La Grâce dans Narnia: Introduction

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Lorsque j’étais enfant et que je lisais Les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, quelque chose me bouleversait.

À la fin de Prince Caspian, Aslan annonce à Peter et Susan qu’ils ne pourront plus revenir à Narnia, car ils sont trop vieux. Dans L’odyssée du Passeur d’Aurore, c’est au tour d’Edmund et Lucy d’apprendre cela par Aslan:

— Très chère enfant, répondit-il avec beaucoup de douceur, ton frère et toi ne reviendrez jamais à Narnia.

— Oh! Aslan! s’exclamèrent ensemble Edmund et Lucy d’une voix désespérée.

— Vous êtes trop âgés, mes enfants, et vous devez commencer à vous rapprocher de votre propre monde, désormais.

L’Odyssée du Passeur d’Aurore, Gallimard Jeunesse, chapitre 16, p. 259

Cela me troublait car j’avais peur que Narnia ne se referme pour moi aussi, un jour.

Suffisamment âgés pour Narnia

Cela m’a poursuivi longtemps, jusqu’à tout récemment. En relisant attentivement les sept tomes des Chroniques de Narnia, je suis tombé sur ce dialogue entre le prince Caspian et son oncle, le roi Miraz:

— Eh! Qu’est-ce que vous racontez? dit-il. De quel ancien temps parlez-vous?

— Comment, vous ne savez pas, mon oncle? s’étonna Caspian. Le temps où tout était complètement différent. Lorsque les animaux savaient parler, et que d’aimables créatures vivaient dans les rivières et dans les arbres. On les appelait naïades et dryades. Et il y avait des nains. Et il y avait de charmants petits faunes dans tous les bois. Ils avaient des pieds comme ceux des chèvres. Et…

— Ce ne sont que des sornettes pour les bébés! interrompit sévèrement le roi. Juste bonnes pour les bébés, vous m’entendez? Vous êtes trop grand pour croire à ces sortes de balivernes! À votre âge, vous devriez rêver à des batailles et à des aventures, non à des contes de fées.

Le Prince Caspian, Gallimard Jeunesse, chapitre 4, p. 49

Ces quelques mots m’ont fait comprendre les choses tout autrement. En fait, lorsque Aslan dit « trop âgés », il ne parle pas vraiment de l’âge des enfants en matière de nombre d’années. Il parle plutôt de la façon de croire ou non à un autre monde. À travers la différence entre enfants et adultes, Lewis illustre le difficile combat entre la foi et le scepticisme. C’est probablement aussi ce que Jésus avait en tête lorsqu’il disait:

Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.

Mt 19.14

Comme le Royaume des cieux, Narnia est un monde réservé à ceux qui croient. Les enfants sont tellement plus ouverts à l’imaginaire! En vieillissant, notre monde devient de plus en plus familier, nous devenons en quelque sorte des habitués. Plus nous comprenons ce monde, plus notre capacité d’émerveillement diminue. Nous ne construisons plus de mondes merveilleux en Lego ou Playmobil, trop occupés à planifier nos activités quotidiennes. Nous devenons de plus en plus réticents au surnaturel à mesure que nous comprenons le monde de façon scientifique. C’est ce qui arrive à l’oncle Andrew dans Le neveu du magicien:

Déjà, lorsque les bêtes s’étaient mises à parler, il [l’oncle Andrew] n’avait rien compris, et cela pour une raison assez intéressante. Dès le début, il avait su que la note qu’ils avaient entendue était un chant, mais un chant qu’il n’avait pas apprécié du tout, car il lui avait fait penser et ressentir des choses qu’il n’avait voulu ni penser ni ressentir. Quand il avait vu que c’était un lion qui chantait, il avait essayé de se persuader que ce n’était pas un véritable chant mais un simple rugissement, comme un lion dans un zoo.

C.S Lewis, Le Neveu du Magicien, Gallimard Jeunesse, chapitre 10, p. 145

C.S Lewis a écrit les Chroniques pour sa filleule Lucy Barfield (née le 2 novembre 1935 et morte le 3 mai 2003) et nous offre une des plus belles dédicaces de la littérature, en exergue de L’Armoire magique:

Ma chère Lucy,

J’ai écrit cette histoire pour toi; mais, en la commençant, je ne m’étais pas rendu compte que les petites filles grandissent plus vite que les livres. Finalement, tu es déjà trop âgée pour t’intéresser aux contes de fées et quand celui-ci se trouvera imprimé et relié, tu seras plus vieille encore! Mais un jour viendra où tu seras suffisamment âgée pour recommencer à lire des contes. Alors tu descendras ce livre du haut de la bibliothèque, tu l’époussetteras et me diras ce que tu en penses. Je serai probablement trop sourd pour t’entendre et trop vieux pour comprendre un mot de ce que tu me diras, mais je demeurerai ton parrain affectionné.

