Pour apprécier l'Évangile selon Marc à sa juste valeur, il faut absolument savoir ce qu'est le "nouvel exode" annoncé par le prophète Ésaïe. En effet, toute la trame de Marc retrace ce nouvel exode!
Dans cette capsule vidéo sur Marc 1.2-3, j’explique que Marc situe l’ensemble de son récit dans le cadre du nouvel exode annoncé par le prophète Ésaïe.
Plusieurs biblistes ont perçu l’importance de ce thème dans le deuxième évangile. Ils ont démontré que, au-delà des citations précises du prophète Ésaïe qui se retrouvent dans le texte de Marc, c’est toute la trame de l’évangile qui est à comprendre sur l’arrière-fond du programme de salut décliné par le prophète – et commodément résumé par l’expression « le nouvel exode d’Ésaïe ».
Parmi les spécialistes compétents ayant creusé la question, on trouve:
Joel Marcus
The Way of the Lord. Christological Exegesis of the Old Testament in the Gospel of Mark, Louisville, Westminster John Knox, 1992.
Rikki E. Watts
Une belle thèse réalisée à Cambridge:
Isaiah’s New Exodus in Mark, Eerdmans, Baker Academic, 1997.
Watts a ensuite assuré la partie sur Marc dans le Commentary on the New Testament Use of the Old Testament (s. dir. G.K. Beale et D.A. Carson), Grand Rapids/Nottingham, Baker Academic/Apollos, 2007, p. 111-249.
En français, on peut lire:
L’article de Rikki E. Watts intitulé « Exode (événement) » dans le Dictionnaire de Théologie Biblique, p. 586-596.
Richard B. Hays
Un beau résumé de la situation, qui garde le meilleur (c’est-à-dire le plus convaincant) de Marcus et de Watts (on ne peut pas suivre ces deux pionniers sur tous les détails):
Echoes of Scripture in the Gospels, Waco, Baylor University Press, 2016 (partie sur Marc: p. 15-103).
À partir du chapitre 40 du livre qui lui est consacré, le prophète Ésaïe proclame un grand message de consolation. Par son intermédiaire, Dieu annonce au peuple exilé à Babylone que l’exil arrive enfin à son terme. Dieu déclare surtout qu’il vient lui-même à Sion (c’est-à-dire à Jérusalem). Il traversera de nouveau le désert et se rendra dans la ville sainte.
À quel événement fondateur de l’histoire d’Israël cela fait-il penser? À l’Exode, bien sûr: après avoir libéré son peuple de l’esclavage en Égypte, Dieu l’avait alors conduit à travers le désert, jusque dans le pays d’Israël.
Eh bien, Dieu annonce par Ésaïe que c’est ce qu’il fera de nouveau. Oui, il y aura un nouvel exode. Dieu lui-même traversera le désert et reviendra à Jérusalem, et il entraînera son peuple avec lui. Les exilés qui sont à Babylone peuvent donc se consoler: l’exil prendra fin et ils reviendront à Jérusalem, avec leur Dieu. De plus, leur délivrance ne sera pas que politique: Ésaïe annonce également, dans ce cadre, la rédemption des péchés grâce au Messie.
En d’autres termes:
Les miracles de l’exode égyptien se reproduisent à grande échelle (43.16ss; 48.21; 51.9s; etc.).
– N.H. Ridderbos, « Ésaïe, livre », dans le Grand Dictionnaire de la Bible (Excelsis, 2004), p. 531.
Notons que le nouvel exode d’Ésaïe est associé de près:
Comme l’écrit Rikki Watts à propos de la vision d’Ésaïe:
La séquence originelle associée à l’Exode – libération d’Égypte + traversée du désert + arrivée dans la terre promise – est transposée en fonction de l’espérance d’un nouvel exode qui sera encore davantage glorieux: libération, pour les exilés, de la puissance de Babylone et de ses idoles + l’Éternel conduit son peuple aveugle le long du « chemin » et pourvoit à ses besoins + arrivée et intronisation de l’Éternel dans une Sion glorieusement rétablie. Ésaïe 40.3 est un texte-clé: sans la présence de l’Éternel (voir Ésaïe 40.5, 9, 10, 11), il n’y a point de salut.
