Et si nos doutes n’étaient pas un obstacle à la foi, mais un moyen que Jésus utilise pour faire grandir notre foi?
C’est ce que Luc veut nous faire comprendre à travers l’un des récits les plus touchants de son évangile: la rencontre de deux disciples désemparés avec le Christ ressuscité, sur le chemin d’Emmaüs (Lc 24.13-32).
Trois jours après la mort de Jésus, la confusion règne à Jérusalem. Une rumeur folle circule: Jésus serait bel et bien ressuscité.
Mais personne ne comprend vraiment ce qui se passe ni si c’est vraiment le cas.
Des femmes disciples de Jésus affirment l’avoir vu vivant. Les apôtres, eux, peinent à les croire. Pierre a vu le tombeau vide.
Mais est-ce suffisant pour affirmer que Jésus est vivant?
À Jérusalem, les disciples sont sous le choc. Qu’importent les rumeurs. Celui en qui ils ont placé toute leur confiance, pour qui ils ont tout quitté, est mort.
L’ignominie de la croix a brisé leurs espoirs.
Ils font demi-tour. Littéralement. Spirituellement aussi.
Les deux compères quittent la ville et la communauté. Ils prennent la route d’un petit village, Emmaüs, situé à une douzaine de kilomètres au nord.
Qui étaient-ils, ces deux disciples qui s’éloignent? Pas connus, on ne sait rien d’eux. Juste le nom de l’un d’eux, Cléopas. Ils font partie des nombreux disciples ordinaires, comme nous.
Ils étaient proches du cercle des apôtres (Lc 24.22, 24).
Ils avaient sans doute vu Jésus enseigner, faire des miracles, entrer triomphalement à Jérusalem. Peut-être avaient-ils eux-mêmes jeté leurs manteaux sur son chemin.
Ils croyaient que Jésus allait délivrer Israël. Mais tout s’est effondré à sa mort sur la croix.
Ils rentrent chez eux. Ils discutent, débattent peut-être. Ils ont entendu le témoignage des femmes, mais ils n’y croient pas. Leurs échanges sont probablement vifs, douloureux.
Ils sont désabusés, amers, blessés. On peut imaginer leur déception et leur désespoir. Tout ce en quoi ils croyaient s’effondre. Tous leurs espoirs sont morts avec Jésus.
Ils font penser à ces réfugiés que l’on voit à la télévision, fuyant quelque chose qu’ils ne comprennent plus, abattus, sans direction, sans espoir.
Ils s’éloignent de Jérusalem, ils abandonnent la communauté. Il est temps de tourner la page.
Mais sur la route, quelqu’un les rejoint, attiré par leur conversation. C’est Jésus.
De quoi parlez-vous en marchant, pour avoir l’air si tristes?
Luc 24.17
Jésus n’attend pas qu’ils se reprennent et retournent à Jérusalem pour se révéler à eux. Il les rejoint là où ils sont physiquement, mais surtout, spirituellement.
Dans Luc 15, Jésus racontait la parabole de la brebis perdue.
Ici, il met en œuvre ce qu’il a enseigné. Le Bon Berger part chercher deux brebis qui s’égarent. Il les retrouve sur le chemin.
Aucun de ses disciples n’est anonyme pour lui. Il connaît chacun d’eux par son nom. Il s’est sacrifié pour chacun personnellement. Il ne les laisse pas s’éloigner sans rien faire.
Jésus lui-même s’approcha et fit route avec eux.
Luc 24.15
Lorsque nous nous égarons, que nous doutons, que nous sommes désorientés ou dans l’incompréhension, Jésus ne nous abandonne jamais. Il aime venir jusqu’à nous. Il ne se lasse pas de nous poursuivre. Il est là, même si on n’arrive pas à le voir.
Dans l’Ancien Testament, on ne pouvait rencontrer Dieu que dans le lieu très saint du Temple – et encore, une seule fois par an, seul le grand prêtre, avec un sacrifice.
Mais lorsque Jésus est mort, le voile du Temple s’est déchiré.
Il a offert sa vie en sacrifice, une fois pour toutes. Il a ouvert un accès direct et définitif à Dieu.
Lorsqu’il rejoint ces deux disciples, il ne vient pas en juge. Il vient comme leur Sauveur ressuscité. Il a tout accompli pour eux, mais eux ne l’ont pas encore compris.
Quand nous nous éloignons de Jésus, notre réflexe est de penser: “Je sais que je devrais revenir vers lui, mais je n’ai pas assez de foi.”
Mais en réalité, Jésus est déjà là, avec nous. Il nous voit, il nous écoute. Il marche avec nous et accueille nos doutes. Jésus est le Dieu des pécheurs découragés, incapables et inaptes. Il vient à notre rencontre. Il marche avec nous.
