On entend souvent dire : un outil est neutre, ce qui compte, c’est notre manière de l’utiliser. Mais en réalité, aucun outil n’est neutre.
Chaque outil définit un usage et s’inscrit dans un certain contexte. Par exemple, on peut utiliser un marteau comme presse-papier, mais il n’a pas été conçu pour ça. Il a été conçu pour planter des clous. La grande majorité du temps, nous employons les outils pour l’usage pour lequel ils ont été conçus. Et ce qui va contribuer à définir l’usage d’un outil, c’est le contexte dans lequel il a été créé.
Sur le site de Facebook, on peut lire dans la partie "Nos principes" :
Nous sommes toujours prêts à faire des compromis pour privilégier nos convictions profondes.
Un de leurs principes, c’est de servir tout le monde. Ils expliquent :
Nous œuvrons pour rendre la technologie accessible à tout le monde, et notre modèle commercial se base sur la publicité afin que nos services restent gratuits.
Le modèle économique que Facebook a choisi, c’est donc la publicité. Mais c’est plus précis que cela. Et c’est valable pour tous les réseaux sociaux. Tous les réseaux sociaux sont gratuits parce qu’ils dépendent de ce qu’on appelle “l’économie de l’attention”.
Pourquoi ça s’appelle comme ça ? Parce que, ce que Facebook vend, ce n’est pas le service qu’il vous offre, c’est votre attention qu’il vend aux annonceurs publicitaires. En gros, plus vous passez de temps sur une app, plus les annonceurs vont payer cher Facebook, parce que vous avez plus de chances de voir leurs produits et de les acheter. Ce que Facebook vend, c’est le temps que vous passez sur son app.
Le Centre pour une technologie humaine explique :
Et plus loin :
La réalité est que très peu d’applications n’existent que comme outils. Sous couvert de vous divertir, de vous informer ou de vous aider à trouver votre chemin, des fonctions persuasives sont conçues pour vous vendre à des annonceurs.
Dans les années 70, Michael Zeiler a conduit une expérience sur des pigeons et a remarqué que les récompenses attribuées de manière aléatoire sont plus attrayantes que les récompenses attribuées selon un schéma connu. En d’autres termes, le caractère imprévisible de la récompense déclenche davantage de dopamine, un neurotransmetteur clé dans la recherche de la satisfaction de nos désirs. Dans l’expérience originale, les pigeons devaient appuyer sur un bouton pour obtenir de la nourriture.
Pour le journaliste Adam Alter, c’est ce même principe qui est répliqué dans les réseaux sociaux. Quand on utilise les réseaux sociaux, nous avons des comportements similaires à ceux observés dans les casinos.
Pour le chercheur Cal Newport, “les gens ne succombent pas aux écrans parce qu’ils sont paresseux, mais parce que des milliards de dollars ont été investis pour rendre cela inévitable”. Nos apps sont conçues pour nous distraire le plus possible.
Il identifie deux facteurs qui encouragent les addictions comportementales :
De l’aveu de Sean Parker, l’ex-président de Facebook, c’est ce qui est à l’origine du service. Il admet que l’objectif, en développant Facebook, était :
Comment consommons-nous le plus possible votre temps et votre attention consciente ? C’est cet état d’esprit qui a mené à la création de fonctions telles que le bouton "like", qui donne aux utilisateurs "un petit coup de dopamine" pour les encourager à poster plus de contenu. C’est une boucle de rétroaction de validation sociale… on exploite une vulnérabilité en psychologie humaine. […] Tous nos esprits peuvent être détournés. Nos choix ne sont pas aussi libres que nous le pensons.
Donc toutes les apps de réseaux sociaux reposent sur le modèle de l’économie de l’attention, où le but est de vous faire rester le plus longtemps possible. Ce modèle influe sur ce que l’app va vous conseiller de regarder, pour vous laisser engagés le plus longtemps possible. Mais cela va aussi influer sur le type de contenu que vous pouvez créer. L’app a été conçue pour mettre en avant un certain type de contenu.