– Commentary on the New Testament Use of the Old Testament, p. 114
Pourtant, sur le plan historique, quand une partie des exilés revient effectivement à Jérusalem des années plus tard, on constate que les belles promesses d’Ésaïe ne se sont que partiellement accomplies, à cause de l’endurcissement tenace du peuple.
Par conséquent, un accomplissement encore plus glorieux, de nature spirituelle celui-là, doit encore se produire, un nouvel exode accompagné d’une repentance profonde. Le peuple de Dieu a désespérément besoin d’une nouvelle délivrance, de la libération de ses péchés grâce au Messie!
Ainsi, de nombreux Juifs de l’époque de Jésus (de la période inter-testamentaire), même s’ils habitent dans la terre promise, se croient toujours en exil spirituel, d’une certaine manière, car ils sont sous domination étrangère (l’auteur N.T. Wright a abondamment développé ce thème, mais de manière excessive). En outre, le peuple est en bien mauvaise santé sur le plan spirituel. La table est mise pour l’arrivée en scène de celui qui procurera au peuple son véritable « nouvel exode ».
C’est précisément ce nouvel exode que décrivent les auteurs des évangiles, notamment Marc, le premier des quatre évangélistes à avoir rédigé son œuvre. Voilà pourquoi Marc s’intéresse autant au prophète Ésaïe (voir Marc 1.2)!
Dans l’introduction au livre d’Ésaïe qui se trouve dans la Bible du Semeur (version 2015), nous lisons ceci:
Lors de la venue d’une ambassade babylonienne à Jérusalem, vers 713, probablement dans le but de s’assurer l’appui d’Ézéchias contre l’Assyrie, Ésaïe annonce au roi de Juda l’exil futur du peuple de l’Éternel à Babylone (chap. 39).
La deuxième partie du livre (chap. 40 à 66) s’appuie sur cette prophétie pour dévoiler la libération à venir que Dieu allait accomplir. Celle-ci s’opérera par l’intermédiaire de deux personnages dont le prophète révèle progressivement l’identité: un roi, Cyrus (41.2, 25; 44.28; 45.1, 13; 46.11), qui s’emparera de Babylone et permettra aux exilés d’accomplir la première étape d’un nouvel « exode » pour rentrer chez eux (44.14; 48.14, 20-21).
Le second est le Serviteur de l’Éternel (42.1-9; 49.1-13; 50.4-11; 52.13 à 53.12), différent d’Israël, serviteur aveugle et sourd (42.18-19; 43.8), et de Cyrus, car ce Serviteur n’emploiera pas la force: « Il ne brisera pas le roseau qui ploie » (42.3). L’Esprit reposera sur lui (42.1; voir 61.1), comme sur Emmanuel. L’exode qu’il fera accomplir au peuple fera « sortir » celui-ci du péché (chap. 53). Ce nouvel exode est présenté comme une nouvelle création, dont l’évocation culmine avec l’annonce de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre (65.17; 66.22). Telle est l’œuvre qu’accomplira celui qu’Ésaïe nomme « le Saint d’Israël ».
Dans l’article de Watts traduit en français (mentionné plus haut), cet auteur énumère de nombreux parallèles possibles entre divers aspects du nouvel exode d’Ésaïe et la trame de l’Évangile selon Marc:
L’évangile de Marc s’ouvre sur des allusions aux traditions de l’Exode (1.1-3). La bonne nouvelle qu’il annonce (És 52.7; 61.1-2; cf. 40.9 est celle de l’accomplissement de la prophétie d’Ésaïe – le nouvel exode – en Jésus (És 40.3). Mais Israël doit obéir à l’Élie du Seigneur, Jean-Baptiste, qui vient pour aplanir sa route (Ml 3.1; 3.23; Ex 23.20); dans le cas contraire, le pays sera maudit (Ml 3.24). Lors du baptême de Jésus, les cieux déchirés et la venue de l’Esprit apportent une réponse à la dernière complainte d’Ésaïe (És 63.19), tandis que la voix céleste et le passage de Jésus par les eaux, dans le désert (récapitulation de l’expérience d’Israël) font de lui le véritable Israël, Serviteur du Seigneur (« mon Fils bien-aimé », Ex 4.22); il est donc le libérateur et serviteur messianique de l’Israël exilé (Ps 2.7; És 42.1).
