Il y a parfois des événements inattendus qui viennent bouleverser toute une vie, et alors, tous nos projets s’écroulent. C’est ce qui s’est passé pour Sylvain et moi il y a douze ans, lorsque nous avons appris qu’il était atteint d’un cancer. Dans ce chapitre extrait du livre Elles ont vu la fidélité de Dieu (Éditions Clé, 2024), je vous raconte comment Dieu s’est servi de cette épreuve pour nous démontrer sa fidélité malgré la souffrance.
Je n’ai jamais aimé jouer aux poupées Barbie. Mes parents m’en avaient offert quelques-unes pour que mes copines puissent s’amuser quand elles venaient à la maison. Je ne rêvais pas vraiment du prince charmant ni d’une ribambelle d’enfants. Pourtant, quand j’ai rencontré Sylvain à tout juste 18 ans, tout m’a semblé évident. Nous nous sommes aimés et avons rapidement aimé travailler ensemble. Notre complémentarité dans nos dons et nos compétences nous ont fait rêver à des milliers de projets de vie. Nous nous sommes mariés et avons géré ensemble une petite entreprise de construction de maisons en bois. Deux enfants sont venus compléter le tableau, Maryline et Paul. Une fille puis un garçon. Engagés dans notre Église locale et insérés dans le tissu social, nous menions une paisible vie au Chambon-sur-Lignon.
L’année 2012 fut l’année où tout a basculé. En quelques mois, plusieurs difficultés se sont enchaînées les unes après les autres. Notre entreprise de construction a connu de grandes difficultés financières suite à des impayés. Nous avons dû nous résigner à la fermer. Des disputes et désaccords profonds sont venus diviser notre Église. Le choix de partir nous a paru inévitable. Paul est né au milieu de ces préoccupations et sa santé fragile nous a permis de mieux connaître notre médecin de famille. En quelques mois, nous avons vécu un dépouillement: peu d’argent pour affronter le quotidien, plus d’Église pour bénéficier de la communion fraternelle. Comment démarrer ce nouveau chapitre de notre vie?
À côté de chez nous, il y avait Teen Ranch, un centre de vacances chrétien un peu dans la même galère que nous. Les ouvriers manquaient et la moisson était grande. Après quelques mois de réflexions, discussions et prières, nous avons accepté de prendre la direction du centre et d’y intensifier les projets d’évangélisations. Cette décision a enclenché une réelle métamorphose. De gérants d’une petite entreprise artisanale, nous sommes devenus missionnaires. Il a fallu jongler avec une multitude de défis:
Nous étions comme des funambules sur un fil: chacun de nos pas était empreint de la crainte de perdre pied à tout moment. Voilà le contexte dans lequel un événement inattendu est venu chambouler mes plans.
Connaissez-vous ces personnes méthodiques qui organisent leurs départs en vacances avec un fichier Excel minutieusement conçu pour que rien ne manque? Je suis ce genre de personne. Je planifie et anticipe presque tout. Au milieu de tous ces bouleversements, je me suis mise à douter de mes capacités à répondre à l’appel divin et à m’interroger sur ce que Dieu était en train de faire dans notre vie.
La première saison des camps d’été touchait à sa fin. J’étais inquiète. La fatigue de Sylvain s’amplifiait. Cela ne faisait qu’un mois que nous avions démarré notre ministère et il était exténué. Je ne suis pas médecin, mais quand il m’a parlé ce soir-là d’une masse apparue en bas de son cou, j’ai su que ce n’était pas normal. Il s’ensuivit une succession de rendez-vous médicaux pour mettre des mots sur le cumul de ces symptômes. J’ai alors découvert que diagnostiquer une maladie est un combat de tous les instants. Habiter à 80 km du premier hôpital n’était pas un avantage. J’ai appris à me battre pour décrocher un rendez-vous pour un examen, à harceler les médecins, à poser des questions pour obtenir des réponses.
