La semaine dernière, nous avons eu la chance de passer deux jours à Disneyland Paris en famille. C'était une promesse de longue date et un cadeau que nous souhaitions offrir à nos enfants. Comme des millions de visiteurs, nous avons vécu des moments mémorables et créé de précieux souvenirs en famille.
Pourtant, tout au long de notre séjour, je n’ai pas pu m’empêcher d’analyser théologiquement ce que j’observais comme quand je regardais la cérémonie des JO.
Dans les nombreuses files d’attente, entre les rires et les attractions, j’examinais cet univers enchanté à l’aspect profondément religieux de Disneyland. Ce monde où les rêves deviennent réalité relève d’une liturgie culturelle que je vais tenter de décrire1.
Disneyland véhicule une vision eschatologique d’un monde tel qu’on souhaiterait qu’il soit – un monde enchanté, plein de magie et de merveilles, contrastant avec la laideur et la désillusion du quotidien. Cette vision eschatologique immanente se réalise ici et maintenant, dans le parc lui-même, véritable Éden séculier.
Disneyland propose une expérience où l’idéal est vécu dans la consommation d’une expérience émotionnelle et esthétique. Disneyland nous fait goûter au monde tel que le matérialisme séculier l'idéalise.
En regardant cette expérience à travers la vision biblique du monde, le pèlerinage à Disneyland est profondément religieux. Les visiteurs quittent le monde déchu et désenchanté pour entrer dans le Paradis des attractions et des boutiques, avec l’espoir d’y trouver le bonheur, la magie et l’émerveillement. Cependant, cet enchantement est éphémère et factice. Il ne repose que sur la consommation et l’émotion, mais ne peut pas produire la plénitude que les pèlerins cherchent.
Le voyage à Disneyland est un véritable pèlerinage séculier. Les visiteurs concèdent des sacrifices toute l'année pour participer à cette expérience unique. Le parc est le temple de la consommation, où le fait de venir, de payer, et de consommer est en lui-même une forme de rituel, une expérience capitalistique enchantée: “Rien ne fait sourire un enfant comme un nouveau jouet” lit-on sur le fronton d'une boutique. Ce pèlerinage consacre les désirs des visiteurs dans une logique consumériste où le bonheur est acheté et l’expérience spirituelle est réduite à une émotion passagère. Les clients deviennent des adorateurs dans un temple de l’immanence, où les idoles sont des personnages de fiction et la transcendance est remplacée par une satisfaction immédiate.
Disneyland ne se limite pas à la simple distraction, il est un lieu où le divertissement orgiaque, la recherche effrénée du plaisir à travers la consommation et l'émotion, renforce ce culte de l’immédiateté et du bonheur matériel.
Peu de marques dans le monde sont aussi puissantes que Disney. Elle réunit autour des mêmes imaginaires des milliards de personnes. Son influence culturelle est inégalée, construisant un univers partagé par des masses immenses, toutes captivées par ce même idéal magique et enchanté.
Disneyland est un temple moderne où l’émerveillement esthétique et émotionnel prend lieu et place de l'expérience spirituelle. L’objectif que s'est donné Disneyland est de réenchanter le monde désenchanté par le consumérisme et la culture de masse. La promesse est que, dans cet espace, les visiteurs pourront toucher du doigt un bonheur que le monde réel ne peut leur offrir.
Dans une société post-chrétienne, ce réenchantement du monde par la consommation se substitue au royaume de Dieu. Là où l'Évangile offre une vision d’un monde nouveau à venir, fondé sur la réconciliation avec Dieu, Disneyland propose un monde temporaire et artificiel où le bonheur est acheté. Les rituels de ce temple sont les achats, les processions sont les files d’attente et les émotions ressenties dans les attractions.
Mais quand le pèlerin quitte Disneyland, il repart tel qu'il est venu (allégé de quelques centaines d'euros). Il retourne dans la laideur du monde qui ne lui offre aucune espérance.
Disneyland place l’émotion et l’esthétique au cœur de son expérience. Les visiteurs sont invités à être "ravis aux cieux" par la beauté visuelle du parc, par l’émotion des attractions, et par l’émerveillement constant que chaque détail suscite. Cette recherche d’émotions intenses se transforme en une forme de transcendance séculière, une tentative de réenchanter le quotidien, mais sans offrir davantage que ce que l’on peut acheter avec de l’argent.
Disneyland développe un champ lexical qui renforce son pouvoir de fascination: rêves, enchantement, magie, merveilleux, etc. “Quand on prie sa bonne étoile, les rêves se réalisent toujours” dit la fée à Pinocchio. Les cantiques (chansons) de Disney sont récités en chœur comme des catéchismes lors des spectacles.
Cette atmosphère fonctionne comme une langue sacrée, orientant les cœurs et les esprits vers un amour de l’immanence, où la magie et l’émotion sont les moyens de transcender le monde désenchanté. Cela rivalise avec le vocabulaire biblique qui oriente l’espérance vers une rédemption finale et transcendante, ancrée dans la foi, et non dans la consommation de produits ou d’expériences.
Cette exaltation de l’émotion et de l’esthétique déplace les visiteurs du domaine de la transformation spirituelle vers celui de la satisfaction immédiate des sens. Disneyland forme ainsi des désirs qui cherchent la satisfaction immédiate dans l’émotion esthétique, plutôt qu’une espérance patiente du royaume de Dieu.
