Le monde actuel est attentif à la notion d’abus. C’est une bonne chose. Les responsables des Églises doivent également s’interroger sur la manière dont ils servent leurs communautés. Cet article est le fruit d’une réflexion menée en pastorale dans notre union d’Églises. Elle n’est pas complète, et pourrait être améliorée. Mais elle donne quelques pistes aux responsables pour éviter de sombrer dans les travers terribles de l’autoritarisme et de la manipulation.
Le ministère doit s’exercer de manière irréprochable. Jacques nous rappelle que « la sagesse d’en haut, elle, est d’abord pure, ensuite pacifique, conciliante, raisonnable, pleine de compassion et de bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. Or le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix » (Jacques 3.17–18). Le serviteur de Dieu redresse « avec douceur » les contradicteurs (2 Tim 2.24).
Mais hélas, nous, responsables d’Église, pouvons nourrir de la dureté dans le cœur, et tenir des propos abusifs à l’égard des gens que nous sommes censés conduire en berger. Je me rappellerai toujours l’illustration d’un professeur d’Ancien Testament, qui organisait régulièrement des visites en Israël. À l’occasion d’un de ses voyages, il demanda de descendre du bus qui s’était arrêté pour laisser passer un troupeau de moutons. Le professeur était surpris de voir un berger conduire son troupeau par l’arrière, un fouet à la main. Il s’approcha de lui, étonné : « D’habitude, les bergers marchent devant, et les brebis suivent… » Le ‘berger’ répliqua en riant : « je ne suis pas berger, je suis boucher… »
Cette image m’a marquée. Elle illustre probablement très bien le propos qui suit.
La fin de l’article est une « synthèse » concrète qui résume l’essentiel de la notion d’abus spirituel. Vous trouverez également 4 études de cas à discuter, notamment si vous êtes responsable d’Église.
Le terme « abus » vient du latin abusus qui signifie « mauvais usage ». C’est le mauvais emploi, l’emploi excessif de quelque chose. Dans le domaine social, cette notion rejoint celle de l’injustice, comme en témoignent les expressions associées :
Quelques définitions issues du monde évangélique :
Ces définitions sont utiles tout en restant limitées. L’exhortation à ne pas pécher contre autrui est légitime – même si la personne qui l’entend peut la vivre négativement. Il faut préciser la notion de « liberté », de « mauvais traitement », et de « position d’autorité ».
C’est important parce que finalement, l’abus spirituel, au-delà de sa laideur intrinsèque, démotive et déresponsabilise ceux et celles qui en sont victimes. Bien souvent, cette perte de zèle s’accompagne d’une vraie tristesse, d’une dévalorisation de soi.
Le cadre suivant présente les éléments d’un code de conduite susceptible d’éviter la situation d’abus spirituels.
Dieu œuvre à tout réunir sous un seul chef, le Christ (Ep 1.9-10). Toute autorité lui a été confiée sur la terre et dans le ciel (Mt 28.18). Il est le chef suprême, la tête de l’Église (Ep 1.22, Col 1.18, cf. 1 Co 12.4-27). Tout a été mis sous ses pieds (Hé 2.8), il règne et assujettira tout ennemi (1 Co 15.25) avant d’offrir un jour le fruit de son règne au Père (1 Co 15.24 et 28). Sa seigneurie sera un jour confessée par tous (Ph 2.8-11).
Ainsi, toute autorité humaine n’est que délégation et ceux qui la reçoivent rendront compte à Dieu de la gestion de cette responsabilité. Une telle délégation présuppose un cadre, des tâches spécifiques et des limites, comme dans lesexhortations laissées en Matthieu 28.18-20 et Hébreux 13.17.
Prétendre posséder une autorité « du Seigneur » pour parler à d’autres en dehors de ce cadre peut être une forme d’abus spirituel.
La manière dont un responsable se comporte est plus importante que le résultat de son service. Il a une exigence de moyens – les moyens de son service. Il n’a pas d’obligations de résultat – il ne doit pas changer sa manière de faire (douceur, enseignement) pour obtenir un meilleur résultat (en utilisant, par exemple, la manipulation).
Nous suggérons que les comportements dénoncés ou encouragés dans l’Écriture forment un socle intéressant de compréhension de ce que peut être l’abus spirituel :
L’exercice du ministère sans bienveillance ni paix est une forme d’abus spirituel.
Le Nouveau Testament contient aussi beaucoup d’exhortations sur la qualité relationnelle qui doit régner dans l’église :
L’ambiance et la santé d’une église dépendent de la contribution de tous, et non de la seule expression du leadership de ses responsables.
