“Ma vie, ma mort, mon choix”, vraiment?

ÉthiqueFin de vie et euthanasie

“Ce n’est pas que j’ai peur de la mort, mais je n’aimerais pas être présent à ce moment-là.¹ Si cette boutade de Woody Allen nous fait sourire, c’est parce qu’elle touche à quelque chose de vrai. Il est vrai que nous ne voulons pas être là lorsque l’heure sonnera. Le problème est que nous n’avons pas vraiment le choix.

Or, c’est justement ce désir de pouvoir choisir –d’être libre!– qui motive la tendance actuelle vers la légalisation de l’euthanasie (ou du suicide assisté) un peu partout dans le monde. Et en France en particulier.

Des contraintes qui enferment, ou qui libèrent?

Parmi les nombreux arguments cités en faveur de l’euthanasie, celui de la liberté de l’individu est sans doute le plus puissant.

Aujourd’hui, la plupart des gens estiment que chacun devrait pouvoir décider pour lui-même s’il veut vivre ou mourir. Selon le slogan de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité qui milite pour euthanasie, c’est “ma vie, ma mort, mon choix”. Dans notre société individualiste moderne, ce postulat tient lieu d’évidence ne pouvant être remis en cause. En effet, qui sommes-nous pour porter un jugement sur ce que quelqu’un d’autre choisit de faire de sa propre vie? De quel droit nous permettrions-nous de forcer des gens à continuer de vivre quand ça ne leur convient plus?

Or, c’est sur ce point précis que la théologie chrétienne achoppe. Si la Bible reconnaît que les êtres humains jouissent d’une certaine liberté, il s’agit de la liberté relative d’une créature. Dans une perspective biblique, seul le Dieu Créateur peut donner et ôter la vie: c’est lui “qui fait mourir et qui fait vivre” (Dt 32.39). C’est pourquoi, Dieu interdit aux humains de se prendre la vie, ou de prendre la vie d’autrui, car cela n’appartient qu’à lui (Ex 20.13). C’est une prérogative divine.

Comment devons-nous comprendre ces interdits? Sont-ils de l’ordre des contraintes qui enferment, ou qui libèrent? Pour le savoir, examinons les effets d’une levée de tels interdits…

Le sentiment d’être un fardeau

Contrairement à ce que laisse entendre le slogan: “Ma vie, ma mort, mon choix!”, le choix de l’euthanasie ou du suicide assisté n’est pas une question individuelle, puisqu’il est demandé à quelqu’un d’autre –au médecin– de procéder à l’injection létale ou de rédiger la prescription létale. Le médecin est donc impliqué. Et si la société approuve la démarche –en légalisant l’acte en question–, alors, la société est impliquée. C’est toute la société qui juge que la vie de cette personne ne vaut effectivement plus la peine d’être vécue.

Pour poser un tel jugement, nous devons bien sûr définir des critères d’éligibilité, pour veiller à ce que seules certaines personnes puissent bénéficier de l’euthanasie ou du suicide assisté: les malades incurables, ou les personnes en fin de vie, p. ex. Mais pensez alors au message que nous –en tant que société– envoyons à ces gens lorsque nous leur disons: “Votre situation est suffisamment grave, nous pensons que l’euthanasie ou le suicide est en fait une option appropriée pour vous! Nous pensons qu’il vaudrait mieux que vous soyez morts!” Mais pour d’autres personnes, nous ne l’autorisons pas, parce qu’elles nous sont encore utiles ou précieuses. C’est extrêmement grave: nous sommes, au fond, en train de classifier des personnes comme étant moins dignes de vivre!

Ce faisant, nous mettons une pression énorme sur des personnes déjà vulnérables. Celles-ci pourraient ressentir comme une terrible pression qu’il est de leur devoir de mourir pour ne pas être un fardeau pour d’autres. C’est déjà ce qui se passe, en fait, puisqu’un rapport officiel de l’État de Washington, aux États-Unis (où le suicide assisté a été légalisé en 2008), indique que 61% des personnes qui ont entrepris cette démarche l’ont fait parce qu’elles avaient le sentiment d’être un fardeau pour leur propre famille ou l’ensemble de la société2.

Le risque de la pente glissante

Plus grave encore: à partir du moment où l’on accepte que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, on ouvre une porte qu’il est ensuite difficile de refermer. D’une part, si l’on autorise l’euthanasie dans le but de soulager la souffrance, pourquoi se limiter aux souffrances physiques? Pourquoi ne pas l’appliquer aussi à ceux qui sont dans une détresse psychologique ou simplement “fatigués de la vie”? D’autre part, si l’on autorise l’euthanasie pour les personnes âgées, sous prétexte qu’elles ne sont plus autonomes et qu’elles sont donc un fardeau, pourquoi se limiter à elles? Pourquoi ne pas l’ouvrir à ceux de tout âge qui ne sont pas autonomes: les handicapés, les personnes souffrant de troubles mentaux, etc.? Très vite, la société pourrait estimer qu’il n’est pas juste de discriminer de la sorte, et ainsi, ouvrir l’accès à l’euthanasie à encore plus de catégories de personnes.

