Le groupe de pasteurs mexicains s’était réuni dans le salon ce matin-là, priant et lisant ensemble leurs Bibles. Assister à ce programme de formation signifiait passer du temps loin de leurs troupeaux et de leurs familles. Par contre, les bénéfices pour leurs âmes et pour la profondeur de leur enseignement ont fait que le sacrifice en valait la peine. Ayant peu d’occasions de fraterniser avec d’autres pasteurs, ils chérissaient ce temps passé devant le trône de Dieu.
Avec eux, le nouveau missionnaire américain était ravi d’investir dans la vie de ces frères, mais il était surpris qu’ils ne soient pas dans leur chambre pendant cette période destinée à être consacrée au « culte personnel ». Il a cependant tôt fait de découvrir que si les moments de prière individuelle ne sont pas rares chez les chrétiens d’Amérique latine, leur pratique quotidienne n’est pas une exigence de la vie chrétienne. Dans les sociétés communautaires, les croyants nourrissent souvent leur affection pour Christ par des temps de prière collective plus réguliers que dans les cultures occidentales plus individualistes.
La question de la langue parlée est liée à cette idée: non seulement notre culture influence la façon dont nous interprétons et appliquons la Bible, mais aussi la langue dans laquelle nous la lisons. Par exemple, en anglais, il n’y a pas de deuxième personne du pluriel. Nous, les anglophones, utilisons le mot « You » au singulier et au pluriel. Par conséquent, pour beaucoup, il est naturel d’interpréter les impératifs de la Bible comme un commandement pour moi en tant qu’individu, alors qu’en fait, la majorité a été donnée à toute la communauté de foi, pour être vécue ensemble. Dans les épîtres pauliniennes, par exemple, Paul enseigne aux croyants comment accomplir, en tant que corps, la mission de l’Église.
J’ai été témoin d’un autre exemple pertinent pendant mes années au Sénégal: Dans Luc 3:11, Jean-Baptiste enseigne:
Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même.
Luc 3.11
Beaucoup d’occidentaux glissent facilement sur cet appel à l’extrême générosité, surtout lorsque nous sommes confrontés à un voyageur dans le besoin. De même, lorsque Jésus dit au jeune homme riche de vendre tout ce qu’il possède et de le donner aux pauvres, nous rejetons facilement cet impératif comme étant propre à cet homme et aux idoles de son cœur. « Nous ne sommes pas comme lui », nous nous disons. « Jésus lui a dit de donner ses biens parce qu’il était riche et trop attaché à ses possessions, cela ne correspond pas à moi. » Êtes-vous sûr? En fait, en Occident, nous sommes riches, par rapport aux autres régions du monde. Et plus souvent que nous ne voudrions l’admettre, nous sommes esclaves du matérialisme, mais nous ne le voyons pas. En revanche, au Sénégal, j’ai été témoin d’innombrables occasions où des frères et des sœurs ont pris ces impératifs au pied de la lettre et ont partagé le peu qu’ils avaient avec les nécessiteux autour d’eux.
À l’inverse, lorsque les chrétiens occidentaux lisent certains versets, ils en sont davantage influencés. Par exemple, considérons 1 Corinthiens 14.33:
Car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix.
En Occident, nous aimons l’ordre! Nous appliquons donc assez facilement ce verset concernant des choses comme commencer et finir à l’heure. Certains le citent même à leurs enfants pour qu’ils rangent leurs chambres. Cependant, les chrétiens des pays en voie de développement pourraient ne pas sortir leur surligneur lorsqu’ils croisent ce verset. Je ne dis pas que l’un de nous a tort et l’autre a raison. Je propose simplement que différentes parties de l’Écriture nous sautent aux yeux de différentes manières selon notre culture, et que nous devrions respecter ces différences et apprendre les uns des autres.
Voici un exemple qui pourrait toucher plus particulièrement certains d’entre vous: Combien de fois avez-vous lu un livre écrit par un théologien nord-américain, traduit en français, et que vous avez remarqué à quel point leur réalité est différente de la vôtre, que ce soit au Québec qui est fortement sécularisé, ou ailleurs comme en Europe? Les vérités que le livre communique ne sont pas fausses, mais elles exigent que vous les appliquiez différemment dans la France ou la Suisse post-chrétiennes que dans le Texas ou le Kentucky fortement christianisés.
