Le réformateur suisse Pierre Viret a grandement contribué à la Réforme en Europe, aux côtés d’hommes plus célèbres comme le français Jean Calvin, son ami proche.
Pourtant, il est méconnu – bien que des travaux académiques significatifs lui soient consacrés depuis quelques décennies. Ainsi, on le surnomme parfois « le réformateur oublié ». À titre d’exemple, rappelons qu’il n’a pas sa place parmi les grands sur le mur des réformateurs à Genève. Or son impact fut considérable. En un mot, il gagne à être connu!
Retraçons les grandes étapes de sa vie[1].
Pierre Viret naît en 1511 dans une petite ville de Suisse Romande, Orbe, alors que le réformateur allemand Martin Luther a 28 ans. Sa famille est catholique. Même si ses parents sont plutôt modestes (son père est drapier-couturier), ils l’envoient faire des études à Paris pour le préparer à devenir prêtre.
C’est à Paris que Viret est exposé aux nouvelles idées de la Réforme, particulièrement à celles de Martin Luther, dont les écrits circulent clandestinement. Luther prône un retour aux Écritures. En effet, l’Église catholique s’en est éloignée sur des points essentiels, y compris en ce qui concerne le salut.
Viret embrasse la Réforme: il accueille la Bonne Nouvelle du salut par la grâce de Dieu seule. Malheureusement, les protestants sont de plus en plus persécutés par le roi François Ier. Même le conseiller personnel de Viret, qui s’est attaché à l’enseignement de Luther, est exécuté. Tout cela contraint Viret à mettre fin à ses études prématurément et à quitter la France pour regagner sa Suisse natale. Il a 20 ans quand il fuit la persécution parisienne.
De retour à Orbe, il devient malgré lui prédicateur dans sa ville natale. Il ne se sent pas qualifié: il est timide et n’a pas pu obtenir son diplôme à Paris (ayant dû quitter avant la fin de son cursus). En outre, le climat est tendu dans sa ville qui comprend des catholiques et des protestants.
Pierre Viret
Mais un certain Farel remarque Viret et voit en lui un grand potentiel. Poussé par Farel, Viret accepte donc de commencer à prêcher à Orbe. Durant les seize mois de son ministère pastoral dans cette ville, le nombre de protestants passe de sept à soixante-dix-sept et comprend désormais ses propres parents. Malgré son jeune âge, Viret est respecté: les gens l’écoutent. Il joue même le rôle de médiateur entre les catholiques et les protestants, qui en viennent parfois aux coups (lors d’une altercation, on déplore un mort chez les catholiques).
Après ce court pastorat à Orbe (seize mois), Viret exerce un ministère dans différentes villes suisses, dont Neuchâtel. Cette étape de sa vie dure quatre ans. C’est au cours de cette période qu’on tente à deux reprises de l’assassiner, ce qui affectera sa santé jusqu’à sa mort.
À Payerne, les prêtres catholiques le traînent en justice. Ils organisent un guet-apens au cours duquel Viret reçoit plusieurs coups d’épée dans le dos et est laissé pour mort au beau milieu d’un champ. Il est grièvement blessé et sera longtemps affaibli par ce traumatisme.
Deuxième tentative d’assassinat: à Genève, en 1535, il semble qu’on ait tenté de le tuer en introduisant un poison dans son plat d’épinards. De nouveau, il frôle la mort.
Fait éloquent: lors d’un débat théologique à Lausanne l’année suivante (en 1536), Viret déclare qu’il a pardonné à ses ennemis ces deux tentatives d’assassinat et qu’il prie pour eux.
Après ces quatre années tumultueuses, Viret devient pasteur à Lausanne, à 25 ans. Dans cette ville, la situation est aussi très compliquée car encore une fois, la population est divisée entre catholiques et protestants.
Une grande Dispute est organisée (un débat théologique public), auquel participe Viret mais aussi Farel et Calvin. Parmi ces trois hommes, c’est Viret qui marque le plus les esprits car il s’adresse dans un langage simple au vaste auditoire qui comprend des paysans. Il sait toucher les cœurs, alors que Calvin se fait discret et que Farel, d’un tempérament sanguin, manque un peu trop de modération aux yeux du public. Après huit jours de débat, Lausanne accepte officiellement la Réforme.
