Il y a quelques jours, j'ai reçu des nouvelles de mon cher frère Timothée Paton qui m’ont beaucoup ému. Dans son courrier, il partage avec beaucoup de sincérité son combat contre les Troubles Obsessionnels Compulsifs. Avec son autorisation, je vous partage aujourd'hui son témoignage qui encouragera toutes les personnes atteintes d'une souffrance psychique; mais aussi l'Église dans son entier afin de mieux comprendre ce que vivent certains.
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Timothée, le 9 mars 2018.
Trente ans c’est long.
Trente ans de souffrance psychique et de combat constant. Les TOC ne prennent jamais de congés. Ne vous octroient jamais de jour de repos. Vous tiennent captif chaque jour de l’année. Ne vous accordent aucun répit. Vous accompagnent quel que soit l’endroit où vous vous rendez.
Je crois que seuls les quelques 3 % de la population qui en souffrent peuvent mesurer à quel point les Troubles Obsessionnels Compulsifs sont oppressants, déstabilisants, terrifiants.
On les mentionne trop rarement dans les médias et jamais dans l’Église.
La définition du TOC que donne le médecin français Christophe André est:
Une maladie anxieuse assez sévère. Le patient souffre d’idées fixes, qui deviennent envahissantes, angoissantes et tyranniques. Le mode opératoire de ces troubles est toujours le même: une idée intrusive surgie (ai-je bien éteint la lumière?) qui déclenche une très forte angoisse.
Il devient impératif d’aller vérifier. Et à chaque fois que cette interrogation obsédante ressurgit, le malade va se rassurer avec ce rituel de vérification. Mais ce mécanisme va rapidement tourner à l’obsession, les gestes rituels ne parviendront dès lors à baisser le niveau d’angoisse que de courts instants seulement.
Mes tout premiers souvenirs de TOC (bien avant que je ne sache qu’ils portaient un nom) remontent au début de mon adolescence. Jusqu’à l’âge de 14 ans, j’ai vécu une enfance normale, sans souci. Mon frère, élevé dans le même environnement d’amour et de sécurité, n’a jamais souffert de tels troubles.
Nous habitions paisiblement dans un petit appartement à Clermont-Ferrand, dans le Centre de la France.
Un jour où je m’apprêtais à sortir seul, je fermai la porte à clé, comme d’habitude. Je vérifiai que la porte était bien fermée. Puis je vérifiai de nouveau. Et encore. Plusieurs fois de suite. Jusqu’à ce que la poignée se casse.
Au fil des ans, j’ai cru parfois couler tant la force de ces Troubles Obsessionnels Compulsifs me faisait perdre pied. Sans Jésus, il y a bien longtemps que j’aurais été balayé par les flots.
Les TOC ont imprégné toute ma vie. On pensait au début que ce ne serait que passager, un problème d’adolescence. Le problème est resté et n’a fait qu’empirer au fil des ans.
Je me suis mis à tout vérifier: les portes sont-elles bien fermées? La lumière est-elle bien éteinte? Le frein à main de ma voiture est-il bien serré? Une liste de craintes irrationnelles sans fin…
Ceux qui souffrent de TOC savent pertinemment au fond d’eux-mêmes que s’inquiéter de la sorte est inutile. On ne peut pourtant se défaire de telles angoisses. Dire qu’il est insensé de s’inquiéter ainsi ne change absolument rien: la frustration n’en est souvent que plus intense.
Pendant des années, je me suis senti comme «responsable» de tout ce qui, à mes yeux, n’était pas à sa place. Que ce soit un simple sac en plastique sur la pelouse d’un jardin public ou un objet sur l’étagère d’un magasin, légèrement en équilibre, prêt à tomber dans le vide.
C’est comme si je pouvais voir ce que les autres ne voient pas. L’ayant vu, la responsabilité d’intervenir s’impose à moi. Le «syndrome du sauveur» en quelque sorte.
Je voyais tant de choses dans leur maison à remettre en place, au « bon endroit ». Me concentrer sur une conversation devenait extrêmement difficile.Très peu dans mon entourage avaient connaissance de ce que je vivais: seulement quelques amis proches et ma famille. De me voir ainsi, je crois que mes parents et mon frère souffraient autant que moi ! Ils étaient terriblement frustrés de ne savoir comment vraiment me venir en aide. Alors mon père et ma mère ont prié. Pendant des jours, des mois, des années. Sans relâche. Ils ont jeûné, ils ont crié à Dieu en faveur de leur fils, prisonnier d’une spirale sans fin.