Tristan Harris, qui travaille alors à Google, rédige un manifeste intitulé Un appel à minimiser la distraction et à respecter l’attention de l’utilisateur. Ce manifeste se répand rapidement et bientôt, il est invité à en parler avec Larry Page, le CEO de Google. Harris est alors nommé “philosophe des produits”.
Mais rien ne change. Pourquoi ? Parce que minimiser les distractions et respecter l’attention de l’utilisateur aurait pour effet de réduire les revenus de l’entreprise. Il finira par quitter Google pour fonder sa propre boîte de technologie, qu’il veut centrée sur l’humain. Pour Harris, l’économie de l’attention est une course pour détourner l’instinct humain en agissant sur les biais cognitifs (les aspirations du cœur) : être accepté, être aimé, affirmer son identité.
Cal Newport, qui a beaucoup écrit sur le sujet, reconnaît que “notre attraction pour ces appareils va bien au-delà de leur faculté de nourrir notre distraction”. Il y a quelque chose en nous de fondamentalement attiré par le divertissement. Et même s’il n’y a jamais eu d’époque avec autant de distraction, il n’y a jamais eu d’époque sans distraction.
En fait, notre cœur est avide de spectacles. Pourquoi ? Parce qu’il aspire à la gloire. Il a un appétit insatiable pour la grandeur et la splendeur. Mais parce qu’il est insatiable, l’homme fixe souvent son regard sur ce qui le distrait. Rien de nouveau sous le soleil. La Bible le soulignait déjà il y a des milliers d’années :
Le séjour des morts et l’abîme de perdition ne peuvent être rassasiés ; de même, les yeux de l’homme ne peuvent être rassasiés.
Proverbes 27.20
Cet appétit insatiable n’est pas nouveau, mais il est aujourd’hui possible de le nourrir tel un ogre. Nous avons beaucoup de temps libre et des outils capables de nous divertir continuellement. Pour Newport, c’est l’iPod qui a donné les moyens d’être continuellement distraits de son propre esprit. Les cassettes puis les disques avaient une limite de temps. Il est maintenant possible de bannir complètement la solitude de sa vie.
Cette course à la distraction n’est pas nouvelle. Le philosophe et théologien Pascal soutenait déjà que “tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre”. Il explique :
Les hommes, n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser : c’est tout ce qu’ils ont pu inventer pour se consoler de tant de maux.
Mais il nous faut souligner plusieurs choses :
C’est cela que nous voulons poursuivre : chercher en Dieu ce que nous ne pouvons pas trouver ailleurs. Dans la solitude, nous nous trouvons nous-mêmes. Nous aimons le chaos de nos vies parce qu’il nous distrait de nous-mêmes. Mais c’est dans la solitude que nous pouvons voir la réalité de notre pauvreté spirituelle et la richesse des bénédictions spirituelles de Dieu.
Moïse priait :
Enseigne-nous à bien compter nos jours, afin que nous conduisions notre cœur avec sagesse.
Psaumes 90.12
Être sage, c’est prendre en compte que notre temps ici-bas est limité. Connaître nos limites nous aide à repenser nos usages.
Pour cela, nous pouvons pratiquer un jeûne digital et combattre la distraction par la méditation :
Il nous faut prier que Dieu nous donne sa sagesse dans notre utilisation de nos smartphones. Paul priait que les Philippiens grandissent en amour et en connaissance, afin qu’ils puissent discerner ce qui est important, pour être sincères et irréprochables pour le jour du Christ (Ph 1.9-10).
Tony Reinke note avec justesse2, “plus notre appétit grandit pour le monde visible, plus nous perdons le goût pour le monde invisible”. Nous ne devons pas diriger nos pensées vers les choses de ce monde. Nous sommes citoyens des cieux et attendons le retour de Jésus-Christ, qui nous délivrera de toute vanité. Faire grandir notre espérance nous détachera des mondanités.
webinaire
Bien ou mal? L’éthique biblique dans un monde compliqué
Découvre le replay du webinaire du Dr. Vincent Rébeillé-Borgella et de Florent Varak enregistré le 27 janvier 2017.


Orateurs
F. Varak et V. Rébeillé-Borgella