Vous pensez peut-être que la foi est réservée à ceux qui sont plus forts, plus fidèles, plus spirituels ou charismatiques.
Mais Jésus ne classe pas ses disciples. Il ne les hiérarchise pas dans son cœur.
Vous comptez pour lui. Vous n’êtes pas un fan anonyme dans la foule.
Il vous accorde toute son attention et vous accorde tout le temps nécessaire pour vous ramener à lui.
…leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Luc 24.16
Ce détail est troublant. Pourquoi ces disciples, qui ont connu Jésus de près, ne le reconnaissent-ils pas?
Est-ce l’obscurité du soir? Non. Ils marchent avec lui pendant des heures jusqu’au crépuscule.
Un changement d’apparence? Aucun indice en ce sens. Les récits de résurrection dans les évangiles montrent un Jésus qui garde le même corps, bien que glorifié.
Puisqu’ils n’ont pas cru au témoignage de sa résurrection, je pense que leurs yeux sont empêchés de le reconnaître par Jésus lui-même. Cela fait partie de sa pédagogie, car fondamentalement le problème ne vient pas de la mort de Jésus, mais de leurs attentes faussées.
Ils ne s’attendaient pas à voir le crucifié vivant, car ils n’avaient pas compris que la croix était la victoire du Messie.
Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël, mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour que ces événements se sont produits.
Luc 24.21
Leur foi est éteinte par ce “mais”. Il ferme la porte de leur cœur. Ils croyaient à un Messie politique et militaire, un libérateur national.
La croix les a déçus, car elle ne correspondait pas à leurs projections.
Jésus aurait pu tout simplifier: lever les bras, montrer ses cicatrices, dire: “C’est moi! Regardez!”
Mais il ne le fait pas. Il commence par poser une question:
De quoi parlez-vous?
verset 17
Une question en apparence absurde: que pourrait-on évoquer d’autre à Jérusalem ce jour-là?
Et pourtant, cette question révèle l’extraordinaire délicatesse et finesse de Jésus. Il part de là où ils en sont. Il les laisse parler, exprimer leur peine, formuler leurs attentes déçues.
“Nous espérions… mais…” Cette phrase résume leur théologie, leur douleur, leur incompréhension.
Et elle résume parfois la vôtre: “J’espérais… une guérison… tel emploi… telle réussite… mais…”
Souvent, nos faux espoirs nous rendent aveugles à la réelle présence de Jésus. Nous projetons sur Jésus nos désirs ou besoins immédiats et nous attendons qu'il agisse à coups de baguette magique. Cependant, le but de Jésus n’est pas d’accomplir notre volonté, mais la sienne.
Jésus ne retarde pas de se révéler par cruauté, mais par amour. Il a une pédagogie.
Il désire confronter les attentes déformées, pour corriger les fausses croyances, pour conduire, lentement mais sûrement, sur le chemin de la vérité. C’est un travail en profondeur. Jésus n’est pas pressé. Jamais.
Alors Jésus leur dit: “Hommes sans intelligence, dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Messie souffre ces choses et qu’il entre dans sa gloire?” Puis, en commençant par les écrits de Moïse et continuant par ceux de tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
Luc 24.25-27
Jésus aurait pu tout leur révéler d’un seul mot. Mais il ne saute pas les étapes. Au lieu de cela, il choisit de leur enseigner les Écritures.
Pourquoi? Parce qu’il veut leur montrer que tout l’Ancien Testament annonce, prépare, révèle, espère et célèbre le Messie et son œuvre à la croix.
On aimerait que Luc nous donne le contenu de cette étude. Mais ce n’est pas la liste des textes qui compte, c’est la méthode: nous devons lire la Bible comme Jésus nous apprend à la lire.
Dans Jean 5, Jésus déclarait déjà aux chefs religieux:
Vous sondez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi. […] Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu’il a écrit de moi.
Jean 5.39, 46
Hommes sans intelligence, dont le cœur est lent à croire…
verset 25
L’expression est dure. Jésus ne cherche pas à humilier, il veut provoquer un sursaut.
Ils avaient vu ses œuvres, entendu ses paroles… mais ils n’avaient pas compris la croix. Pour eux, elle annulait tout ce que Jésus avait dit ou fait.
Ils n’avaient pas saisi que la souffrance du Messie, sa mort et sa résurrection étaient annoncées par les prophètes et nécessaires à leur salut.
Alors Jésus reprend tout depuis le début. Il survole l’Ancien Testament (comme nous l’appelons) avec eux pour leur apprendre à le lire à la lumière de la croix et non d’une conquête politique.