La nature des Troubles Obsessionnels Compulsifs a varié au fil du temps. La douleur, elle, est restée constante.
Je me souviens, un jour, avoir tenté une explication pour décrire ces souffrances: je peux par exemple être troublé par le fait qu’un livre soit tout près du bord, sur une étagère. La souffrance ressentie est alors aussi intense que si je voyais un enfant seul sur un pont, si près du bord qu’il pourrait à tout moment basculer dans le vide. Voilà l’intensité que provoque un TOC.
Eux n’ont besoin ni d’invitation, ni d’un visa pour entrer dans un pays.
Je me suis trouvé au Brésil par exemple, à prêcher de tout mon cœur lors d’une rencontre de jeunes. Du haut du pupitre, mes pensées étaient terrifiées par un robinet qui, me semblait-il, n’avait pas été bien fermé à des milliers de kilomètres de là, chez moi au Cambodge ou encore par le fait que probablement mes voisins oublieraient d’arroser une plante en mon absence.
De retour au Cambodge, les TOC partaient dans le sens inverse et je m’inquiétais alors de cette fenêtre dans ma chambre d’hôtel au Brésil, que je n’avais peut-être pas fermé correctement, ou encore cette prise électrique que je n’avais probablement pas bien débranchée avant mon départ…
La souffrance augmente encore d’un cran quand je sens qu’il faut que j’écrive ou que je téléphone à cet hôtel et leur demander de vérifier pour moi. Combien de lettres et d’emails de ce genre j’ai écrits au cours des ans !
Les TOC ne vous accordent jamais quelque repos que ce soit. La « machine » ne s’arrête jamais. Comme un monstre peut habiter vos cauchemars, vous savez qu’ils seront là au petit matin, à guetter votre sortie du sommeil pour s’immiscer dans vos pensées, avant même que vos paupières ne bougent.
Je repense parfois à ces jours marqués d’une croix noire sur mon calendrier, où le niveau de souffrance a grimpé très haut. Si 10 est le maximum sur l’échelle de souffrance, j’ai connu des moments où le niveau est monté à 9 voire 9,5.
Il y a quelques années par exemple, la douleur psychique a atteint les 9,5 pendant plusieurs jours d’affilée…
Ne pouvant plus supporter la torture mentale, j’arpente le terminal de l’aéroport comme un fou, de long en large. Les TOC sont extrêmement intenses. Il me faut absolument contacter quelqu’un avec qui prier. Je m’approche d’une jeune femme assise à même le sol avec son ordinateur portable, dans l’intention de lui demander si elle connaît le mot de passe de connexion au wifi.
Sa réponse me surprend: « Vous n’êtes pas Timothée Paton? Vous ne vous souvenez probablement pas de moi. Vous êtes venu il y a quelques années parler de la mission à notre groupe de jeunes. Comment allez-vous? »
Je la fixe du regard puis réponds:
– En toute honnêteté je ne vais pas bien. Pas bien du tout. J’ai vraiment besoin de l’aide de Dieu.
– Et bien je vais prier pour vous alors, tout de suite.
Tous les passagers de son vol ont déjà embarqué. Cela ne l’empêche pas de me prendre la main, demandant au Seigneur de me toucher. Je ne l’ai jamais plus revue.
Au moment où je me trouvais au plus bas, Dieu dans Sa Grâce m’a donné de rencontrer l’un de ses enfants au beau milieu d’un aéroport.
Sur ce long chemin de souffrance, Dieu a toujours permis que je rencontre des frères et sœurs formidables qui ont su prier pour moi et m’encourager quand j’en avais le plus besoin. Si vous êtes l’un d’eux, laissez-moi à nouveau vous dire combien je vous suis reconnaissant. Merci d’avoir été là au bon moment !
Au cours de ces trente dernières années, je crois que j’ai tout essayé, tant dans la sphère spirituelle que dans le monde séculier pour trouver une solution. Je me suis rendu plusieurs fois à l’étranger (deux fois aux États — Unis) pour obtenir de l’aide de professionnels.
J’ai appris que plus vous nourrissez les TOC, plus ils ont faim. Ils ne sont jamais rassasiés. Chaque fois que vous cédez à une peur, la bête devient encore plus forte.
