Si la Bible est la Parole de Dieu, est-ce légitime de s’attacher à des confessions de foi lorsque nous entreprenons l’exégèse d’un passage biblique? Quel devrait être le lien entre l’autorité de la Bible et les confessions de foi du passé?
Il est vrai que nous reconnaissons, en tant que protestants, l’autorité de l’Écriture. La Bible est la Parole infaillible de Dieu, où toute vérité se trouve sans aucune erreur. La Bible vient de la bouche même de Dieu (2Tm 3.16). Ce n’est pas le cas des confessions de foi du passé, qui ont une origine humaine uniquement.
Ainsi, il faut bien comprendre que la vérité ultime se trouve dans l’Écriture, et non dans les confessions de foi. Ces confessions de foi contiennent certainement des vérités, mais seulement dans la mesure où ces confessions sont le reflet de l’enseignement de la Parole. Les écrits humains puisent leur autorité dans la Parole de Dieu, lorsqu’ils exposent fidèlement la vérité que Dieu a fait connaître dans l’Écriture.
Nous devons donc reconnaître l’autorité et la primauté de la Bible sur tout autre écrit humain, même sur les confessions de foi qui ont marquées l’Église. Cependant, cela n’enlève en rien l’utilité, voire la nécessité, des confessions de foi du passé.
L’approche évangélique de base semble être de croire que nous n’avons besoin “que de la Bible, et rien que de la Bible”. Tous autres écrits humains, y compris les confessions de foi du passé, seraient alors superficiels. Cependant, cela reflète une mauvaise compréhension de l’autorité et de la suffisance de l’Écriture. Confesser que la Bible est la Parole de Dieu n’implique pas de rejeter tout autre écrit. Il s’agit plutôt d’affirmer qu’un écrit humain n’est utile que dans la mesure où il explique ou reflète avec fidélité la vérité que Dieu a révélé dans la Bible, qui est la seule source infaillible de vérité. Comme Brian A. de Vries écrit:
Bien que la Réforme ait réaffirmé que l'Écriture est la seule autorité finale et la seule source inspirée et infaillible de la révélation, elle n'a pas nié que le Saint-Esprit peut également influencer la sagesse sanctifiée à l'aide d'autres sources secondaires.1
Il serait donc insensé de rejeter les confessions de foi du passé en réclamant un Sola Scriptura mal compris. Nous devons plutôt réaliser à quel point les confessions de foi du passé sont nécessaires et utiles pour aujourd’hui, en particulier dans le contexte de l’exégèse biblique.
Premièrement, parce que nous avons tous des présupposés en approchant le texte biblique. Nous sommes tous le produit de notre milieu: personne n’est réellement neutre. Il serait donc naïf de penser que, lorsque nous entreprenons l’exégèse d’un texte biblique, il ne s’agit que de "moi et la Bible". Nous ne devrions pas chercher à ignorer nos présupposés, mais nous devrions plutôt les reconnaître et les corriger à la lumière de l’Écriture. Pour faire cela, les confessions de foi du passé sont une aide précieuse, dans la mesure où ils reflètent la compréhension des chrétiens du passé de l’enseignement biblique.
Deuxièmement, parce qu’une exégèse fidèle reconnaîtra le besoin de compter sur la sagesse des autres. Tout en reconnaissant la suprématie de la Bible comme étant la Parole de Dieu, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas les premiers à aborder tel ou tel texte de l’Écriture.
