Pour certains, rentrée rime avec déprime. Pour moi, rentrée rime avec productivité. À chaque rentrée, c’est comme un nouveau départ. J’essaie de réfléchir à ce que je pourrais mieux faire et c’est souvent l’occasion de lire un bon livre sur le sujet. Mais c’est aussi l’occasion de méditer sur les limites de la productivité et sur ses dangers. Dans cet article, je développe six dangers de la productivité, que j’avais déjà évoqué dans un épisode de Memento Mori. Je conclus l’article en donnant la seule et unique solution à ces dangers: l’Évangile de la grâce.
L’hérésie n’est pas loin de moi. Je peux facilement croire que faire plus me rend meilleur.
Dans son livre Essentialism Greg McKeown écrit:
Les grecs avaient un mot, ‘metanoia’, qui faisaient référence à une transformation du cœur. Nous avons tendance à penser que les transformations qui arrivent seulement dans notre esprit mais comme dit le proverbe: ce qu’un homme pense dans son cœur, il le devient. L’essence de l’essentialisme rentre dans nos cœurs… nous devenons une version différente, meilleure de nous-même. (p. 231)
Le mot auquel McKeown fait allusion, metanoia, est aussi employé dans la Bible et il est rendu par « repentance » en français. Il parle effectivement d’une transformation du cœur. Mais cette transformation est opérée par Dieu. L’homme ne change pas parce qu’il pense différemment, il pense différemment parce que Dieu l’a changé. La transformation est centrifuge: elle part du cœur et se voit à l’extérieur. Ainsi, la productivité peut changer la manière dont je fais les choses, mais elle ne changera jamais mon cœur.
La compromission commence toujours par un renversement des priorités. Ou plutôt de la priorité. Toujours dans le même livre, McKeown explique:
Le mot priorité est arrivé dans la langue anglais dans les années 1400. Il était au singulier. Il signifiait la première ou la chose la plus importante. Il est resté singulier pendant plus de 500 ans. C’est seulement dans les années 1900 qu’on a mis le terme au pluriel et que l’on a commencé à parler de ‘priorités’. De manière illogique, on a pensé qu’en changeant le terme, on pouvait tordre la réalité. D’une certaine manière, on serait maintenant capables d’avoir plusieurs ‘premières’ choses. (p. 16)
La compromission, c’est avoir de mauvaises priorités. C’est échanger un plaisir céleste éternel contre un plaisir terrestre passager, c’est échanger le chemin parfois difficile de la sainteté contre un chemin plus facile, c’est échanger le sacrifice du service contre le confort de l’individualisme, c’est échanger le repos de se trouver devant Dieu contre la tyrannie de notre emploi du temps.
Ma productivité me pousse à la compromission quand mon travail devient si important qu’il passe devant mon culte personnel.
Un des dangers de la productivité, c’est l’idolâtrie. Je ne parle pas forcément de la forme d’idolâtrie où quelque chose prend la place de Dieu (mais qui est un danger réel, voir point précédent), mais plutôt d’une forme d’idolâtrie où, quelque part, je pense que je peux être comme Dieu. Une forme d’idolâtrie qui efface la distance entre Créateur et créature. En fait, je peux facilement croire que je n’ai pas de limites.
Dis ainsi, cela parait un peu grossier. En effet, qui dirait qu’il veut être l’égal de Dieu? Et pourtant, notre manière d’envisager la productivité nous fait courir le danger d’usurper certains de ses attributs:
L’omnipotence: La productivité me trompe en me faisant croire que je peux tout faire. En fait, c’est une mauvaise approche de la productivité. Être vraiment productif, c’est se concentrer seulement sur ce que l’on devrait faire. On oublie souvent qu’on ne peut pas tout faire et qu’on ne doit pas tout faire. Mais même dans ce que je dois réellement faire, je ne fais jamais autant que je voudrais. Les journées ne font que 24 heures et la vie humaine est courte.
L’omniprésence: La productivité me pousse à être partout en même temps. Avec Internet en général et les messageries instantanées en particulier, il est facile d’être à plusieurs endroits à la fois. Mais comme le multitasking, le multispacing (je viens de l’inventer) est un mythe. L’homme n’est fait que pour être à un seul endroit à la fois. Et même si certaines technologies permettent à notre image d’être projetées à plusieurs endroits (Skype, hologramme etc.), je suis toujours contraint par l’espace.
