Les Proverbes à l'heure d'Internet: les algorithmes sont "la folie" d'aujourd'hui

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Le contraire de la sagesse

Dans les Proverbes, le contraire de la sagesse est souvent personnifié par un personnage: « l’étrangère » ou « la folie ». Une femme « au discours flatteur » (Pr 2.16-17) dont les lèvres « ruissellent de miel » (Pr 5.3). Elle est « bruyante », « séductrice » et « elle s’assied à l’entrée de sa maison », « pour interpeller les passants » (Pr 9.13-15). Tout au long des Proverbes, « la folie » est opposée à la sagesse, et il est conseillé au lecteur de ne pas l’écouter, car elle mène à la destruction, tandis qu’écouter la sagesse mène à la vie.

A. W. Tozer décrit « la folie » comme « une folie morale personnifiée » qui « agit par pouvoir de suggestion ». Actuellement, nous voyons « la folie » à l’œuvre avec les incitations à « voir plus » qui nous distraient constamment en nous proposant des « suggestions ».

Voici ce que dit Tozer:

Avec l’emprise de la suggestion, beaucoup subissent un véritable lavage de cerveau, de neuf heures du matin ou même plus tôt, jusqu’au moment de s’endormir. Ces gens-là ne sont pas des convaincus. Ils traversent la vie sans conviction, sans savoir où ils vont.1

Avec ce commentaire, Tozer pourrait décrire nos vies tributaires du smartphone. Du réveil au coucher et sans interruption, nombre d’entre nous faisons défiler flux et applications sur nos téléphones. Nous n’avons pas de raisons précises ou des choses urgentes à faire sur notre portable, c’est juste qu’il est à notre portée et que nous nous ennuyons. Nous sommes poussés à saisir notre smartphone dès que l’occasion se présente: pendant les 20 secondes que dure un feu rouge, les deux minutes d’attente au café, les cinq minutes entre deux réunions Zoom.

Mais pour quoi faire? Cette question est rarement résolue.

Nous ouvrons Twitter avant même que notre cerveau ne sache pourquoi. Nous ouvrons une application consacrée aux actualités pour « rattraper » les nouvelles que nous avons manquées depuis la dernière fois que nous nous sommes connectés (il y a 30 minutes). Nous avons 45 secondes de disponibles en marchant de la voiture à notre destination, alors nous ouvrons Instagram pour parcourir quelques “stories” dans ce laps de temps.

Quand nous utilisons cet outil (et c’est ce qu’un smartphone devrait être, un outil, rien de plus), trop souvent, il ne s’agit pas de répondre à un réel besoin ou dans un but précis.

C’est plutôt un réflexe impulsif, une dépendance passive. Et cela nous rend extrêmement vulnérables dans un monde où de puissants algorithmes sont prêts à accaparer notre attention dès que nous allumons nos portables et les laissons faire.

Dangers de l’errance numérique

C’est la raison principale pour laquelle le paysage médiatique actuel est si prompt à nous conduire vers « la folie ». Lorsque nous saisissons nos téléphones sans raison valable, que nous faisons défiler nos contenus sans but précis, ou que nous suggérons à notre conjoint de « regarder quelque chose sur Netflix », nous sommes à la merci des voix ou des images les plus séduisantes ou les plus attrayantes. Pour utiliser le langage de Tozer, nous ne sommes pas impliqués, nous ne savons pas où aller.

Cela nous rend totalement vulnérables au pouvoir de suggestion. Ce sont des rouages d’algorithmes toujours plus sophistiqués, aptes à nous distraire pour que nous restions connectés. Nous sommes des égarés du numérique, et c’est un réel danger. Sans orientation claire dans des espaces numériques, nous sommes réceptifs à tout ce qu’un algorithme considère comme susceptible de nous plaire: un film, un article ou une vidéo YouTube « suggéré pour vous », qui nous fera perdre quelques minutes ou quelques heures de notre temps.

Ces recommandations algorithmiques sont-elles vraiment capables d’anticiper que nous allons aimer quelque chose? Oui, absolument. Plus que de raison, je trouve. C’est d’ailleurs ce qui les rend si insidieuses. Plus nous passons de temps en ligne – à cliquer, regarder, écouter, (et tout cela est suivi avec une extrême minutie) – mieux les algorithmes peuvent prédire ce à quoi nous aurons du mal à résister.

