Cet article revient sur l'histoire horrible de Jephté qui sacrifia sa fille au nom d'un vœu fait à Dieu. Pourquoi a-t-il fait cela? Pourquoi l'a-t-elle accepté? Surtout, comment ce récit peut-il avoir sa place et son utilité dans la compréhension de Dieu et de sa grâce? Étonnamment, ce triste épisode révèle l’une des plus belles vérités de la Bible. Dramatique. Injuste, et cruel. Le récit me donne envie de vomir (Jg 11.29-40). En plus d'être révoltant, il n’apporte rien à la trame biblique du plan de la rédemption. Si nous le sautons dans notre lecture, nous ne serons pas pénalisés dans notre compréhension du projet de Dieu. Pourtant, le Saint-Esprit nous l'a inspiré.
Jephté a vécu durant une époque trouble. C’était un chef politiquement ambitieux et un héros de guerre courageux. Il n’avait qu’une fille qu’il aimait de tout son cœur. Il la faisait sauter sur ses genoux, l’appelait « ma petite princesse ». Imaginez-vous à sa place, quand il aperçoit au loin, une silhouette sortir de sa maison et reconnait sa fille… À cet instant, il sait qu’il vient de perdre ce qu’il a de plus précieux et tout espoir de descendance.
Dieu avait respecté sa part du marché, alors Jephté devait respecter la sienne. Devant ses hommes, impossible de faire machine arrière.
Elle, comme toutes les filles, le considérait comme son héros. Son papa à elle, c’est le plus fort!
Quand elle a entendu qu’il avait remporté une très grande bataille contre les Ammonites, elle s’est empressée de sortir en dansant pour aller sauter à son cou et le féliciter.
Alors qu’elle se rapprochait de lui au rythme des instruments, elle vit quelque chose dans son regard qui la troubla… Son père lui révéla son vœu, et son univers s’effondra. Une tragédie digne de Shakespeare, ou des Feux De l’Amour.
Il y a chez Jephté un cocktail dangereux d’ignorance et d’arrogance spirituelle.
C’est une partie de la réponse. Plusieurs éléments vont dans ce sens :
Toutes ces suppositions ne suffisent pas à expliquer son acte.
Le verset 30 nous donne un autre indice: « Si vraiment, tu me donnes la victoire sur les Ammonites… » Jephté croyait-il pouvoir manipuler Dieu en lui offrant une raison de plus de lui accorder cette victoire alors qu’il avait été établi par les anciens et que Dieu était avec lui (Jg 11.29 en particulier)?
Nous le savons, c’était une époque où, au lieu de suivre la loi de Dieu, « chacun faisait ce qu’il lui semblait bon » (Jg 17.6, 21.25). Jephté n’échappe pas à ce constat, il a fait ce qui lui semblait nécessaire pour obtenir la faveur de Dieu.
Le marchandage avec la divinité était le propre des religions idolâtres. Ainsi, dealer avec Dieu n’est pas preuve de foi, mais d’incrédulité.
Cela démontre que nous ne comprenons pas qui est le Dieu de grâce qui n’agit que selon ses desseins bienveillants.
La reconnaissance que nous devons lui manifester n’est pas selon notre bon vouloir, notre humeur ou notre originalité.
La reconnaissance manifestée à Dieu par la foi est en parfaite cohérence avec sa Parole. Elle est avant tout une obéissance à ses commandements, comme le rappelle Michel Johner:
La communion avec Dieu est avant tout fidélité. Elle est essentiellement, pour le croyant, une réponse à une promesse de grâce, qui toujours précède sa propre réponse, modeste et fragile.
Question épineuse s’il en est.
Alors qu’on pouvait s’attendre à une vive objection, elle dit:
Mon père, si tu as donné ta parole à l’Éternel, agis envers moi comme tu l’as promis, puisque l’Éternel a réglé leur compte aux Ammonites, tes ennemis. Jg 11.36
Elle aurait pu contester, elle aurait probablement pu trouver du soutien à sa cause. Elle aurait pu fuir ou tenter à son tour de négocier… Mais elle ne l’a pas fait.
Elle accepte librement son sort et ne fait même aucun reproche à son père. Pourquoi?
Le texte ne le dit pas.
La seule raison pour laquelle elle fait cela, c’est par amour. Alors qu’elle ne lui doit rien, alors qu’elle n’est obligée de rien, alors qu’il ne le mérite pas, elle s’offre par amour.
Un amour qui ne se préoccupe pas des conséquences pour sa propre vie et décide de servir jusqu’à la mort. Un amour qui assume la faute de l’autre et en subit les conséquences.
Cette jeune fille nous rappelle que l’amour pousse même l’innocent à payer à la place du pécheur.
Le péché n’est pas une notion intellectuelle, mais une réalité. C’est une offense faite à Dieu.
Le sacrifice en était la piqure de rappel: à cause du péché qui a introduit la mort, on ne s’approche de Dieu que par un sacrifice. Ce n’est que par la mort que le péché est effacé à son tour.
En se sacrifiant, cette jeune fille, malgré elle, nous permet de méditer sur la nécessité et la perfection du sacrifice de Jésus:
Le Christ, lui, a offert un sacrifice unique pour les péchés, valable pour toujours, et il siège à la droite de Dieu où il attend désormais que Dieu mette ses ennemis comme un escabeau sous ses pieds. Par une offrande unique, en effet, il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il purifie du péché. Hé 10.12-14
Ainsi, le sacrifice de Jésus à la croix est la plus grande démonstration de sa grâce. Il endosse mes fautes, ma culpabilité, ma condamnation et ma punition… alors qu’il n’est pas obligé de le faire.
Et si Dieu avait été un dieu à l’image de Jephté? Un dieu qui marchande et qui est injuste. Nous devrions trembler à chaque instant!
Heureusement pour nous, Dieu n’est pas Jephté: c’est lui qui condamne le péché, c’est lui qui exige un sacrifice et finalement, c’est lui-même qui pourvoit au sacrifice. Alors qu’il est victime, il se fait coupable. C’est pour cela que le sacrifice de Jésus à la croix est la plus grande démonstration que Dieu puisse fournir de son amour pour nous.
Dans ce texte, si nous pouvons nous identifier à quelqu’un, c’est à Jephté. À chaque fois que nous oublions que c’est par grâce seule qu’on s’approche de Dieu, nous lui ressemblons.
Mais nous avons un immense avantage sur lui: sa fille a dû assumer son péché pour lui, mais c’est Jésus qui assume le mien. Et c’est précisément par sa mort que Dieu me lave de mes fautes. Parce que je suis incapable de réparer mes péchés, il le fait pour moi.
Cette vérité est le cœur de notre relation avec Dieu. Je dois quotidiennement me rappeler que je m’approche de Dieu seulement par le sacrifice de Jésus pour moi. Il est suffisant pour lui, et pour moi.
Ainsi, ce texte, médité à la lumière de l’ensemble de la Parole, nous pousse à l’adoration de Dieu.
Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait. Rm 12.1-2
PS: je recommande l’article de Gerald Bray dans Sacrifice et expiation, écrit sous la direction de P. Berthoud et P. Wells. Il m’a été très utile et m’a inspiré dans cet article.