Dieu soit béni, je vais mieux.
Il y a eu des percées significatives et aussi des moments où j’ai fait marche arrière. Mais dans l’ensemble, il y a eu ces dernières années davantage de percées. Gloire à Dieu !
La première s’est produite il y a plus de dix ans. Je faisais alors partie de la direction de la mission WEC au Cambodge. Lors d’une de nos réunions de travail, je me suis tourné vers les cinq autres membres de l’équipe, leur ouvrant mon cœur. En révélant mes luttes dues aux TOC, j’ai ressenti un grand soulagement.
J’aurais aimé pouvoir dire qu’aujourd’hui je n’en souffre plus. Mais ce qui est sûr, c’est que je ne souffre plus autant qu’avant. Je suis en marche vers la guérison.
**Pendant longtemps j’ai considéré les TOC comme un ennemi. Ces dernières années mon regard a changé. En effet, dans un certain sens, ils peuvent s’avérer utiles.
**Ces troubles agissent comme des petites lumières rouges, des signaux qui me rappellent de ralentir, qui m’apprennent à dire « non ».
Il s’agit du même fonctionnement que sur le tableau de bord, ce voyant qui s’allume pour indiquer qu’il n’y a plus beaucoup d’essence dans votre réservoir…
Tout comme un mal de tête peut vous rappeler que vous buvez trop de café ou que vous avez regardé trop longtemps la télévision. Les TOC m’ont en quelque sorte permis de mieux me connaître et de cerner quel est mon cadre, quelles sont mes limites.
Je n’en crois pas moins, et de tout mon cœur, que Dieu désire la pleine liberté pour ses enfants.
Une percée significative s’est récemment produite en France lors d’une visite chez mes parents. J’ai lu un verset en anglais, scotché sur le mur de la salle de bain, tiré de la deuxième épître à Timothée: « For God has not given us a spirit of fear, but of power and of love and of a sound mind. [Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité mais de force, d’amour et de sagesse.] L’expression »sound mind » parle d’une pensée apaisée, en bonne santé. Ces deux mots m’ont sauté aux yeux, touchant le plus profond de mon être.
Mes parents m’ont écrit l’autre jour: « We love you with all our hearts and if love could have delivered you over these 30 years then you would have been free long ago ». [Nous t’aimons de tous nos cœurs et si l’Amour avait pu te délivrer au cours de ces 30 ans tu aurais était libre il y a longtemps.]
La Parole de Dieu restera toujours la source de notre force et la clé de notre délivrance.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je partage ce témoignage aujourd’hui (ce qui n’a pas du tout été facile à écrire, encore moins à envoyer).
Le Corps de Christ a besoin plus que jamais de se lever pour ceux qui bataillent chaque jour en silence contre toutes sortes de souffrances psychiques. Ces frères et sœurs se trouvent dans toutes les églises du monde. Ils sont probablement assis à côté de vous au culte le dimanche matin.
Elle sera comme une table ronde non seulement pour ceux qui souffrent de TOC, mais aussi pour ceux qui souhaitent aider et mieux prier pour un proche en souffrance. Il n’y a rien de plus encourageant que de savoir que l’on n’est pas tout seul dans le combat.
Quand je regarde à ma vie, je sais que les TOC auraient facilement pu me garder enfermé et m’empêcher de m’engager dans le service de Dieu. Cela aurait pu être ma meilleure excuse pour ne pas partir au Cambodge. Mais j’ai pris une décision il y a bien longtemps: celle de faire confiance à Dieu même si je ne n’avais pas les réponses à tous mes « pourquoi ». J’ai décidé de continuer à avancer.
L’autre jour j’ai entendu quelqu’un dire: le courage, ce n’est pas l’absence de crainte. Le courage c’est la crainte qui est en marche.
Quelles que soient les épreuves que vous traversez, que ce soit dans vos pensées, dans votre corps, au sein de votre famille, au travail, dans vos relations, vous avez un choix à faire : celui de vous asseoir sur le bord du chemin et d’abandonner ou bien de vous lever et de marcher.
J’ai décidé de marcher.
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Si vous désirez en découvrir plus sur [Timothée Paton](https://timotheepaton.com), rendez-vous sur son site : timotheepaton.com
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G. Bignon