La suite de cet entretien passionnant avec Sylvain Romerowski révèle que la dernière version Semeur a beaucoup évolué par rapport à la précédente.
Dans ce billet, je poursuis mon entretien avec Sylvain Romerowski, qui a coordonné la révision 2015 de la traduction de la Bible du Semeur. Il est professeur à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et a publié, entre autres, un ouvrage significatif intitulé Les sciences du langage et l’étude de la Bible (Excelsis, 2011).
Sylvain, à quelle fréquence une traduction de la Bible doit-elle être « mise à jour », et pourquoi est-ce nécessaire?
La dernière édition datait de quinze ans en arrière. Dans le comité de traduction, nous parlions depuis plusieurs années déjà de la nécessité d’une révision approfondie. En vingt-cinq ans, depuis la première édition, nous avons appris, ne serait-ce que parce que nous n’avons cessé de travailler sur la Bible pendant tout ce temps, pour nos cours, ou nos écrits. Nous avons parfois changé d’avis sur certains points. Nous nous sommes rendu compte de certaines erreurs. De nombreuses personnes nous ont aussi fait des remarques. La révision est le fruit de tout cela et, de l’avis de plusieurs, a sensiblement amélioré la qualité de la traduction de la BS, qui était déjà très bonne.
Si l’on compare la Bible du Semeur 2015 à la version précédente, quelles sont les principales catégories de changements effectués?
Les modifications sont nombreuses et de multiples natures, mais toujours dans l’optique de rendre la traduction plus fidèle à l’original quant au sens. On ne peut pas répertorier tous les types de changements, mais seulement indiquer quelques exemples généraux. La traduction de certaines expressions clés a changé. Dans les textes en poésie de l’Ancien Testament (les Psaumes et les Prophètes en particulier), nous nous sommes aperçus que la première édition était parfois trop libre et avons rectifié pour la rendre plus exacte, plus précise. Dans un désir de rendre le texte compréhensible, nous avions parfois surchargé la traduction par rapport à l’original; nous sommes alors revenus à un texte plus sobre, tout en restant clair. Nous avons aussi ajouté de nombreuses notes indiquant d’autres options de traduction que celles qui ont été adoptées dans le texte.
Pourrais-tu nous donner quelques exemples de changements proposés en 2015, en nous expliquant pourquoi le comité a jugé important d’apporter ces modifications?
Précédemment, l’expression rendue habituellement par « craindre l’Éternel » avait été rendue dans la BS par « révérer l’Éternel ». Nous sommes revenus à la traduction habituelle en considérant qu’une certaine crainte doit faire partie d’une relation normale avec Dieu, la crainte de lui déplaire notamment.
Le terme habituellement rendu par « les nations » est maintenant souvent rendu par des expressions comme « les autres peuples », « les peuples étrangers » ou « les peuples non-israélites », ou encore « des non-Israélites ». En effet, l’hébreu disposait de deux termes pour dire « peuple », qui, à la base, s’opposaient vraisemblablement de la manière suivante: l’un désignant le peuple auquel le locuteur appartient, l’autre désignant un peuple qui n’est pas celui du locuteur ou de ses auditeurs. Ce dernier terme ne désigne donc pas nécessairement une nation au sens moderne du terme français. En outre, il convenait d’éviter de suggérer que l’œuvre de salut de Dieu sous la nouvelle alliance concerne des nations en tant que telles: dans le cadre de la nouvelle alliance, Dieu traite avec des individus, « des gens de tous les peuples », et non pas avec des nations en tant que telles.
L’expression « changement de vie » était peu heureuse: elle pouvait faire penser à une réincarnation; ou encore, changer de vie de nos jours, c’est quitter son conjoint, sa profession, aller vivre ailleurs… Nous avons corrigé en « changement profond » (Lc 3.3).
« Ceux qui appartiennent à Dieu » est devenu « les membres du peuple saint », ce qui est plus exact.