Il y a des siècles en arrière, des chrétiens, animés par l’Esprit de Dieu, ont accompli la même tâche. Leurs conclusions et compréhension du texte biblique ont été rassemblés en partie dans des confessions de foi, dont nous pouvons profiter. Même si l’Écriture reste la première source de vérité, nous serions naïfs de rejeter cette "sagesse sanctifiée" (pour emprunter le terme de Brian de Vries). Ils peuvent nous aider à trouver dans le texte biblique ce que nous n’aurions pas trouvé nous-mêmes. Comme l’écrit Don Carson:
Est-ce qu’il y peut vraiment y avoir une exégèse responsable de l’Écriture qui ne prends pas le temps de lutter de manière honnête avec ce que l’exégèse des chrétiens du passé a enseigné?2
Troisièmement, parce que nous n’avons pas à rebâtir de nouvelles fondations. Ignorer les confessions de foi du passé, c’est vouloir réinventer la roue, dans un sens. Nous ne devrions pas négliger le travail fidèle des théologiens du passé qui ont posé les fondations, à partir de l’Écriture, des grands dogmes chrétiens. C’est le cas en particulière dans les doctrines chrétiennes fondamentales concernant la trinité ou la christologie. Nous pouvons recevoir ces confessions comme fidèles à l’enseignement biblique, plutôt que de chercher à construire une nouvelle fois ces fondations
Bien que ces credo ne soient pas la Parole inspirée de Dieu, s'écarter de ces normes revient à entrer dans un territoire déclaré hérétique par l'Église à travers les âges. Les credo tracent des frontières et dessinent le cadre qui structure notre théologie.3
Ces confessions de foi, qui sont fondamentales pour les chrétiens, définissent les limites de l’orthodoxie chrétienne. Il est donc normal qu’elles soient comme un cadre dans lequel nous exerçons notre exégèse.
Ce n’est pas une façon de renier l’autorité de l’Écriture, mais plutôt d’avoir un "cadre de sécurité" pour éviter d’être entraînés par la nouveauté et les présupposés de notre temps.
Qu’en est-il des autres confessions de foi, qui ne définissent pas les limites de l’orthodoxie chrétienne, mais plutôt les limites d’une dénomination ou d’une tradition en particulier? J’aime la manière dont Herman Bavinck formule l’approche qui devrait nous animer:
Les théologiens sont liés à la révélation divine, et doivent prendre au sérieux les confessions de foi de l’Église.4
D’un côté, nous sommes liés à la révélation divine, et nous ne pouvons pas nous en détourner. De l’autre côté, nous devons prendre au sérieux les confessions de foi du passé. Leur autorité est différente, mais les deux font partie de notre tâche en tant que théologiens et en tant qu’exégètes.
Voici trois manières de rester liés à l’Écriture, tout en prenant au sérieux les confessions de foi.
Premièrement, nous devrions être ouverts à ce que l’Écriture corrige nos convictions confessionnelles. Si notre exégèse biblique diverge d’une confession de foi à laquelle nous adhérons, nous devrions prendre cela comme un avertissement à creuser plus, afin de nous assurer que notre exégèse est correcte. Cependant, nous devrions aussi être prêts à questionner nos convictions confessionnelles, non pas dans le but de les jeter à la poubelle au moindre doute, mais plutôt pour s’assurer qu’elles sont le fruit d’une exégèse biblique fidèle.
Deuxièmement, nous ne devrions pas nous reposer sur une confession de foi du passé sans être capables de défendre et d’expliquer, à partir de l’Écriture, ses affirmations. Nous devrions aussi pouvoir expliquer les vérités de cette confession d’une manière compréhensible pour notre temps. Notre utilisation des confessions du passé devrait être dynamique, et non pas statique.
Troisièmement, nous ne devrions pas rester dans notre tradition uniquement, mais nous devrions rester ouverts à d’autres interprétations exégétiques qui appartiennent à d’autres traditions, afin d’être mis au défi et amenés à mieux comprendre l’Écriture.
Pour conclure, notre objectif, en tant que théologiens, devrait toujours être la croissance dans une compréhension plus profonde de l’Écriture. Les confessions de foi du passé sont justement une aide précieuse pour y arriver.
1. Brian A. de Vries, 2016, "Towards a global theology: Théologal method and contextualisation", Verbum et Ecclesia 37(1), a1536, p.6.
2. Don Carson, “The Role of Exegesis in Systematic Theology”, dans Doing Theology in Today’s World: Essays in Honor of Kenneth S. Kantzer, ed. John D. Woodbridge et Thomas Edward McComiskey, Grand Rapids, Zondervan, 1991, p.39-40.
3. Joel R. Beeke and Paul M. Smalley, Reformed Systematic Theology, volume 1: Revelation and God, Wheaton (Illinois), Crossway, 2019, p.94.
4. Herman Bavinck, Reformed Dogmatics: Prolegomena, vol.1, Grand Rapids, Baker Academic, 2003, p.59.