Durant notre visite, j'ai été frappé par le nombre de personnes (adultes y compris) qui se déguisent ou portent des vêtements de la marque Disney. Je crois que cela représente davantage qu'un simple folklore. Même pour faire semblant, elles veulent ressembler à leurs idoles et ressentir qu'elles appartiennent à cette famille merveilleuse.
En effet, les clients ne se contentent pas de visiter Disneyland, ils entrent dans une forme de mimesis, où ils adoptent quelque chose de l’identité des personnages qu’ils admirent. Les participants se rapprochent de leurs idoles, imitant leurs caractéristiques et prenant part à un culte tacite des figures mythologiques, renforçant ainsi l'emprise de la vision du monde de Disney sur eux.
Se vêtir de Disney est un acte liturgique par lequel les visiteurs, tels des prêtres, portent sur eux ce désir d’un monde enchanté. Les employés de Disney, qui eux-mêmes jouent les personnages, deviennent des prêtres, médiateurs tangibles avec ce monde fictionnel, renforçant ainsi l’expérience esthétique.
En déambulant dans le parc et en assistant à un spectacle dédié, j'ai pu constater qu'Elsa, La Reine des Neiges, détient une place particulière dans le cœur des petites filles. Elle est la divinité qui incarne à la perfection le moi moderne: l’autonomie, la quête d'authenticité personnelle et l’émancipation des normes ou attentes extérieures. Seule la sororité ne peut l'aider dans ce but.
Elsa symbolise cette quête d'authenticité: elle veut vivre en accord avec qui elle est réellement, même si cela signifie rompre avec les normes sociales ou le statut royal qu’elle incarne. Elle résout la tension entre la nécessité de cacher qui elle est et son désir de s'accepter telle qu'elle est, malgré ses différences: libérée, délivrée!
Cette figure incarne parfaitement la célébration moderne d'être fier de ce que l'on est dans une société qui devrait être plus inclusive.
Dans La Reine des neiges, Elsa représente un idéal eschatologique du modern-self, où la rédemption personnelle est obtenue non pas par un salut transcendant, mais par la réalisation de soi et la construction de sa propre identité intérieure, unique. Cette vision eschatologique est fondamentalement immanente: le bonheur et l’accomplissement se trouvent ici et maintenant, dans l’affirmation de soi sans contraintes ni complexe.
Selon un regard mondain, l'Église semble ne pas pouvoir rivaliser d’influence avec une telle industrie. Mais, rien de nouveau sous le soleil. Au temps biblique, les païens allaient au temple d’Artémis, à Éphèse. Aujourd'hui, les néo-païens vont à Paris au Temple de Disney. En réfléchissant à l’expérience qu’offre Disneyland à travers une perspective biblique, il est clair que le parc veut répondre à une aspiration universelle enracinée dans le cœur de tout homme: il a été créé pour s’émerveiller de Dieu.
Faisant face à un univers froid et sans but, les individus qui croient au sécularisme continuent à chercher un sens pour donner une direction et un but à leur vie. Disney en témoigne. Le cadre immanent n’offrant pas de perspectives transcendantes, les gens consomment de plus en plus de productions culturelles qui accordent la belle part au surnaturel (science-fiction, fantasy, etc.).
Marcel Gauchet affirme:
Jamais, sans doute, autant que dans notre âge séculier, l’humanité ne s’est à ce point projetée dans une vie seconde, une vie imaginaire, une vie par procuration qui commence tout bêtement dans la consommation quotidienne d’heures de fictions.2
Ce besoin de s’immerger dans l’univers immaginaire vient du fait que le monde désenchanté est "hanté" par sa mémoire du monde enchanté, tel que la Bible le décrit.
Disneyland promet un enchantement immédiat et tangible, une vision immanente d’un royaume où les désirs sont satisfaits à travers la consommation et l’émotion. Mais ce royaume n'est que vanité. Une fois l'émotion passée, il n’offre ni rédemption ni transformation.
L'Église est appelée à offrir au monde le spectacle que l'humanité déchue a besoin de découvrir: celui de Jésus triomphant par la croix et inaugurant son royaume. Ce royaume ne s'achète pas, mais s'obtient par la foi et l’espérance en la rédemption finale à travers Christ. Ce royaume ne produit pas l'émotion fugace et l'autoréalisation illusoire “mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit” (Rm 14.17).
Face à la puissance culturelle inégalée de Disney, qui captive des milliards de personnes autour des mêmes imaginaires, l'Église doit rappeler que la véritable plénitude ne peut être trouvée que dans la relation avec Dieu. Alors que le monde utilise le divertissement, l’émotion et l’esthétique pour séduire, l'Église a le privilège de proposer un spectacle radicalement différent: celui d’un royaume qui ne se découvre pas par la consommation, mais par la foi; celui d’un Roi venu à nous pour nous offrir la vie en abondance.
Dans cette guerre des spectacles, l'Église doit non seulement offrir un contre narratif, mais aussi incarner la beauté et la grandeur du royaume de Dieu, qui se manifeste dans la vie des rachetés.
Vous avez revêtu l’homme nouveau qui se renouvelle pour parvenir à la vraie connaissance, conformément à l’image de celui qui l’a créé. Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, ni circoncis ni incirconcis, ni étranger, ni sauvage, ni esclave ni homme libre, mais Christ est tout et en tous.
Colossiens 3.10-11
webinaire
Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?
Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.
Orateurs
M. Giralt et R. Charrier