Le ministère pastoral de Viret à Lausanne dure vingt-trois ans. On fait souvent appel à lui comme médiateur dans des situations tendues en Suisse, par exemple entre Calvin et le Conseil de la ville de Genève. On considère Viret comme un homme de paix.
Voici quelques événements importants durant ces vingt-trois années à Lausanne (1536-1559):
« Le Seigneur m’a enlevé la moitié de moi-même. Il m’a privé d’une fidèle compagne, d’une bonne maîtresse de maison, d’une épouse qui s’adaptait admirablement à mon caractère, à mes travaux, à mon ministère tout entier. Il me semble être un étranger chez moi. »[2]
Viret est très sensible au fait que les protestants sont violemment persécutés en France voisine. En 1541, il écrit son tout premier livre, qui vise à les encourager et à les conseiller.
À Lausanne, Viret dirige une Académie pour former les pasteurs protestants. Il réussit à recruter des pointures pour y enseigner, comme Théodore de Bèze. Mais un événement tragique se produit en 1553: cinq des anciens étudiants de Viret, qui s’étaient formés à Lausanne, sont brûlés vifs à Lyon. Viret est profondément meurtri par cette tragédie.
Le ministère de Viret à Lausanne se termine de manière assez triste et brutale. À 48 ans, il est destitué de son pastorat, incarcéré puis banni du Pays de Vaud. Pour quelle raison? Parce que les autorités civiles veulent garder le contrôle sur l’Église et empêcher Viret d’y exercer la discipline ecclésiastique. En gros, Viret, en accord sur ce point avec Calvin, considère que seules les personnes qui vivent comme des chrétiens peuvent participer à la cène. À ses yeux, il faut être repentant et obéissant au Christ pour pouvoir faire partie officiellement de l’Église, ce que les autorités civiles (l’État) n’acceptent pas.
Après avoir quitté Lausanne, Viret passe deux ans à Genève avec son ami Calvin, où il peut enfin jouir d’une certaine tranquillité. Non seulement il prêche, mais il écrit. Malheureusement, ses problèmes de santé s’accentuent, au point qu’il rédige son testament.
Les médecins lui conseillent le climat plus chaud et sec du sud de la France, ce qu’il accepte, mais pas pour profiter d’une retraite au soleil! Il s’investit corps et âme dans l’œuvre en France, à Nîmes et à Montpellier. En fait, il caressait depuis longtemps le rêve de servir dans ce pays, auquel son cœur est resté très attaché.
Son ministère y porte énormément de fruit. À Noël 1562, il prêche dans une cathédrale de Nîmes pleine à craquer: toute l’élite de la ville, et même les officiers du roi, sont présents. C’est à cette époque que le protestantisme est à son apogée en France: environ 10% de la population française est protestante (ce sont les huguenots). Mais c’est aussi une période sanglante, avec les fameuses guerres de religion qui opposent les troupes catholiques et protestantes.
Dans cette ambiance explosive, les foules accourent pour entendre Viret. Tout le monde, parmi les huguenots, le veut comme pasteur. Finalement, c’est à Pau, dans le Sud-Ouest, qu’il s’installe avec sa seconde épouse et l’une de leurs filles.
Viret s’éteint à 60 ans alors qu’il est sur le point de se rendre à La Rochelle pour participer au Synode des Églises réformées de France. Il n’aura donc pas l’occasion de signer la fameuse confession de foi de La Rochelle.
Dans un article ultérieur, je tirerai quelques leçons de la vie de Pierre Viret.
[1] Dans ce billet, je m’appuie principalement sur deux sources, que je résume: l’article de Jacques Blandenier, Pierre Viret, réformateur du pays de Vaud (1511-1571); le site www.pierreviret.com (qui cite D.-A. Troilo, Pierre Viret et l’anabaptisme).
[2] Citation puisée dans l’article Pierre Viret, réformateur du pays de Vaud (1511-1571).