Dans l’esprit de la société actuelle, je ne suis productif que lorsque je suis capable de fournir un résultat rapide et visible. Le dynamisme serait la clé, car le dynamisme alimente les mouvements. Les mouvements ont besoin d’influenceurs (Ndlr: par leur position sociale, leur notoriété ou exposition médiatique, les influenceurs ont un pouvoir d'influence sur l'opinion publique, notamment via les réseaux sociaux). Les influenceurs ont besoin de plateformes. Les plateformes fournissent des contenus. Les contenus créent le buzz. Le buzz nous permet d’atteindre les gens. Et atteindre les gens, c’est notre mission. La mission est notre vocation et le grand besoin de cette génération.
Quand on me demande « Qu’est-ce qu’un pasteur? » Je devrais pouvoir répondre ceci: un pasteur est un « influenceur » de l’Évangile. Il mobilise les gens pour la mission en tirant parti des « plateformes » qui sont à sa disposition.
Mais ensuite, je pense à la prédication de Pierre. Il a prêché un sermon, et 3000 personnes se sont converties à Jésus. En supposant que cela ne se soit jamais reproduit, Pierre aurait-il pu repenser à ces conversions comme on penserait à l’équipe nationale de football lorsqu’elle avait remporté la coupe du monde il y a bien longtemps? Depuis, les supporters verraient presque les quelques victoires lors des championnats comme des échecs en comparaison. Que s’est-il passé avec Pierre? Pourquoi semble-t-il ne pas avoir réussi à continuer sur sa lancée?
Nous sommes admiratifs devant toutes ces conversions et rêvons du jour où Dieu pourrait faire le même miracle à travers nous pour notre génération. Mais nous semblons oublier que derrière tous les grands miracles, se cachent tous les petits, sans lesquels ce grand évènement n’aurait pas été possible.
Chacune des trois mille personnes venues à Christ ce jour-là a apporté ses blessures, sa vision du monde et les dégâts causés par les années passées sans Jésus dans l’empire romain. Pensez à la façon dont le monde romain concevait l’homme et la femme, les pratiques sexuelles, l’éthique, la politique et les classes sociales, les citoyens nés libres par rapport à ceux nés non libres, tout cela était à l’opposé de l’enseignement de Jésus.
Ceux qui ont pris soin de ces nouveaux convertis ont appris à connaître les noms et les histoires individuelles de chacune de ces trois mille personnes. Pour que les trois mille grandissent vers une foi mâture, ils avaient besoin jour après jour, et pendant longue période de temps, des petites grâces de discipulat, qui sont la plupart du temps négligées. Les lettres du Nouveau Testament montrent le défi que représentent de ces tâches et le temps qui leur est nécessaire.
Le prédicateur lui-même avait besoin de temps. Pierre a prêché ce sermon, mais pendant les trois années précédentes, il n’a que peu prêché. Il avait d’abord besoin d’être avec Jésus, de le regarder faire, de l’écouter et d’apprendre, de faire des erreurs et de grandir. Ensuite, il a pu aider à distribuer du poisson et du pain. Finalement, avec soixante et onze autres, il fut envoyé en mission. Mais il ne pouvait pas prendre d’initiatives. Pas encore. Jésus avait donné des instructions détaillées sur ce qu’il fallait faire et sur comment le faire (cf. Lc 10.1-16). Puis le coq chanta. Les rêves de Pierre semblaient terminés. La question que Jésus lui posa après sa résurrection n’avait plus rien à voir avec ses talents, mais tout à voir avec l’amour. L’amour devait être au premier plan. L’amour était le fondement. Si tu m’aimes, alors prends soin de mon peuple (cf. Jn 21.15-19).
Pourtant, lorsque Pierre a prêché ce sermon devenu célèbre, sa compréhension de l’Évangile était en décalage par rapport à son ministère public. Pierre a entendu chanter les louanges de Dieu dans des langues provenant du monde entier. Mais personnellement, par sa culture, il était toujours enclin au nationalisme et à l’ethnocentrisme. Après des années sur la route avec Jésus, et pourtant Pierre a encore eu besoin d’une confrontation avec l’apôtre Paul (Ga 2.11). Et cela ne suffira pas. Le Seigneur lui-même, à travers Corneille (Ac 10), a également dû intervenir afin que Pierre traite ses voisins, ethniquement différents de lui, de la façon dont le Seigneur l’ordonne.