La Bible enseigne le principe du respect des responsables : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis. Car ils veillent au bien de vos âmes, dont ils devront rendre compte. Faites en sorte qu’ils puissent le faire avec joie et non en gémissant, ce qui ne serait pas à votre avantage » (Hébreux 13.17).
Cette attitude est reprise dans plusieurs passages du NT :
Un comportement d’opposition et de rejet, de non remise en cause de soi, est une forme d’abus spirituel envers les responsables.
Il y a bien dans les Églises des hommes et des femmes censés conduire les assemblées. Ceux-ci doivent s’acquitter de cette tâche avec bienveillance, conscients qu’ils ne font que servir ceux que Christ a rachetés. Ils devront rendre compte de leur service (Hé 3.17). Les membres des Églises doivent encourager ce service tout en restant attentifs à ne pas se laisser emporter dans des attitudes ou des comportements coupables de responsables abusifs. Ensemble, l’Église porte la responsabilité de l’édification mutuelle, portée par l’Esprit saint (cf. 1 Co 12.7, 1 Pi 4.10-11).
Voici la proposition que nous formulons.
Il y a abus spirituel :
Il n’y a pas abus spirituel
Le service du responsable doit donc s’exercer : (1) par l’exemple, (2) par l’amour et la douceur, (3) par le servir humble (4) fidèle à la Bible, (5) en évitant les conflits, (6) en protégeant l’église des loups, (7) en comptant sur Dieu.
Le comportement d’un chrétien doit être bienveillant, viser l’unité et l’encouragement réciproque. Il doit faciliter le ministère des responsables par une attitude constructive et respectueuse.
Créer une culture d’Église spirituellement juste :
Poser un cadre de fonctionnement précis
Il peut être utile de se poser des questions sur le meilleur moyen de fonctionner. Exemple :
L’Église de Cusset a préparé quelques documents pour encadrer :
Toute ressemblance avec des situations réelles est… possible ! Je vous propose de réfléchir dans quelle mesure ces situations sont proches ou éloignées de forme d’abus.
Pasteur A est très engagé. Il ne perd pas son temps, ni sur les réseaux sociaux, ni sur les séries télé. Ça, c’est le monde. Il s’attend à ce que tous dans l’Église, dans son Église au moins, s’engagent pleinement au service. Et justement, il faut construire ou rénover un centre de jeunes à Pouilly. Tout le monde est réquisitionné les W.E. (sauf le dimanche matin), et notamment les artisans dont on attend que leur expertise soit mise au service de Dieu. Or, JoJo avait promis à un frère d’une autre Église de l’aider à refaire sa maison. Ce chantier de 2 à 3 mois les samedis l’empêche de servir au centre de jeunes. Pasteur A est furieux. Il lui demande de choisir entre l’œuvre de Dieu et ses amis. JoJo reste fidèle à son engagement pris et promet qu’il aidera après… Le dimanche suivant, l’information de sa défection a filtré. Il constate que même ses amis de l’Église lui tournent le dos. Il en a les larmes aux yeux.
Prenez le temps de poser par écrit quelques notes, réfléchissez en terme biblique, spirituel, humain à cette situation. Pourquoi ne pas en discuter en petits groupes ?
Pasteur B est connu pour ses positions très tranchées. Il n’y a pas souvent de demi-mesures. Le péché, c’est le péché. La justice également ! Cela donne une certaine sérénité à l’Église qui apprécie d’être entraînée dans une vie honorable, clairement balisée par le bien et le mal. Voilà que MoMo, responsable de groupe de jeunes, vient voir le Pasteur B pour lui demander un peu d’aide. Il y a beaucoup de travail, et il aimerait bien que Marie vienne le seconder. C’est la maman d’un des jeunes, et elle semble très pertinente dans son engagement. Malgré l’accord, un malaise grandit entre MoMo et son pasteur. C’est un peu indescriptible. Jusqu’à ce que le pot aux roses soit découvert : MoMo et Marie deviennent plus que collaborateur dans le ministère. Pasteur B les confronte sur leur proximité affective, assez visible de tous ceux qui l’observent. Pasteur B les met en garde. Et comme il n’y a pas vraiment de changement et qu’en plus, les rumeurs commencent à circuler, Pasteur B leur demande de se repentir et propose à Marie et son mari de suivre une thérapie conjugale. MoMo et Marie sont furieux. De quel droit cet homme s’immisce-t-il dans leur idylle ? De quel droit porte-t-il un jugement sur leurs choix ? Comment peut-il même les soupçonner de quoi que ce soit de mal alors que dans leurs cœurs ils sont en paix ? Ils se mettent à dire à tous que l’Église est une secte et que le pasteur est un gourou dangereux. Ils proposent même qu’il soit démis de ses fonctions à la prochaine A.G. Pasteur B est dépité et vous demande votre avis…
Prenez le temps de poser par écrit quelques notes, réfléchissez en terme biblique, spirituel, humain à cette situation. Pourquoi ne pas en discuter en petits groupes ?
