“Pourquoi vous voulez encore des enfants?” me demandent les gens quand ils apprennent qu’on compte adopter. “Vous ne pensez pas en avoir assez déjà?”
Je ne sais pas quoi répondre à cette question parce que je ne sais pas à partir de combien d’enfants on en a assez.
Est-ce que j’ai assez d’enfants pour boire tout le lait avant qu’il ne soit périmé? Oui.
Est-ce que j’ai assez d’enfants pour constituer notre propre équipe de basket? Oui.
Est-ce que j’ai assez d’enfants pour financer le voyage de rêve aux Caraïbes de notre orthodontiste? Oui.
Mais… est-ce assez, ça?
En fait, si j’ai du mal à répondre, c’est parce que la question est mauvaise. La question sous-entend que la raison pour laquelle on a des enfants est pour un accomplissement personnel et que les gens devraient juste avoir le nombre minimum d’enfants nécessaires pour être personnellement épanouis.
Quand les gens me disent: “Tu n’as pas déjà assez d’enfants?”, ils sous-entendent que je suis insatisfaite par le nombre d’enfants qu’il y a chez moi en ce moment.
J’ai besoin de plus d’enfants pour être heureuse, et n’est-ce pas égoïste et irresponsable de ma part?
Nom d’une pipe, pourquoi en voudrais-je encore?
La réponse simple est: Je ne veux plus d’enfants.
Je ne veux pas ajouter à ma famille, qui roule bien comme ça, des enfants au passé chargé. Je ne veux pas mettre en péril la stabilité émotionnelle et la sécurité physique de mes propres enfants pour prendre en charge les “problèmes” de quelqu’un d’autre. Je ne veux pas donner mon cœur à un enfant qui pourrait me détester en retour. Je ne veux pas des poux. Je ne veux pas des troubles affectifs. Je ne veux pas les agressions sexuelles, les mensonges, les vols, la manipulation, – je ne veux rien de cela.
Je ne souffre pas de solitude ou d’ennui, et je ne cherche pas à me valoriser. Je ne veux pas d’autres d’enfants pour satisfaire un complexe de Superman, ou parce que je suis une mère si géniale. Je ne veux pas plus d’enfants parce que – pour une raison ou pour une autre – cinq, ce ne serait pas assez. Oh, non. Cinq enfants c’est assez et, certains jours, je ne suis pas sûre que je pourrais en gérer un de plus.
(C’est vrai, je disais déjà cela quand je n’avais qu’un seul enfant! Et je l’ai dit quand j’en avais trois. Et maintenant que j’en ai cinq, je pense que vraiment vraiment cette fois-ci c’est vrai!)
Je ne veux pas plus d’enfants parce que je pense que je peux en gérer plus. Je connais la vérité: dans ma propre humanité, dans la faiblesse qui est mienne, je ne le peux pas.
Je ne peux pas aimer plus qu’assez d’enfants. Je ne peux pas manifester une compassion semblable à celle de Christ pour le gamin à l’enfance brisée qui est en train de m’en faire voir de toutes les couleurs… Aucun d’entre nous ne le peut.
Ce qui me renverse, c’est que Dieu n’a pas l’air particulièrement soucieux de savoir ce que je peux gérer. Il a l’air de se soucier plus de ce que lui peut gérer.
Et ça, ça fait exploser la question. Au bout du compte, ce n’est pas moi qui suis au cœur de cette question de l’adoption. Ça ne l’a jamais été. Il ne s’agit pas de savoir quelles sont mes capacités en tant que mère, quels sont mes souhaits en tant qu’être humain, ou quel est le niveau de confort auquel je suis habituée.
Ce que je dois prendre en compte c’est plutôt ce à quoi Dieu m’a appelée: aimer mon Sauveur en aimant ses enfants, par sa puissance qui travaille en moi. “Ce que je veux faire” ou “ce que je peux faire” devient hors sujet! Dieu veut et Dieu peut. Cela suffit.
Est-ce que je veux plus d’enfants?
Les seules personnes qui posent cette question ne sont manifestement pas Dieu car Dieu ne pose jamais ce genre de question.
Dieu ne demande pas si nous voulons aimer les enfants mal-aimés (Jc 1.27). Il n’a même pas la gentillesse de nous demander si nous en sommes capables. Avec toute l’audace du Seigneur de l’Univers, il suppose que si nous sommes en vie, nous pouvons faire mieux que de juste penser à nous et à nos besoins, parce qu’il a fait mieux lui, et c’est sa puissance à lui qui agit en nous et nous équipe pour faire comme lui. Pas notre force. Pas notre capacité (Ép 3.20).
C’est effrayant de croire cela. Je n’aime pas sauter dans l’inconnu et espérer de tout mon cœur que je vais atterrir sur des ailes surnaturelles. Je suis effrayée et cette peur me ferait tourner le dos et fuir si ce n’était pas le fait que mes peurs ne me dispensent pas d’obéir à Dieu.
De toute façon, les peurs sont les œuvres des ténèbres. Les pires scénarios se produisent rarement. Les inquiétudes qui se bousculent dans ma tête sont secondaires en comparaison de la souffrance réelle et atroce de vrais enfants, en ce moment même.
Je regarde ma maison, mon mari qui aime Dieu, un mari si patient… je regarde mes enfants si compatissants et pleins d’amour, et je sais. Je sais que je ne peux pas laisser des blessures imaginaires m’empêcher d’apporter un vrai espoir dans la vie bien réelle, bien présente et éternelle, d’un enfant.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de blessures. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les éviter, mais l’amour n’est pas toujours tout rose. Nos cinq enfants en subiront parfois les conséquences douloureuses.
Mais, pour notre sixième enfant, ça fera moins mal, beaucoup moins mal, éternellement moins mal, que ce qu’il subit maintenant.
C’est la chose qui me presse vers l’avant quand mon cœur défaille. Est-ce que je veux plus d’enfants? Non.
Ce que je veux, c’est en finir avec ce que je veux. Je veux venir à bout de ce contrôle que j’exerce, et par lequel je ne me charge uniquement de ce que je peux porter. Je veux vivre cet immense privilège de voir ce que Dieu peut faire à travers moi. Cela me remplit d’une joie indescriptible, illogique, à l’idée d’être utilisée comme lui le souhaite. Je ressens un amour venant de Jésus, pour un enfant qui n’est pas de moi. Et je ressens toute l’excitation de Noël en pensant au cadeau – le privilège – d’être sa mère, quel que soit le prix à payer.
Pourquoi est-ce que je veux encore des enfants?
Voilà pourquoi.
Merci à Myriam J. pour la traduction et à Philip Kapitaniuk pour son travail de relecture. Article traduit de l’anglais avec l’aimable autorisation de l’auteure.
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S. Laurent