C.S. Lewis

En tant qu’adulte, nous devons être réceptifs comme des enfants à l’idée d’un autre monde et lire à nouveau des contes. Il est essentiel de mettre de côté nos propres limites à la réalité, car nous allons dans un monde où les animaux parlent et où les rois consultent des licornes pour obtenir des conseils. Dans ce monde, Lewis a inséré toutes sortes d’idées que seuls les adultes peuvent percevoir. Être trop âgé pour Narnia est finalement souhaitable, car nous devenons aussi suffisamment âgés pour les relire avec un regard aussi sage et intelligent que possible.

La Grâce dans Narnia

Tout a commencé lorsque j’ai commencé à illustrer mes prédications ou mes présidences de culte avec des citations tirées des chroniques de Narnia. J’ai été surpris d’avoir de nombreux retours positifs: les gens étaient tout simplement touchés ou émerveillés par ces petites parenthèses dans un monde imaginaire comme celui de Narnia.

Je me suis donc lancé dans une relecture complète de Narnia et une étude plus approfondie. Il y a toutes sortes de littératures qui décryptent Le monde de Narnia avec un regard d’adulte, surtout en anglais. En français, c’est plus difficile. J’ai tout de même apprécié Le Monde de Narnia décryptée de Philippe Maxence.

Ce livre (que je vous conseille vraiment de lire si vous aimez Narnia) explore la biographie de Lewis avec justesse (c’est pourquoi, ce ne sera pas le sujet ici). Il explore aussi brillamment le sacrifice d’Aslan, la création de Narnia et son apocalypse. Mais le livre s’arrête assez brutalement (la 3e partie est un dictionnaire des noms et des lieux de Narnia). Il manque une dernière partie pour explorer un peu plus les relations entre Aslan et les personnages.

En effet, au fil de notre lecture de Narnia, nous apprenons également beaucoup sur la nature de la relation entre Aslan et ses serviteurs. La meilleure façon de décrire cette relation est celle de la Grâce. Selon moi, la série de C.S. Lewis est l’une des meilleures représentations de la Grâce de Dieu dans tous ses aspects (après la Bible, bien sûr). C’est ces quelques points que je n’ai pas lus ailleurs que je voudrais aborder dans cette série d’articles.

Je pense que Lewis se voyait un peu dans tous les personnages. Il a été la confiante famille Castor, l’innocente Lucie, le traître Edmund, le grognon Eustache, la Jill étourdie, le valeureux Ripitchip, l’ignorant Shasta, le flegmatique Puddlegum et l’orgueilleux Bree. À travers tous ces personnages, c’est l’étonnante richesse de la vie en Christ que Lewis nous dépeint.

Je m’appuie tout au long de cette étude sur des larges citations du livre. Si vous n’avez pas encore lu Les Chroniques de Narnia, soyez prudents, car d’importants éléments de l’intrigue seront dévoilés. Cela pourrait vous gâcher la surprise. Mais il y a aussi une autre possibilité: cela pourrait vous donner envie de vous y plonger sans tarder.

Des suppositions

Je veux vous prévenir dans cette introduction que, contrairement à une idée assez répandue, Narnia ne doit jamais se lire comme un ensemble d’allégories. Dans ses lettres personnelles, Lewis rappelait constamment à ses admirateurs que ses histoires ne devaient pas être prises ainsi:

Vous vous trompez quand vous pensez que tout dans le livre « représente » quelque chose dans le monde. C’est ce qu’il se passe dans Le Voyage du Pèlerin, mais je n’écris pas de cette façon. Je ne me suis pas dit: « Représentons Jésus tel qu’il est réellement dans notre monde, par un lion à Narnia. » J’ai dit: « Supposons qu’il y ait un pays comme Narnia et que le Fils de Dieu, tel qu’il est devenu un homme dans notre monde, est devenu un Lion là-bas, puis imaginez ce qui se passerait. » Si vous y réfléchissez, vous verrez que c’est une tout autre chose.