Le mercredi 7 novembre 2012 à 20h, le téléphone de Sylvain sonne. L’oncologue nous confirme ce que nous redoutions: c’est un cancer. Assise à mon bureau, je n’arrive plus à entendre les paroles du médecin qui explique le protocole de soin. Je m’effondre. Je m’en veux de craquer en premier. Mais c’est plus fort que moi. Derrière la porte, des bénévoles nous attendent pour un week-end de travaux. Je n’ai pas envie de sortir de ce bureau. Je ne veux pas être écartelée entre un ministère à porter et un mari à soutenir dans une maladie grave. Je ne trouve pas mes mots. Je suis en colère contre moi et contre Dieu. L’abîme provoqué par l’annonce explosive du cancer m’effraie. Avions-nous traversé toutes ces épreuves et engagé une énergie folle dans un lancement de ministère pour en arriver là?
Durant trois jours et trois nuits, j’ai tenté de cacher mes larmes. Pourquoi étais-je ainsi propulsée devant tant de défis? Dieu devait bien avoir ses raisons et j’étais en droit de les connaître! Est-ce que suivre Christ, c’était renoncer à tout? Même à mon mari? Le cancer était-il une punition pour un péché que j’aurais commis? Si oui, lequel? Qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour mériter cela? Pourquoi maintenant?
Le moulin de mes pensées s’accélérait et redoublait de vigueur avec les réflexions que j’entendais, de la part d’amis et frères et sœurs de l’Église, comme une parodie des amis de Job:
— Dieu ne vous punit-il pas?
— Combattez, Satan vous attaque!
— Propose à ton mari d’abandonner la chimiothérapie et tous ces traitements, et optez plutôt pour du curcuma, c’est scientifiquement prouvé.
— Sylvain va guérir, ne doute pas.
— J’ai traversé quelque chose de similaire, ne t’inquiète pas inutilement, ça va passer et regarde, je suis vivante!
Ces voix contradictoires ajoutaient de la confusion dans mon cerveau déjà embrumé. Entre les sonneries de téléphone, les mails et les visites, je m’efforçais de faire bonne figure, mais intérieurement, ma colère grondait et mon cœur pleurait. Le sommeil me fuyait, le scénario catastrophe de la mort de Sylvain m’obnubilait.
J’étais décidée à rester en froid avec Dieu aussi longtemps que nécessaire. Les disciples ont réveillé Jésus dans la barque malmenée par les flots (Lc 8.22-25), mais moi, non. Je ne me sentais pas légitime pour quémander une intervention divine. Le jour, je pleurais, la nuit, j’angoissais.
Puis vint la nuit où tout a basculé. Cette quatrième nuit après l’annonce du verdict, mes larmes se sont taries. Tout est devenu silencieux. Mes pensées se sont allégées. Mon cœur s’est apaisé. J’ai alors entendu comme un murmure, un doux chuchotement qui se rapprochait de plus en plus jusqu’à devenir aussi proche que ce livre que vous tenez dans votre main. Cette voix, je peux encore l’entendre aujourd’hui. C’est celle de mon Seigneur, mon meilleur ami, mon merveilleux guide. Il a traversé la tempête qui ravageait mon cœur pour me dire: “Je suis là.”
Cette tranquillité s’est manifestée à ce moment-là de ma vie en la personne de Jésus. Jamais au cours de mon existence, je ne me suis sentie aussi paisible et en sécurité. Cette nuit-là, je me suis blottie dans les bras de Jésus et j’ai goûté à sa douceur et à sa paix si profonde que le temps semblait s’être arrêté. Dieu a utilisé ma lutte intérieure pour me dire combien il m’aimait et combien cette relation comptait plus que celle que je pouvais avoir avec Sylvain. Sans halo de lumière ni vision particulière, Dieu est venu placer dans le creux de mon cœur la certitude inébranlable de sa souveraine présence, de sa bonté et de son affection. Cette nuit-là, j’ai choisi d’aimer plus Jésus que mon cher mari. J’ai accepté l’idée que, même si je perdais tout, mon Seigneur serait toujours là quoi qu’il arrive.