Ce ne sont là que quelques exemples de la manière dont la culture, l’ethnicité, la langue et la géographie influencent notre compréhension de la Bible et de la vie chrétienne. Nous avons tous des angles morts, mais nous pouvons les corriger avec l’aide de frères et sœurs qui regardent le monde à travers des lunettes différentes. C’est la beauté de l’Église multiethnique, multilingue et universelle.
L’organisme « The Gospel Coalition » et d’autres organisations similaires de notre tradition théologique s’efforcent d’inclure des hommes et des femmes de divers horizons dans leurs structures de direction et dans leurs programmes de conférences. Ils reconnaissent que nos frères et sœurs afro-américains, latinos, asiatiques et amérindiens offrent une perspective qui enrichit le corps de Christ.
De même, le monde francophone reconnaît la contribution des frères et sœurs d’Afrique, d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Asie, etc. Le Commentaire de la Bible africaine est un exemple de recherche qui rassemble certains des meilleurs penseurs d’Afrique subsaharienne pour apporter leur sagesse sur la compréhension et l’application des Écritures en tenant compte de leur contexte. Nous le constatons également dans notre propre milieu, où deux prédicateurs africains doués ont apporté la Parole au peuple de Dieu lors de la récente conférence « Christ mort pour nous ».
L’Église mondiale est aujourd’hui beaucoup plus nombreuse au Sud et à l’Est qu’au Nord et à l’Ouest. Par conséquent, l’entreprise missionnaire occidentale investit de plus en plus de ressources dans la formation théologique, en appliquant l’adage:
Donnez un poisson à un homme et vous le nourrissez pour un jour; apprenez à un homme à pêcher et vous le nourrissez pour la vie.
Notre propre Florent Varak est lui-même passé d’un ministère pastoral fructueux dans la France rurale à une formation au leadership dans divers pays d’Afrique francophone. Mon mari et moi-même avons eu le privilège de travailler aux côtés de pasteurs et de leurs épouses pendant dix ans au Sénégal.
La stratégie qui vise à équiper nos frères et sœurs des Deux-Tiers Monde pour mener à bien le Grand Mandat est logique. Mais les croyants d’Europe et d’Amérique du Nord peuvent s’associer à nos condisciples chrétiens non-européens d’autres manières. Nous pouvons certainement le faire en soutenant les missionnaires occidentaux et en participant à des voyages missionnaires de courte durée, chose qui nous permettrait d’élargir notre vision du monde. Mais au-delà de cela, nous pouvons rechercher d’autres moyens pratiques de tisser des liens de collaboration avec des croyants d’autres cultures.
Et, bien sûr, c’est peut-être là le point essentiel: nous pouvons apprendre d’eux et de leur perspective unique sur les Écritures et la vie chrétienne. Nous pouvons leur demander de nous aider à voir nos angles morts. Et les pasteurs, en particulier, peuvent chercher à s’assurer que leur équipe de direction représente la diversité des membres de leur assemblé. Le simple fait de reconnaître que nous avons des lunettes tilles qui colorent notre perception de la réalité contribuera grandement à rapprocher nos cultures et à bénir le corps du Christ universel. Et à mesure que nous apprenons à nous aimer les uns les autres, non pas malgré notre diversité, mais grâce à elle, nous nous préparerons pour l’éternité:
9Après cela, je regardai, et voici, il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l’Agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mains. 10Et ils criaient d’une voix forte, en disant: Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l’Agneau. 11Et tous les anges se tenaient autour du trône, des vieillards et des quatre êtres vivants, ils se prosternèrent sur leur face devant le trône, et ils adorèrent Dieu, 12 en disant: Amen! La louange, la gloire, la sagesse, l’action de grâces, l’honneur, la puissance, et la force, soient à notre Dieu, aux siècles des siècles! Amen!
Apocalypse 7.9-12
Ce sera glorieux! Vivons à la lumière de ce fait dès aujourd’hui.
webinaire
Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?
Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.
Orateurs
M. Giralt et R. Charrier