qu'ils n'estimaient pas nécessaire de le faire à une époque où la crucifixion était une pratique courante.
Mais, si les évangiles ne mettent pas en avant les souffrances physiques de Jésus, c’est aussi pour souligner la dimension spirituelle de sa souffrance, infiniment plus grande. Bien que sa douleur physique ait été extrême et atroce, l’accent est mis sur ses souffrances spirituelles: le poids du péché du monde qu’il portait, et la séparation spirituelle d’avec son Père qui en a découlé. Cette souffrance spirituelle est particulièrement visible dans l’agonie de Gethsémané.
Dans les heures précédant sa mort, alors qu’il prie dans le jardin de Gethsémané, Jésus commence à éprouver une détresse terrible. Il dit à ses disciples: “Mon âme est triste jusqu’à la mort” (Mt 26.38). Il est si angoissé qu’il a l’impression qu’il est sur le point de mourir. Au fil des siècles, les lecteurs de l’Évangile se sont demandé ce qui avait provoqué une telle angoisse chez Jésus. Était-ce la perspective des souffrances physiques qu’il allait endurer sur la croix? Ce qui paraît surprenant, c’est que d’innombrables personnes au cours de l’histoire sont allées à une mort tout aussi atroce avec beaucoup plus de calme et d’assurance que Jésus. Nous pourrions multiplier les exemples de martyrs chrétiens allant au supplice la tête haute et le sourire aux lèvres, pour ainsi dire.
Alors qu’est-ce qui provoque une telle angoisse chez Jésus? C’est la "coupe" dont il parle, quand il dit: “Mon Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi” (Mt 26.39). Cette "coupe", c’est la coupe de la colère de Dieu contre notre péché (Ps 75.9; Ap 14.9-10). C’est ce que mérite le péché du peuple de Dieu, depuis Adam jusqu’à nous aujourd’hui. Elle contient les peines de l’enfer! Comme l’explique Jonathan Edwards, dans son sermon intitulé "L’agonie du Christ":
L’agonie que Jésus a éprouvée, l’obscurité qui l’a enveloppé dans le jardin, étaient causées par une vision immédiate, vive et complète de la colère de Dieu. Comme s’il posait devant lui la coupe de sa fureur, le Père lui fit entrevoir un châtiment infiniment plus terrible que la fournaise de Nebuchadnetsar. Désormais, le Christ avait sous les yeux cette fournaise ardente dans laquelle il allait être jeté3.
Le poids qui écrasait Jésus à Gethsémané n’était pas la peur de la mort et des douleurs physiques de la crucifixion. Non, des milliers de martyrs ont enduré bien pire sans un soupir. Le véritable poids était celui de la colère de Dieu contre le péché, que Jésus s’apprêtait à porter sur la croix.
En restant comparativement silencieux sur les souffrances physiques de Jésus, les auteurs des évangiles cherchent probablement à mettre en avant cette réalité de la souffrance spirituelle infinie de notre Seigneur.
Enfin, si les évangiles omettent le gore de la crucifixion, c’est pour que nous soyons touchés par la théologie de la croix et pas seulement par une description graphique de son horreur. Toute personne qui entend une description de torture, de souffrance et de mort sera émue. Cependant, cette réaction émotionnelle risque de rester superficielle et de ne provoquer aucun changement réel si elle n'est pas accompagnée d'une compréhension profonde du message de la croix. C'est ce que Tim Keller souligne, expliquant comment cette prise de conscience a été cruciale dans son ministère de prédicateur.
Je me souviens, un peu gêné, qu’au début de mon ministère, quand j'arrivais à ces passages sur la crucifixion, j'avais tendance à remplir les blancs avec ces [détails sordides]. Je disais souvent: “Eh bien, on sait que son visage devait être couvert de sang. Il était tout bleu de coups. Il y avait du crachat sur ses joues, etc.” Mais ce qui m'a intrigué récemment, c'est de voir que les détails macabres sont presque inexistants dans les évangiles. Il est dit que Jésus a reçu une couronne d’épines sur sa tête, mais il n'y a aucune description détaillée. Aucun des narrateurs n’ajoute: “Et le sang coula sur son visage.” Rien de tout cela.
Ce dont j’ai pris conscience, c’est qu’il y a un certain danger à simplement décrire les souffrances de Jésus et sa mort, et à s’en émouvoir uniquement sur le plan émotionnel. Ce qui est vraiment fascinant, c’est que n'importe qui qui entend une description de torture, de souffrance et de mort sera ému. C’est inévitable. Mais en omettant tous ces détails, c’est comme si les auteurs des évangiles voulaient nous dire: “Veillez à ne pas confondre le fait d’être juste ému par ses souffrances avec le fait d’en comprendre le sens. La seule chose qui peut réellement transformer votre vie, c’est d’en comprendre le sens, et pas seulement d’être ému par la croix”4.
Pour illustrer son propos, Keller établit un parallèle entre les personnes qui ne sont touchées que par le côté émotionnel de la croix et les "filles de Jérusalem" mentionnées dans Luc 23. Dans ce passage, Jésus est en chemin vers la croix lorsqu’il se retourne et s’adresse à un groupe de femmes qui le suivent en pleurant. Et il leur dit: “Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi; mais pleurez sur vous et sur vos enfants!” Ce que Jésus leur reproche, selon Keller, c’est d’être émues de manière sentimentale, sans saisir le sens profond de sa mort – ce qui les conduirait à pleurer sur elles-mêmes, des larmes de repentance. Elles sont bouleversées par l’idée que Jésus meurt, mais elles ne comprennent pas pourquoi il le fait, ni ce qu’il accomplit.
Pour Keller, il en va de même pour beaucoup de ces personnes qui viennent à l'église pendant le Carême, ou lors du Vendredi Saint: elles sont émues par la souffrance de Jésus, mais ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. C’est très grave, car c’est une compréhension du message de la croix qui transforme, pas seulement une réponse émotionnelle.
C'est pourquoi, en cette période de Pâques, veillons à ce que notre présentation de la croix s'aligne sur celle des évangiles plutôt que sur celle de Mel Gibson.
Si vous êtes prédicateur, moniteur d’école du dimanche, responsable d’un groupe de maison, ou amené à enseigner la Bible dans un autre contexte, donnez suffisamment de détails sur la crucifixion pour combler l’écart entre le texte original et l’auditeur contemporain. Mais assurez-vous de mettre en avant la théologie plutôt que le gore de la croix.
Veillez à ce que votre auditoire ne soit pas juste ému de manière sentimentale, mais qu’il soit touché par le glorieux message du Calvaire. Proclamez que Jésus a pris sur lui les péchés de son peuple et en a payé le prix, sur la croix, en subissant tout le poids de la colère de Dieu qu’ils méritaient, pour que tous ceux qui se tournent vers lui puissent avoir la paix avec Dieu, par la foi.
webinaire
Peut-on savoir si Jésus est ressuscité?
La résurrection de Jésus est-elle un simple mythe ou un événement historique avéré? C’est à cette grande question que répondra Guillaume Bignon, théologien et apologète, lors de ce webinaire exclusif.
Orateurs
G. Bignon