« Y a que Dieu qui peut m’juger… »

      Textes difficilesJugement et récompensesCombat contre le péché
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      La plupart des chrétiens ont au moins un verset favori dans l’Écriture. Il est toutefois surprenant de constater que beaucoup de non-chrétiens en possèdent également un. Ces derniers, bien que connaissant peu la Bible, citent fréquemment Matthieu 7.1: “Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés.” L’ironie, c’est que ce verset – qu’ils affectionnent tant – est aussi l’un des moins compris.

      Un texte maltraité

      Jamais un passage de l’Écriture n’a été aussi malmené, mal compris et mal utilisé. Non-croyants, mais aussi certains croyants dans l’erreur, se servent de ce texte pour dénoncer quiconque ose critiquer ou révéler les péchés, défauts ou erreurs doctrinales des autres. On évite ainsi de parler de sujets sensibles comme l’homosexualité, l’adultère, les commérages, la triche fiscale, la fornication, l’avortement, ou même d’autres religions, sous peine de subir la colère de ceux qui pensent que Jésus a interdit tout jugement.

      Ce problème tient en grande partie à l’aversion contemporaine pour les absolus, surtout moraux1. Affirmer qu’il existe une différence réelle et absolue entre le bien et le mal, la vérité et la fausseté, expose à la critique d’intolérance ou d’un esprit archaïque. Pour beaucoup d’étudiants aujourd’hui (voire la majorité), “le seul ennemi est celui qui refuse d’être ouvert à toutes opinions2”.

      L’ironie, c’est que ceux qui jugent le jugement des autres violent eux-mêmes la règle qu’ils veulent imposer. Revendiquer l’impossibilité de critiquer des croyances ou des pratiques morales est déjà une position morale, et choisir la tolérance absolue équivaut à une forme extrême d’intolérance envers les convictions divergentes.

      Ce que Jésus ne voulait pas dire

      Jésus ne nous interdit pas d’exprimer notre opinion sur le juste et l’injuste, le bon et le mauvais, le vrai et le faux, et cela peut être démontré sur la base de deux éléments: le contexte immédiat et l’ensemble de l’enseignement du Nouveau Testament concernant le jugement.

      L’ensemble du Sermon sur la Montagne et les passages qui l’entourent présupposent que nous devons faire preuve d’esprit critique pour exercer des jugements éthiques. Jésus appelle les chrétiens à se distinguer du monde qui les entoure, à rechercher une vertu surpassant celle des Pharisiens, à faire "plus" que les non-croyants, et à éviter d’agir comme des hypocrites qui donnent, prient, jeûnent, et ainsi de suite.

      Ça ne se limite pas à cela, mais immédiatement après ce mot d’exhortation dans Matthieu 7.1, Jésus délivre deux commandements supplémentaires: ne donnez pas ce qui est saint aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, et gardez-vous des faux prophètes. Selon Stott:

      Il serait impossible d’obéir à l’un de ces commandements sans utiliser notre jugement critique. Déterminer notre comportement à l’égard des "chiens", "pourceaux" et "faux prophètes" suppose que nous devons d’abord être capables de les reconnaître, et pour faire cela nous devons exercer un certain discernement critique3.

      Penchez-vous sur des textes tels que Matthieu 18.15-17, Romains 16.17-18, 1 Corinthiens 5.3, Galates 1.8, Philippiens 3.2, Tite 3.10-11, 1 Jean 4.1-4, 2 Jean 1.9-11, 3 Jean 1.9-11, et notamment Jean 7.24, où Jésus lui-même dit (et j’aimerais le souligner):

      Ne jugez pas d'après l'apparence, mais portez un jugement juste.

      Ce que Jésus voulait dire

      Comment comprendre alors Matthieu 7.1-6?

      Jésus condamne le jugement pharisaïque: celui qui est hypercritique, destructeur, et semble ne pas se soucier de la santé spirituelle d’autrui, cherchant uniquement à se mettre en avant.

      Il interdit non les critiques constructives motivées par l’amour, mais celles qui servent des intérêts personnels. Selon John Stott4:

      [Être critique] ne signifie pas évaluer les gens avec méchanceté, mais les juger avec sévérité. Le critique malveillant est un chercheur de fautes, négatif et destructeur envers autrui, qui prend un plaisir actif à pointer leurs défauts. Il interprète leurs intentions de la pire manière possible, les décourage, et demeure insensible face à leurs erreurs.