Jésus veut enraciner leur foi, non dans une expérience passagère de ce qu’ils ont vu, mais dans les promesses infaillibles de la Parole de Dieu.
Jésus ne veut pas que la foi prenne toute sa place. Ils l’ont vu pendant trois ans, tout au plus. Désormais, ils devront vivre par la foi, une foi fondée sur l’Écriture, non sur l’émotion ou la sensation.
Notre foi ne dépend pas des miracles que nous voyons, mais de la Parole que nous croyons.
Pour nous rappeler ce qu’il dit dès le début de son évangile:
Il m’a paru bon, à moi aussi, qui me suis soigneusement informé sur toutes ces choses dès l’origine, de te les exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.
Luc 1.3-4 (c’est nous qui le soulignons)
Tous les disciples après les apôtres, nous y compris, devront apprendre à le connaître par les Écritures.
Luc écrit pour ceux qui ne verront jamais Jésus de leurs yeux mais qui ont été enseignés sur lui grâce à l’Ancien Testament et au témoignage des apôtres.
C’est la Bible que le Saint-Esprit utilise pour révéler à nos yeux la gloire de Jésus.
Paul rappelle aux Galates:
La mort de Jésus-Christ sur la croix a été clairement dépeinte à vos yeux.
Galates 3.1
L’auteur de l’épître aux Hébreux affirme également:
Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de la mort qu’il a soufferte.
Hébreux 2.9
Et plus loin:
En effet, la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante que toute épée à deux tranchants, pénétrante jusqu’à séparer âme et esprit, jointures et moelles; elle juge les sentiments et les pensées du cœur.
Hébreux 4.12
Pierre va dans le même sens:
Nous avons vu sa gloire… et nous considérons comme d’autant plus certaine la parole des prophètes. Vous faites bien de lui prêter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur.
2 Pierre 1.16-21
La foi chrétienne ne repose pas sur la vue, mais sur la méditation attentive de la Parole de Dieu.
La foi vient de ce qu’on entend et ce qu’on entend vient de la parole de Dieu.
Romains 10.17
La vraie foi naît dans le creuset du dialogue entre nos doutes et les paroles de Jésus. Si vous cherchez sa présence, ouvrez votre Bible. C’est le moyen qu’il a choisi pour se révéler à vous par le Saint-Esprit.
Plus vous lirez la Bible, mieux vous connaîtrez Jésus. Et plus vous le connaîtrez, plus il vous transformera.
C’est à travers la méditation de sa Parole que Dieu console ceux qui doutent, affermit ceux qui chancellent et fortifie ceux qui espèrent en lui.
Même lorsque vous ne comprenez pas ce que Dieu permet, même lorsqu’il semble silencieux, ce n’est pas le moment de vous éloigner de l’Écriture.
C’est précisément là qu’il faut l’ouvrir, y passer du temps, y chercher Dieu. C’est ainsi que vous commencerez à voir clair à nouveau, car:
Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, convaincre, corriger, instruire dans la justice.
2 Timothée 3.16
C’est pour cela que dans mon livre Vivre pour Jésus, je consacre un chapitre à l’importance de la méditation des Écritures et propose des conseils concrets pour prendre de bonnes habitudes de lecture.
Les présupposés des disciples sur le Messie étaient si rigides qu’ils les ont empêchés de voir que la croix était sa victoire.
Nous faisons souvent la même erreur: nous avons du mal à laisser la Parole de Dieu laisser dire ce qu’elle veut quand elle vient interroger nos présupposés ou nos traditions. Mais être évangélique, c’est reconnaître que la Parole de Dieu est l’autorité ultime sur nos vies, pas nos interprétations ni notre tradition. Il faut laisser l’Écriture nous corriger, nous rééduquer et lui faire confiance.
Jésus nous enseigne que nous lisons mal l’Ancien Testament si nous ne comprenons pas qu’il parle de lui. Ce principe oriente tout ministère fidèle de prédication. Paul disait aux Corinthiens:
Je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.
1 Corinthiens 2.2
Et aux anciens d’Éphèse:
Je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher.
Actes 20.27
Seule la Parole de Dieu nous donne la capacité de voir le Christ tel qu’il est réellement. C’est pourquoi Paul exhorte Timothée à se consacrer à la lecture publique de l’Écriture, à la prédication et à l’enseignement (1Tm 4.16).
Si nous voulons progresser dans notre connaissance de Christ, nous devons enseigner tous les livres de la Bible, et montrer dans chaque prédication comment le texte annonce, prépare, reflète ou découle de l’Évangile.
Dans mon prochain article, nous verrons comment Jésus s’y prend pour faire brûler nos cœurs et comment il nous apprend à le voir là où il se rend visible: dans sa Parole et les sacrements.
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