C’est en réalité ce à quoi nous assistons déjà en Belgique. Précurseur en la matière, la Belgique a légalisé l’euthanasie dès 2002. Cette loi était initialement conçue comme une possibilité ouverte aux personnes souffrant de manière insupportable de maladies graves et incurables. Mais elle n’a cessé, depuis, de s’élargir: les personnes atteintes de troubles mentaux représentent ainsi 19% des patients euthanasiés, et depuis 2014, il est possible d’euthanasier les mineurs, même s’ils ne sont pas en mesure de donner leur consentement3.

Selon Carine Brochier, de l’Institut Européen de Bioéthique:

La loi est devenue incontrôlable. On a commencé par les patients en phase terminale. On l’a ensuite élargie aux personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies. Ensuite aux personnes menacées de démence, puisqu’une fois la démence en place, l’application de la loi n’est plus possible. Et enfin, à la détresse psychologique. On ne s’est pas rendu compte de ce qu’on faisait4.

Une loi de la liberté!

Ainsi, lorsque l’interdit de (se) tuer est levé, nous constatons des effets désastreux: la société se délite, les droits des plus vulnérables sont bafoués, et le caractère sacré de la vie humaine est abandonné au profit d’une vision utilitariste de l’homme.

Nous comprenons mieux pourquoi Dieu se réserve cette prérogative.

“Tu ne tueras point” n’est pas une contrainte qui enferme, mais une "loi de la liberté" (cf. Jc 2.12). Ce n’est pas une entrave épouvantable à notre liberté individuelle, mais une contrainte qui libère! Abandonner à Dieu le droit d’ôter la vie, nous décharge d’un poids bien trop lourd à porter pour nos frêles épaules humaines. C’est une responsabilité que nous ne sommes pas en mesure d’assumer.

L’euthanasie et le suicide assisté expriment un désir d’être libre, sans limites, de ressembler davantage au Créateur qu’à la créature. Mais comme le rappelle le mythe d’Icare: à vouloir voler plus haut que l’interdit divin, on se brûle les ailes. Et, plus grande est la folie des grandeurs, plus dure est la chute.

Mère Teresa avait trouvé les mots pour décrire ce désir funeste:

Dieu seul peut décider de la vie et de la mort… C’est pourquoi [l’euthanasie] est un crime si affreux. En le pratiquant, on ne fait pas qu’ôter la vie, mais on se place au-dessus de Dieu. Cependant, les hommes de notre temps décident qui doit vivre et qui doit mourir: ils veulent devenir Dieu, s’emparer du pouvoir du Tout-Puissant et pouvoir s’écrier: “Nous pouvons nous passer de Dieu, et décider de ces questions nous-mêmes.” Ce comportement est l’attitude la plus diabolique dont l’homme puisse se rendre coupable5.

À bon entendeur…


1. Woody Allen, in John Wyatt, Questions de vie et de mort. La foi et l’éthique médicale, Charols: éd. Excelsis, 1998, p. 228.
2. Washington State Department of Health, Death and Dignity Act Report, publié en 2014, disponible sur: www.doh.wa.gov [consulté le 15 décembre 2023].
3. Loup Besmond de Senneville, "En quinze ans, l’euthanasie en Belgique s’est banalisée", publié le 05 décembre 2017, disponible sur: www.la-croix.com [consulté le 21 janvier 2021].
4. Carine Brochier, "Belgique, l’euthanasie en procès", publié le 31 janvier 2020, disponible sur: www.alliancevita.org [consulté le 16 juin 2020].
5. Desmond Doig, Mother Teresa. Her People and Her Work, Londres: Collins, 1976, p. 162.


Pour aller plus loin:

Joël Favre

Joël Favre est pasteur de l'Église Réformée Baptiste du Grésivaudan, située dans l'agglomération grenobloise. Il a étudié la théologie plusieurs années en Angleterre (au London Seminary) avant d'obtenir un master de recherche à la Faculté Jean Calvin en 2017. Joël est marié à Anne et papa de Rubens.

Ressources similaires

webinaire

Droit de mourir? Une table ronde sur la fin de vie et l'euthanasie

Découvre le replay du webinaire du 27 septembre 2023 avec Thierry Le Gall, Directeur du Service pastoral du CNEF auprès des parlementaires, Vincent Rébeillé-Borgella médecin généraliste à Lyon et auteur du livre Un médecin face à la peur de la mort et Joël Favre, pasteur en région grenobloise et professeur d’éthique à l’Institut Biblique de Bruxelles ; ainsi qu’une invitée spéciale: Justine Gruet, députée du Jura.

Orateurs

T. Le Gall, V. Rébeillé-Borgella et J. Favre