      Pour résumer:

      Le commandement de ne pas juger n’est pas un appel à fermer les yeux, mais à être généreux. Jésus ne nous demande pas de cesser d’être des hommes — en mettant à l’arrêt notre esprit critique, qui nous distingue des animaux — mais de renoncer à l’ambition présomptueuse de nous ériger en Dieu, en nous plaçant nous-mêmes comme juges5.

      Mais attendez, c’est plus que cela

      Nous ne devons pas nous arrêter à Matthieu 7.1, car Jésus ajoute bien plus dans les versets qui suivent.

      La raison qu’il donne pour ne pas juger les autres de façon hypocrite, moralisatrice et méchante est la suivante:

      C’est du jugement dont vous jugez qu’on vous jugera, de la mesure dont vous mesurez qu’on vous mesurera.

      Matthieu 7.2

      Reste à savoir s'il est question du jugement des hommes ou de celui de Dieu.

      Quand nous fixons une norme aux autres, nous y sommes soumis nous aussi. C’est pourquoi humilité et amour doivent guider nos jugements. Toute critique devrait commencer par une confession: avant de relever la faute d’autrui, reconnaissons-la d’abord en nous-mêmes.

      Qu’y a-t-il dans ton œil?

      Ce principe est illustré dans Matthieu 7.3-5:

      Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil? Ou comment dis-tu à ton frère: Laisse-moi ôter la paille de ton œil, alors que dans ton œil il y a une poutre? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.

      Ce principe s’applique à d’innombrables situations. Par exemple, dénoncer les péchés visibles de la chair (adultère, vol, meurtre, etc.) afin de minimiser les péchés plus cachés du cœur (jalousie, amertume, avidité, convoitise, etc.). Ou encore mettre en avant les fautes d’autrui pour masquer les nôtres. Ce genre de jugement relève de l’autojustification.

      Il existe aussi un danger inverse. Dans Matthieu 7.6, Jésus dit:

      Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et ne se retournent pour vous déchirer.

      Ici, il avertit du risque d’être trop indulgent et de manquer de discernement. En aimant nos ennemis, en faisant les mille supplémentaires avec eux (cf. Mt 5.41) et en évitant le jugement injuste, nous pourrions devenir mous et perdre la capacité de distinguer entre justice et injustice, vérité et mensonge. Les saints ne doivent pas être des juges, mais ils ne doivent pas non plus être naïfs!

      Jésus ne nous demande pas de taire l’Évangile à certaines personnes jugées indignes de le recevoir, mais il est réaliste: après de nombreux rejets et moqueries, il est peut-être temps de passer à autre chose. Certains, obstinément méchants et endurcis, ne trouvent aucun plaisir dans la vérité biblique, sinon pour la tourner en dérision.

      L’Évangile par-dessus tout et en contexte

      Pour conclure, retenons plusieurs remarques.

      Premièrement, notons que Jésus parle de "perles" et non de "gravillons". Nous ne devons jamais oublier la valeur inestimable et la gloire de l’Évangile.

      Deuxièmement, nous aurons à témoigner à différents types de personnes et devons apprendre à faire une distinction entre elles (voir Actes 17.32-34).

      Troisièmement, il n’est pas nécessaire de présenter l’Évangile de manière identique et mécanique à tout moment. Certains, sont peut-être déjà accablés par leur péché et leur culpabilité, et ont besoin d’entendre l’amour de Dieu manifesté en Christ. D’autres ont besoin d'être confrontés à la sainteté et à la colère de Dieu. Certains doivent reconnaître la dépravation de leur cœur, tandis que d’autres ont besoin de découvrir la compassion divine et le pardon. Tout cela s’inscrit dans le contexte de l’amour pour nos ennemis. Ne jetons pas nos perles aux cochons, mais ne soyons pas non plus désagréables ou insensibles.

      Quatrièmement, Matthieu 7.6 ne s’adresse probablement pas à toutes assemblées ou à tous les chrétiens. Leur problème ne sera peut-être pas un manque de discernement, ou une tendance excessive à jeter les perles aux cochons: peut-être qu'ils ne jettent pas de perles du tout! Ce verset est plutôt destiné à ceux qui, par zèle pour évangéliser, ne distinguent pas le moqueur de l’âme assoiffée. Pour beaucoup d’entre nous, le vrai problème est sans doute un manque d’empressement à évangéliser dès le départ.


      Sam Storms

      Sam Storms est le pasteur de Bridgeway Church à Oklahoma City (états-Unis).

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