Grandir en sainteté, même pour les pasteurs, ça prend du temps.
Je pense à une femme de mon église que j’appellerai Barbara. Vous n’avez jamais entendu parler d’elle. Je suis son pasteur, Joe, mon collègue, l’est également. En tant que bergers, nous sommes appelés à prier pour elle et à mieux la connaître.
Au cours des cinq dernières années, son mari, dans la quarantaine, a été lentement emprisonné par une maladie qui l’éloigna peu à peu d’elle, de sa famille et de nous. Il vient d’entrer à l’hôpital. Le lit de Barbara est maintenant trop grand et vide. Je me pose cette question: qu’est-ce que cela signifie de mobiliser Barbara et son mari pour la mission?
Souvent, lorsque nous cherchons à mobiliser des personnes pour la mission, nous avons tendance à les pousser à devenir quelqu’un d’autre que ce qu’elles sont, afin qu’elles puissent faire quelque chose de différent de ce qu’elles font actuellement, ailleurs que là où elles sont. Et le mieux est que cette transformation s’opère le plus rapidement possible.
Mais ce que Barbara et son mari doivent faire en tant que disciples de Jésus ne peut pas être fait rapidement, ni ailleurs que là où ils se trouvent. La chose pour laquelle Barbara doit être mobilisée, c’est de rester quotidiennement au milieu de boîtes de médicaments, de sous-vêtements souillés et de petits-enfants dont on ne se souvient plus du nom, ni même du visage.
Accomplir leur mission pour l’Évangile, c’est avancer pieds nus sur les marches de verre brisé du deuil. C’est apprendre à regarder un match de baseball du Cardinal, un match de football ou encore le sourire d’un petit-fils sans celui que vous avez le plus aimé au monde. Prier avec une douleur si profonde que les mots ne suffisent pas à l’exprimer.
Barbara continue de servir ceux qui sont dans le besoin dans notre assemblée. Elle rayonne des mêmes grâces et dons altruistes que nous avons toujours vus chez elle. Mais parfois, les larmes la surprennent alors que nous discutons. Ce chagrin me rappelle qu’il faut du temps pour apprendre à surmonter la mort, puis à affronter la vie d’une manière complètement différente de ce que vous aviez connu auparavant.
Tant de choses demandent du temps:
Ça prend du temps de prendre le temps. Tout comme gagner en sagesse.
Être capable à la fois d’encourager et de corriger est un travail de longue haleine. À quoi ressemblent les encouragements ou les corrections d’un pasteur? Nous corrigeons ou encourageons les gens en faisant preuve de patience envers tous (1 Th 5.14).
Après tout, commencer un petit groupe d’études bibliques est une chose. Rester avec ce groupe en est une autre.
Commencer quelque chose nécessite une vision à court terme, du courage, de la planification, de l’énergie pour sprinter, la capacité de se mettre en mouvement pour atteindre son but.
La persévérance, en revanche, demande d’être capable de s’ennuyer, de passer du temps avec des personnes plus difficiles à aimer, d’accomplir et de tirer de la joie de petites tâches répétitives. Pour persévérer, il faut une vision à long terme, et la capacité à rester sur place pour atteindre son but.
Persévérer nécessite une vision à long terme, la patience de rester sur place pour arriver à quelque chose.
N’est-ce pas ce que font les bergers? Les itinérants se déplacent. Les bergers restent un certain temps aux mêmes endroits, et c’est une bonne chose.
Dieu veut que vous rencontriez des personnes qui agissent en son nom et qui vous accompagnent dans ce que vous vivez. Notre Bon Pasteur prend son temps pour connaître votre nom, se soucier de votre histoire, se souvenir des détails de votre vie. Des bergers qui agissent comme lui pleurent quand vous pleurez, et se réjouissent quand vous vous réjouissez. Vous êtes connu. Être connu prend du temps. Dieu n’est pas pressé.
J’ai souvent pensé que si Jésus avait l’ambition de réaliser de grandes choses aussi vite que possible, lui et moi nous ne nous serions jamais rencontrés.