Dans ce nouvel exode, Jésus, l’époux d’Israël (Mc 2.19; És 54.5-8; 62.5), délivre son peuple (Mc 1.14-8.21), conduit ses disciples « aveugles » sur le chemin (8.22-10.52) et arrive à Jérusalem (11.1-16.8). Ses exorcismes accomplissent la promesse du Seigneur: lier l’homme fort (3.27; És 49.24-25; ici, les oppresseurs sont les démons et non Babylone); après avoir vaincu la mer, il noie l’armée ennemie (Mc 4.35-41; 5.9-13; És 43.16-17; Ex 14-15). Le nouvel exode annoncé par Ésaïe trouve divers accomplissements: les multiplications des pains (Mc 6.34-44; 8.1-10; És 49.9b-10; 48.21), les guérisons d’aveugles, de sourds, de muets et de paralytiques (És 35.5-6; 61.1-2, LXX; 32.3-4), le pardon des péchés (Mc 2.5; És 43.25; 33.24), l’annulation de la souillure et de la mort de la fille d’Israël (5.25-41; És 64.5-6; 65.19-20). L’appel des Douze, sur la montagne, indique la reconstitution d’Israël (Mc 3.13-19). Dès lors, rejeter Jésus, c’est blasphémer contre l’Esprit (3.29) et réitérer le péché du premier Exode (És 63.10). Comme dans la prophétie d’Ésaïe, ce nouvel exode est effectué par un serviteur souffrant (Mc 10.45; cf. 8.31; 9.31; 10.33-34; És 53.6-12). De même que l’Israël aveugle (És 42.18-20), les disciples, après avoir reconnu en Jésus le Messie, ont leurs yeux touchés une seconde fois (cf. Mc 8.22-26), tandis qu’il les conduit sur un chemin qu’ils ne connaissent pas (8.31-38; És 42.16; 53.1). Sur la route, la transfiguration de Jésus, six jours plus tard, rappelle l’expérience de Moïse sur le Sinaï (Mc 9.1-7; Ex 24.12-16; 34.29-35; cf. Ml 3.22); Jésus aussi, lorsqu’il descend, se trouve face à l’incrédulité (Mc 9.19; Ex 32).
L’entrée de Jésus dans Jérusalem, accompagné par l’aveugle guéri et purifié (Bartimée signifie « fils d’impureté ») et par la foule qui le loue (Mc 10.46-11.10), accomplit la prophétie du retour du Seigneur en Sion (És 35.3-10). Mais les autorités rejettent Jésus et le projet de Dieu pour le Temple – une maison de prière pour les nations (Mc 11.17; És 56.6-8; 66.19-20). En conséquence, le Temple est maudit (Mc 11.12-14, 20-21), la vigne du Seigneur est confiée à d’autres (12.1-12; És 5.1-7; 3.11; Ps 80), et la nation est assujettie à une contre-conquête (Mc 13). Mais la mort sanglante de Jésus, au cœur de grandes ténèbres (cf. Gn 15.11-12), inaugure une nouvelle alliance (Mc 14.24; Ex 24.8) et l’avenir appartient désormais à la Galilée des païens (Mt 4.15; cf. És 9.1).
– Rikki E. Watts, « Exode (événement) » dans le Dictionnaire de Théologie Biblique, p. 592-593.
webinaire
La Bible est-elle sans erreur?
Ce replay du webinaire de Florent Varak a été enregistré le 11 juin 2019.
Orateurs
F. Varak