Lili a grandi dans l’Église. Elle est pleine de vie, apporte beaucoup par son engagement dans la louange (le piano et le chant) et par sa fréquentation participative et énergique au groupe de jeunes. Elle est très appréciée pour son charisme. Elle impressionne les jeunes hommes de l’Église, mais à un tel point que personne n’ose l’approcher. Après son bac, à l’université, elle fréquente les GBU. Elle y rencontre un gars qui n’est pas chrétien, mais qui s’intéresse, plus ou moins, aux réflexions spirituelles proposées. Bob est timide, avec un arrière-plan compliqué. Lili est heureuse de lui parler de sa foi et passe beaucoup de temps avec lui. Bob se sent compris, et en sécurité avec Lili. Elle exhale un sentiment de compétence et d’assurance qui bouleverse son cœur. Lili se sent utile et prend Bob sous ses ailes. Et bientôt sur son cœur. Et bientôt dans son appart. Quand l’Église apprend que Lili couche avec Bob, tout le monde veut lui parler. SMS, WhatsApp, Messengers… conversations… téléphone… Tous disent plus ou moins la même chose : tu gâches ta vie, c’est un looser, en plus il n’est pas chrétien et c’est contre ce que la Bible dit… Lili refuse de parler avec le pasteur, et avec le responsable du groupe de jeunes. Et puis elle ne supporte plus la pression. Alors un jour, elle écrit une lettre avec A/R au pasteur pour lui intimer, sous peine de poursuite, de faire en sorte que les gens de l’église cessent de la harceler. Le pasteur se tourne vers vous et vous pose ces questions :
X et Y sont un couple d’une trentaine d’années. Ils sont tous les deux engagés dans leur église : école du dimanche, chant, responsabilité du groupe de jeunes, visites aux chrétiens et prédication. A l’occasion du départ à la retraite de leur pasteur un jeune couple pastoral arrive. Le nouveau pasteur et sa femme ont sensiblement le même âge que x et y et ils sympathisent rapidement. Un jour au détour d’une conversation x et y évoquent le fait qu’ils effectuent tous les deux une psychanalyse. Le pasteur leur fait immédiatement part de son étonnement. De son point de vue, le fait d’être chrétien est incompatible avec une telle démarche. X et y ne voient pas où est le problème et demandent au pasteur comment il peut bibliquement justifier sa position. La réponse qu’ils obtiennent est la suivante : « je ne peux pas le prouver avec la bible mais j’ai la conviction que vous êtes dans l’erreur ». Cette réponse ne convainc pas X et y qui refusent d’interrompre leur travail. Le ton du pasteur se durcit, si x et y persistent, ils devront cesser toute activité dans l’église. Il les met également en garde et leur annonce qu’ils mettent en danger leur couple, leur vie spirituelle et leur santé mentale.
La position du pasteur dure 15 ans avant qu’il ne revienne sur ses certitudes.
Pour prolonger la réflexion, je vous propose de visionner un film intitulé One of us (l’un d’entre nous) sur le monde ultraorthodoxe newyorkais, et la gestion des dissidents. Un autre film, Going clear : scientologie, la vérité au grand jour) dépeint la vie au sein de la scientologie et la gestion des dissidents. À vous d’en tirer des conclusions sur la manière de gérer l’unité et la dissidence dans les Églises qui veulent refléter la pensée et les valeurs de Jésus-Christ.
[1] David Johnson, Jeff, Van Vonderen Le pouvoir subtil de l’abus spirituel, Emeth Éditions, 1998
[2] Cours de l’auteur donné à l’Institut Biblique de Genève.
webinaire
Comment vivre la pureté au siècle de la pornographie?
Ce replay du webinaire de Raphaël Charrier a été enregistré le 9 octobre 2018. Découvre tous les webinaires TPSG par ici.
Orateurs
R. Charrier