Tout comme le diable est un enjôleur rusé, qui adapte ses tentations à nos points faibles respectifs et à notre propension au péché, tels sont aussi les algorithmes. Ils savent exactement comment monopoliser notre temps et notre attention. Ils connaissent nos points faibles. À cet égard, ils sont exactement comme dame « folie ». Dès qu’ils interpellent « ceux qui passent » avec un chant de sirène personnalisé, il nous est difficile de leur résister. Pourquoi?

Parce que nous sommes là sans but précis.

Se connecter pour un motif valable

L’antidote à la distraction ravageuse de l’ère numérique sont: choix, concentration et intentionnalité. Proverbes 4.25 dit: « Que tes yeux regardent bien en face et que tes paupières se dirigent droit devant toi. » C’est la sagesse qui s’oppose à la femme imprudente ou « folie » qui « se garde bien d’examiner le chemin de la vie. Ses voies sont des voies d’errance, mais elle ne le sait pas. » (Pr 5.6).

Tout comme la femme folle, le vagabond numérique court à sa perte. Ne vous connectez pas sans réfléchir. Allez-y avec un objectif et restez en ligne juste le temps qu’il faut.

L’expression « surfer sur le net » a été l’une des premières métaphores pour décrire ce que nous faisons en ligne. Cela évoque une attitude nonchalante qui surfe les vagues du web: « nous allons bien voir où ces liens vont nous conduire! ».

Mais c’est précisément cette attitude – aller en ligne juste pour se balader (ou devrais-je plutôt dire « faire défiler »?) dans ses grands espaces – qui remplit tous nos moments libres de débats insipides sur les réseaux sociaux, de vidéos de chats un tantinet cocasses et d’autres publications éphémères en ligne. C’est justement cette impulsion inconsciente à nous jeter sur notre téléphone et à nous brancher sur quelque chose qui peut nous mener sur un terrain très glissant: pornographie, sous-cultures toxiques, confrontations stériles des « commentaires ».

Malheureusement, nous pouvons naviguer sur Internet à tout moment, en un temps record: que ce soit pendant 30 secondes à un feu rouge ou 90 secondes dans la file d’attente du drive-in de Chick-fil-A [ndt: chaîne de restauration rapide américaine spécialisée dans les plats à base de poulet.]. Cela nous incite à éliminer la moindre parcelle d’espace non médiatisé de nos vies -ce qui va à l’encontre de cultiver la sagesse.

Lorsque vous êtes sur Internet ou sur une application, demandez-vous ce que vous allez y faire. Avez-vous un objectif précis? Lorsque vous ouvrez YouTube, est-ce pour regarder une vidéo en particulier? Lorsque vous prenez votre téléphone en faisant la queue ou en marchant d’un lieu à un autre, est-ce dans un but précis ou par habitude? Quand nous n’allons pas quelque part, nous allons n’importe où – et les « n’importe où » numériques nous sont rarement bénéfiques.

Les habitudes de « la folie »

Ces mécanismes font que nos habitudes numériques – temps passé devant l’écran, dépendance au téléphone, accès aux médias – ont une répercussion directe sur notre santé spirituelle. C’est pourquoi, le « discipulat numérique » devrait être une priorité dans les églises qui veulent aller de l’avant.

Ce qui retient notre attention: les voix que nous laissons s’exprimer dans nos vies, les idées et les images que nous laissons s’immiscer dans nos cœurs et nos esprits et qui les façonnent; tout cela peut nous rendre, soit spirituellement malades, soit spirituellement sains.

Dans une ère de surmédiatisation et de stimulation numérique continuelle, nos comportements médiatiques peuvent nous rendre sages ou nous rendre insensés. Et l’un de ces comportements qui nous rendra insensé est celui de prendre notre téléphone à tout moment, de nous connecter sans réfléchir et de faire défiler des informations juste pour le plaisir de cliquer sur ce qui nous attire et que dame « folie » aura mis sur notre chemin.

1 A. W. Tozer, The Wisdom of God, ed. James L. Snyder (Minneapolis: Bethany House, 2017), 164.
Merci à Christine Davée pour la traduction de cet article.

Pour aller plus loin:

Brett McCracken

Brett McCracken est rédacteur en chef de la Gospel Coalition et l'auteur de nombreux livres. Il vit avec sa famille en Californie du Sud, où il est un ancien de l'Église Southlands.

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