Comme le dit si bien le psalmiste: “Je suis restée tranquille et dans le calme. Je me sentais comme un nourrisson rassasié dans les bras de sa mère, comme un nourrisson apaisé” (Ps 131.2).
Un mari peut prendre la place d’une idole dans la vie d’une femme et c’était le cas pour moi. J’ai souvent regretté de ne pas avoir pris conscience de cela plus tôt dans ma vie. Mais il a plu à Dieu de me l’enseigner dans cette affliction.
Pendant près d’un an, nous avons vécu au rythme des traitements médicaux, des biberons pour bébé et de la gestion quotidienne de Teen Ranch. Cette année a été pour ma part une formation à la fermeté dans l’adversité durant laquelle Dieu a enraciné plusieurs vérités dans mon cœur:
Quand on affronte une épreuve, la communion fraternelle s’exprime assez rapidement. Mais cela dure un temps. Au bout de quelques mois, la présence des frères et sœurs s’estompe. Tout cela est normal et il m’a été salutaire d’apprendre à ne pas trop attendre des autres.
Chaque déception relationnelle que j’ai pu expérimenter mettait en lumière mes propres faiblesses et soulignait ainsi que la fidélité véritable appartient exclusivement à Dieu. J’ai fini par m’accrocher à la seule personne résolument infaillible: Jésus. La promesse de sa présence dont il est question dans Matthieu 28.20: “Je serai avec vous tous les jours”, implique deux vérités:
Sa présence est personnelle. Il est à mes côtés comme un fidèle ami qui me connaît parfaitement et agit avec moi de manière unique. Sa présence est circonstancielle. Dieu exprime sa fidélité d’une manière particulière dans un moment précis. Aujourd’hui, Dieu ne pourvoira pas de la même façon qu’hier.
Dans l’adversité, Dieu témoigne sa fidélité envers des personnes précises et dans des situations particulières. Seul un Dieu merveilleux peut agir avec une fidélité sans faille.
La discipline n’est pas la marque d’un père sévère, mais plutôt d’un père qui se préoccupe profondément du bien-être et de la maturité de ses enfants. Par conséquent, nous devrions savoir que la correction de Dieu, qui nous vient sous la forme d’adversité ou de difficulté, est une démonstration de sa tendre affection et non une manifestation de sa désapprobation.
Accompagner mon mari dans sa bataille contre le cancer m’a enseigné que la croissance spirituelle ne peut être atteinte sans endurer la souffrance. Cette épreuve m’a offert une opportunité unique de faire confiance à Dieu pour l’avenir, pour le ministère, pour nos enfants et également pour nos besoins financiers.
Je crois être de nature plutôt vaillante, mais là, la fatigue physique et psychologique était telle que, pendant plusieurs mois, je n’ai presque pas lu ma Bible et j’étais presque incapable de prier. J’aimais aller aux réunions hebdomadaires pour prier avec mes frères et sœurs et les écouter, mais seule, c’était plus compliqué. Écouter des chants de louange m’apportait vraiment beaucoup de réconfort. Amélie Humbert a écrit un chant qui s’intitule “La voix du Seigneur m’appelle” et qui dit:
Jusqu’au bout, je veux te suivre, dans les bons, les mauvais jours, à toi pour mourir et vivre, à toi, Jésus, pour toujours.
L’adage dit que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. J’aurais plutôt tendance à croire que la souffrance nous brise de l’intérieur et qu’elle nous affaiblit. Dans notre vie de disciple, nous apprenons à suivre Christ jusqu’au bout, avec nos lacunes, et même lorsque cela fait mal. C’est dans nos faiblesses que la puissance et la beauté de Dieu se manifestent. J’ai compris à ce moment-là ce que Paul disait aux Corinthiens:
Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi.
2 Corinthiens 12.9, NEG
Même dans les moments les plus graves de la vie, il faut savoir rire. Le rire est le médicament de l’âme inquiète et certainement l’une des meilleures choses que Dieu nous donne de connaître ici-bas. Une bonne rigolade diminue l’anxiété et aide à surmonter le stress. Je dois avouer que, si Sylvain n’avait pas cette capacité à savoir rire de tout, même dans les pires moments de la maladie, je n’aurais jamais découvert la force que cela donne. Rire souvent nous a aidés à placer notre joie en Christ seul et non dans nos circonstances.