L’aséité (ou l’indépendance): Seul Dieu est indépendant. Hors de lui, tout est créé et tout est dépendant de lui. Dieu n’a besoin de personne, mais tout a besoin de Dieu pour subsister. Quelque part, la productivité me fait croire que si j’arrête de faire ce que je fais, le monde s’arrête de tourner. C’est un problème de théologie. En fait, je dépends de Dieu. Et le monde ne s’arrêtera pas de tourner si je suis moins productif.
Dis simplement, le légalisme, c’est croire que je peux mériter la faveur de Dieu. Dans sa forme la plus grossière, le légalisme, c’est croire que je peux mériter le salut par mes bonnes œuvres. Cette forme-là est facilement écartée par une présentation claire de l’Évangile. Mais nos cœurs sont tortueux. Même si j’accepte l’Évangile de la grâce qui écarte cette idée du mérite pour ma justification, je peux me retrouver légaliste en ce qui concerne ma sanctification.
Parce que la productivité vise à accroître les résultats, je peux facilement retrouver cette manière de penser dans mon rapport à Dieu: « Si je fais plus pour lui, Dieu m’aimera plus. » Mais comme le rappelle justement Jerry Bridges: « La bénédiction de Dieu ne dépend pas de nos performances » (À l’école de la grâce, p. 17).
Deux formes d’orgueil me guettent quand je pense à la productivité.
La première, c’est d’oublier que dans ce que je fais, toute la gloire revient à Dieu. Le danger est de croire que c’est par mes propres forces, ma propre intelligence, ma bonne gestion du temps, mes décisions sages que j’ai accompli ce que j’avais à faire. Et quelque part, c’est vrai. Mais c’est relatif. C’est oublier que tout me vient de Dieu: c’est lui qui me donne l’énergie, la persévérance, la sagesse, le temps et tout ce que j’ai.
J’aime repasser dans mon cœur les mots de Jérémie 9.23-24:
Ainsi parle l’Éternel: Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, Que le fort ne se glorifie pas de sa force, Que le riche ne se glorifie pas de sa richesse. Mais que celui qui veut se glorifier se glorifie D’avoir de l’intelligence et de me connaître, De savoir que je suis l’Éternel, Qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre; Car c’est à cela que je prends plaisir, dit l’Éternel.
L’autre forme d’orgueil qui me guette, c’est celle qui nait de la comparaison. La productivité me pousse à regarder à ce que font les autres: en font-ils plus ou moins que moi. Et s’ils en font plus, ou des choses plus grandes, quel est le sentiment qui nait dans mon cœur? Parfois l’orgueil. Parfois la jalousie. Mais la Bible nous encourage à faire ce que Dieu nous demande avec ce qu’il nous a confié.
Ce sixième danger est peut-être celui qui me guette le plus en tant que pasteur. Parce que j’aime accomplir des choses (qui peuvent être bonnes), je cours le risque que les projets deviennent plus importants que les relations et que ce que j’ai à faire me fasse oublier les personnes qui m’entourent. Là encore se pose la question de la priorité.
Dans son livre Faire moins. Mieux, Tim Challies définit ainsi la productivité:
La productivité consiste à gérer efficacement mes dons, mes talents, mon temps, mon énergie et mon enthousiasme pour le bien des autres et la gloire de Dieu.
Il faut parfois savoir s’isoler. Mais toujours pour le bien des autres. Le problème n’est pas d’être consacré à des projets, mais qu’on oublie leur finalité: le bien de ceux que Dieu a mis sur notre chemin: notre famille, notre Église, notre prochain. La productivité tend à faire d’un moyen une fin. Mais accomplir quelque chose n’est jamais le but. Le but, c’est de glorifier Dieu en faisant du bien aux autres.
Le problème fondamental n’est pas ce qu’il fait (même si c’est un problème), mais c’est ce qu’il est. Donc la solution ne peut pas venir de ce que nous faisons, mais de ce que seul Dieu peut faire. Seul lui est capable de nous transformer et de changer notre cœur. L’évangile de la grâce nous délivre de la mort et de la colère de Dieu, mais il transforme aussi notre manière de travailler et d’envisager la productivité.
L’Évangile de la grâce me délivre:
Que Dieu vienne transformer notre vision de la productivité, pour que nous puissions le glorifier dans tout ce que nous faisons, et dans la manière dont nous le faisons.