Au Psaume 119.160, « Ta parole dans sa totalité est vérité » remplace: « La vérité: tel est le fondement de ta parole ». En effet, le sens de fondement n’est pas attesté pour le terme hébreu correspondant; en revanche, celui de totalité se retrouve ailleurs pour ce mot.
De même, en Proverbes 1.7, « La clé de la sagesse, c’est de révérer l’Éternel » devient: « C’est par la crainte de l’Éternel que commence la connaissance », ce qui est plus proche de l’original hébreu.
En Jean 1.3, à propos de Jésus-Christ Parole de Dieu, l’ancienne version, comme bien d’autres traductions, disait: « Tout a été créé par lui », ce qui induit en erreur en français. En effet, la préposition grecque n’est pas celle qui introduit habituellement le complément d’agent, mais elle indique l’intermédiaire ou la médiation. Nous avons donc corrigé en: « Dieu a tout créé par lui ».
En 1 Corinthiens 14.34, « Que les femmes n’interviennent pas dans les assemblées; car il ne leur est pas permis de se prononcer » devient maintenant: « Que les femmes gardent le silence dans les assemblées; car il ne leur est pas permis de parler ». La nouvelle traduction est globalement plus exacte par rapport à l’original. Notamment, le verbe français « se prononcer » était plus précis que le verbe grec, qui signifie simplement « parler ». D’autre part, l’ancienne traduction privilégiait une option d’interprétation tandis que la nouvelle laisse la porte ouverte à plusieurs interprétations indiquées dans la note.
Éphésiens 4.11 devient: « C’est lui qui a fait don de certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme prédicateurs de l’Évangile, et d’autres encore, comparables à des bergers, comme enseignants ». En effet, le terme grec employé ici et d’où dérive notre mot « évangéliste » avait un sens différent de celui qu’a pris notre mot français. Dans notre langue, un évangéliste est quelqu’ un qui fait connaître l’Évangile à des incroyants, par quelque moyen que ce soit. Par contre, le terme grec désigne quelqu’un qui exerce un ministère de la parole qui peut s’adresser aussi bien à des incroyants qu’à des chrétiens; d’ailleurs ici, ce ministère s’exerce auprès des membres de l’Église (v. 12). D’où la traduction « prédicateur de l’Évangile ». Quant au terme grec habituellement rendu par « pasteur », ce n’était pas, contrairement à notre mot « pasteur » aujourd’hui, un titre se rapportant à une fonction précise exercée dans l’Église. Il avait le simple sens de berger. L’image du berger était fréquente pour divers types de ministères au sein de l’Église. Elle évoque le fait de prendre soin des membres de l’Église. Ici, ce sont des enseignants qui sont comparés à des bergers. Il n’est pas question de la fonction pastorale avec tout ce qu’elle comporte aujourd’hui, mais simplement d’enseignants qui ont la charge de nourrir les membres de l’Église de la Parole de Dieu.
D’une édition à l’autre, comment les membres du comité s’y prennent-ils? Ont-ils l’habitude de noter au fur et à mesure, au fil des ans, tous les points à discuter et à débattre en vue de la mise à jour suivante du texte?
Effectivement, les membres du comité ont noté et notent en permanence au fil des années des changements à apporter à la traduction de la BS en fonction de leurs travaux. Ils notent aussi les remarques qui leur sont faites par diverses personnes lorsqu’elles sont jugées pertinentes.
Pour la révision 2015 cependant, un travail systématique minutieux a été accompli en comparant la traduction de la BS à une traduction française plus littérale afin de repérer les divergences de sens, et de vérifier ensuite à chaque fois les textes hébreux et grecs.
À quand la prochaine révision de la Bible du Semeur?
Pas avant dix ou quinze ans je suppose. Peut-être même davantage…
Un grand merci, Sylvain, pour ces éclairages sur la Bible du Semeur 2015!
Lisez également mon billet Ce qu’il faut savoir sur la nouvelle Bible d’étude du Semeur (édition 2018)