Lettres du pays de Narnia, C.S. Lewis, Classe de 5e année dans le Maryland, 29 mai 1954

Lewis voulait simplement baptiser l’imagination des petits enfants, en familiarisant ses lecteurs avec des idées chrétiennes. Les Chroniques de Narnia sont des suppositions (un terme qu’il a lui-même inventé), c’est-à-dire l’exploration de cette question toute simple: « Et si..? »

Conseil pour écrire un conte

Nous organisons actuellement un grand concours de contes sur le thème « Grâce infinie » (avec Yannick Imbert, Louisa Treyborac, André Fillion, Claude Royère). Il est ouvert jusqu’au 31 mars 2023, en partenariat avec BLF Éditions, Éditions ThéoTeX, TPSG et La Réb’, Que diriez-vous de participer?

Cette introduction sur Les Chroniques de Narnia nous permet de dégager un conseil d’écriture pour ce concours: il est très important de respecter le genre littéraire. Il s’agit d’écrire un conte (pas une nouvelle, encore moins un témoignage ou un récit réaliste…). Dans la grille d’évaluation du jury (sur 20 points), cela correspond déjà à 4 points. Nous proposons dans le règlement une définition du conte:

Le conte est un récit d’aventures imaginaires destiné à distraire, à instruire en amusant. Ce genre est distinct de la nouvelle par l’acceptation du surnaturel propre au genre merveilleux.

Le conte transmet bien souvent des vérités de l’adulte à l’enfant, à travers des éléments surnaturels ou féeriques, des événements miraculeux propres à enchanter le lecteur. Les contes de fées ont d’ailleurs circulé, à l’origine, de bouche-à-oreille. Un bon conte sera probablement un conte que l’on peut raconter à voix haute à un enfant (c’est d’ailleurs ce que veut véhiculer notre affiche), mais sans ennuyer les adultes.

Voici donc le premier conseil que nous apprend C.S Lewis: il faut mettre de côté notre « oncle Andrew » et s’ouvrir à l’existence d’un autre monde. Il ne s’agit pas de renier le fait que nous sommes des adultes, en écrivant des contes vides de sens ou saturés à outrance de magie et de merveilleux. En tant qu’adultes, nous avons également appris de nombreuses leçons que nous avons envie de transmettre à nos enfants, tout en les amusant.

Tout le défi est donc là: créer un conte qui ne soit ni trop adulte, ni trop enfantin. Lewis nous donne aussi une autre piste intéressante. Il me semble que l’allégorie serait plutôt un piège (à moins qu’elle soit parfaitement maîtrisée). Il vaut mieux, selon moi, partir sur des suppositions…

4 questions à se poser:

  1. Est-ce que mon texte est véritablement un conte (quête, schéma narratif, vocabulaire)?
  2. Est-ce qu’il convient aussi bien aux enfants qu’aux adultes?
  3. Est-ce que nous trouvons la présence du merveilleux ou du surnaturel (mais sans excès)?
  4. Est-ce que mon conte transmet des vérités profondes de manière distrayante?

À vos plumes!

La semaine prochaine, nous découvrirons d’autres conseils utiles pour écrire un conte, grâce à M. et Mme Castor.


Sommaire de la série « La Grâce dans Narnia »

Sur ToutPourSaGloire.com

1. « La Grâce dans Narnia – Introduction »

2. « M. Castor – La neige commence à fondre »

3. « Lucy – La joie du premier jour de l’été »

4. « Edmund – Un souffle de vie sur la pierre »

Sur PlumesChrétiennes.com

5. « Eustache – La griffe tranchante du Lion »

6. « Ripitchip – Le courage d’un chevalier en voyage »

7. « Jill – Le silence du Lion »

8. « Puddlegum – Dans le camp d’Aslan »

9. « Shasta – Il n’y avait qu’un seul lion »

10. « Aravis et Bree – Je suis une vraie bête »

David Mas

David est le fondateur et coordinateur du site Plumes Chrétiennes, un blog collectif dédié à la littérature chrétienne, où de nombreux auteurs viennent proposer des textes poétiques ou de fiction. C’est également un professeur des écoles passionné. Il est marié avec Amandine et ont deux jeunes enfants. Il est membre et responsable de l’Église Protestante Évangélique de Montceau-les-Mines.

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Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?

Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.

Orateurs

M. Giralt et R. Charrier