Un autre élément important que je souhaitais vous partager est que le cancer de mon mari n’a pas été mon cancer. Cette épreuve était la sienne. À plusieurs reprises, les gens que j’ai rencontrés se préoccupaient plus de moi que de lui. Accompagner celui qui souffre et le soutenir n’a pas toujours été simple. Voir son mari changer de couleur de peau pendant plusieurs heures durant la chimiothérapie, le voir anticiper avec angoisse chaque étape du protocole et être malade durant plusieurs jours après chaque séance, n’a pas toujours était une partie de plaisir. Mais je ne connais pas le goût que les produits chimiques laissent dans la bouche ni la douleur liée aux brûlures de la radiothérapie. Le cancer a été sa maladie et non la mienne. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas été affectée ni exemptée de mes propres combats. J’ai occupé la place de celle qui “souffre de voir l’autre souffrir” sans pouvoir agir pour atténuer la douleur. Les aidants occupent une place fondamentale pour faciliter la lutte contre le cancer. Nous avons besoin de gérer notre énergie pour pouvoir être pleinement présents, mais nous avons aussi besoin d’apprendre à ne pas infantiliser celui qui souffre. Je pense que c’est un des plus grands pièges qui peut se dresser dans ce genre de situation.
Plusieurs années se sont écoulées depuis notre traversée du cancer. Le mot "rémission" est venu mettre un point final à cette partie de notre histoire. Bien que je sois reconnaissante de pouvoir servir aujourd’hui avec un mari guéri, ce qui me comble de bonheur est d’avoir vu à l’œuvre un Dieu fidèle dans toute sa splendeur. Je voulais vous laisser une dernière image pour clôturer mes propos.
Les poupées russes, généralement conçues en bois et fabriquées par série de sept, s’emboîtent les unes dans les autres. Regardez la plus petite des poupées. Elle possède une caractéristique unique par rapport à toutes les autres. Elle ne s’ouvre pas. Elle est si petite que le décor est généralement minimaliste, tant et si bien que ce n’est pas celle qui attire le plus les regards. Si vous observez attentivement chaque poupée de la plus petite à la plus grande, vous verrez que leur parure s’enrichit à chaque fois un peu plus. La plus grande poupée est sans conteste la plus belle. Elle parachève la collection. Après celle-ci, il n’en existe aucune autre.
Ces matriochkas m’aident à comprendre le mécanisme de la fidélité de Dieu. La plus petite poupée représente ce caractère de Dieu. Il est fidèle. Ce n’est pas forcément l’aspect de sa personne qui résonne en nous au moment de notre conversion, mais c’est sans conteste ce qui ressort de l’épreuve. Dieu est l’unique compagnon de route qui ne fait jamais défaut. À chaque épreuve, Jésus grandit et alors sa fidélité s’exprime d’une manière différente. Quand l’adversité suivante arrive, il est toujours là, mais il se manifeste encore plus glorieux et plus fort. J’aime à croire que la dernière poupée qui supplante toutes les autres est à l’image de Jésus, riche en bénédictions et parfaitement fidèle. Mon fidèle ami, qui m’a soutenu à maintes reprises sans jamais faillir, m’accueillera dans son ciel. C’est lui que mes yeux verront dans toute sa gloire. C’est le son de sa voix, que j’entendrai, après avoir combattu le bon combat de la foi.
Alors, puissions-nous saisir l’occasion de souffrir à côté de ceux qui souffrent par la foi et pour sa gloire en étant assurés que, même si nous sommes infidèles, lui demeurera fidèle (2Tm 2.13).
webinaire
Si Dieu est bon, pourquoi autant de mal?
Découvre le replay de ce webinaire de Guillaume Bignon, enregistré le 11 décembre 2018, qui traite de la souveraineté et la bienveillance de Dieu.
Orateurs
G. Bignon