Vade retro, Satanas! Non, plus sérieusement cher lecteur, il paraît que les bouquins du pape François se vendent comme des petits pains. Je crois en l’homme, paru le 12 avril, s’était déjà écoulé à 40 000 exemplaires à la mi-mai. Alors comme on est des gens qui manifestent un intérêt pour l’actualité, hein, on va pas s’priver d’se faire une idée de ce qu’il y a dans ces best-sellers! Surtout si quelqu’un en a lu un pour vous.
Le livre n’est pas de la main du pape. C’est un recueil d’entretiens menés par deux journalistes et paru en Argentine en 2010 alors que Jorge Bergoglio (n’) occupait (que) la charge de cardinal de Buenos Aires.
Au cours des conversations, on apprend comment les grands-parents de Jorge sont arrivés en Argentine, comment se sont connus ses parents, quel a été son premier job, pourquoi il a rompu avec sa fiancée, mais encore qu’il a été attiré par la Compagnie de Jésus (= les jésuites) pour « son caractère de bras armé de l’Église, fondé sur l’obéissance et la discipline, et parce qu’elle avait une vocation missionnaire » (p.45); en passant par la poésie qu’il affectionne, le tableau qu’il préfère, les auteurs ou les films qu’il estime (respectivement pour satisfaire votre curiosité: celle de Hölderlin, La crucifixion blanche de Chagall, Les Fiancés de Manzoni, Dante, Dostoïevski, Maréchal, Borges, Le Festin de Babette)…
Puis, sont abordés les sujets qu’on dirait plus « sérieux »: le travail, l’éducation, le pardon, la mondialisation… On y reviendra.
Enfin, de nombreuses pages sont consacrées à l’état de la nation argentine et à l’attitude du clergé durant la dernière dictature. Je n’aborde pas cet aspect national dans la recension car je ne connais pas assez les faits sur lesquels s’exprime Bergoglio pour profiter de ses commentaires.
Moi la première, je n’ai pas pu contenir un petit rire sarcastique, « Je crois en l’homme, manquait plus que ça… ». En fait, le titre originel est El Jesuita (Le Jésuite) et il sied beaucoup mieux au contenu que le titre médiatique et commercial de l’éditeur français.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je m’attendais à pire avec un tel titre. J’ai été très surprise par la facilité avec laquelle le cardinal emploie le mot de péché. Je lis pas mal de littérature catholique et je grince souvent des dents face au tabou, à toutes les précautions dont l’emploi du mot est victime.
Pour ne citer qu’un exemple, quand on l’interroge sur des problèmes de la politique économique (p.116), Bergoglio répond spontanément: « Je dirais que, sur le fond, il s’agit d’un problème de péché. Depuis un certain nombre d’années, l’Argentine vit dans le péché parce qu’elle ne s’occupe pas de ceux qui n’ont ni pain ni travail. Nous sommes tous responsables. Je le suis en tant qu’évêque. C’est l’affaire de tous les chrétiens. » (Précision: il ne se contente pas de dire cela mais développe ensuite une solution politique construite). Ça n’a l’air de rien, mais ce n’est pas souvent que j’entends un catholique sortir le mot péché de but en blanc, sans complexe.
Ceci étant dit, rien de nouveau sous le soleil. C’est toujours la même affaire. Le cardinal manifeste sa foi en l’action humaine, associée à celle de la grâce de Dieu, pour l’obtention du salut.
Contre les pélagiens qui insistaient sur la volonté humaine pour l’obtention du salut, saint Augustin avait déjà rappelé au début du Ve siècle que la perfection de l’homme ne peut provenir que de la grâce de Dieu, reçue comme un don de sa miséricorde, et qu’elle ne saurait être obtenue « par le libre ou plutôt le serf arbitre de la volonté propre » (Contre Julien, II, 8, 23).
Cette question retrouve toute son acuité avec la Réforme, onze siècles plus tard. En 1524, Érasme publie un traité, qu’il qualifie de diatribe, précisément intitulée Du libre arbitre. L’humaniste, […] y affirme que la volonté de l’homme contribue efficacement à son salut. L’année suivante, en décembre 1525, Luther publie en réplique De servo arbitrio (Du serf arbitre), inaugurant ainsi la querelle moderne sur la grâce, qui divise encore les confessions chrétiennes aujourd’hui. (extrait de l’article « Du serf arbitre, livre de Martin Luther », encyclopédie universalis)
Alors oui, encore une fois, j’ai été agacée par cette foi en la perfectibilité de l’homme livré à lui-même. Agacée par cette frontière mouvante, peu claire, entre ce qui est offert en Dieu au croyant et ce qui permet à l’athée de quand même « s’en sortir ».
Mais j’insiste, comme la conscience morale des cultures progresse, la personne aussi, dans la mesure où elle souhaite une vie plus droite, affine sa conscience, et c’est un fait non seulement religieux mais humain. (p.95)
À la question de savoir s’il a des raisons solides d’espérer, le futur pape répond:
Pour moi, l’espérance est dans la personne humaine, dans ce qu’elle a dans le cœur. Je crois en l’homme. Je ne dis pas qu’il est bon ou mauvais, mais je crois en lui, en la dignité et la grandeur de la personne. La vie nous pose au fil du temps des questions morales, et nous mettons, ou non, nos principes en pratique, parce que nous nous trouvons parfois piégés par les circonstances et que nous succombons à nos faiblesses.(p.190)
Bref, la régénération en Christ, juste la cerise sur le gâteau?
L’homme continue d’avoir des attitudes altruistes, d’écrire de très belles choses, de faire de la poésie, (..) et de développer la recherche scientifique. Comme je crois à l’avenir du point de vue humain, j’y crois encore plus dans une perspective chrétienne, à partir de présence du Christ parmi nous. (p.192)
Et, quand on demande à Jorge ce qu’il sauverait en premier lors d’un incendie, on est un peu déçu qu’il pense plus à son bréviaire qu’aux saintes Écritures. C’est le livre liturgique qu’il ouvre en premier le matin et referme en dernier avant de s’endormir. (p.140)
Maintenant, puisque c’est sans doute un livre qui ne passera pas entre toutes les mains, je laisse une large place aux citations. Et, ne disons pas « bagatelle, c’est François qui parle! », mais lisons avec discernement!
« Ce fut la surprise, la stupeur d’une rencontre. J’ai compris qu’on m’attendait. C’est ce qu’on appelle l’expérience religieuse: la stupeur de se trouver devant quelqu’un qui vous attend. À partir de là, pour moi, Dieu a été celui qui « m’a trouvé en premier ». Je le cherche, mais lui aussi me cherche. Je désire le trouver, mais lui ‘me trouve en premier.' » (p.44)
« Quand on retire de l’autorité, on retire un espace pour l’évolution. Autorité vient de augere, qui signifie faire croître. Avoir de l’autorité, ce n’est pas faire acte de répression. La répression est une déformation de l’autorité qui, si elle est exercée avec justesse, implique de créer un espace pour que la personne puisse évoluer. (le terme) est devenu synonyme de « c’est moi qui commande ici ». C’est curieux, mais quand le père ou le maître commence à dire: « c’est moi qui commande ici » ou « ici c’est moi le maître », c’est qu’il a perdu son autorité. Alors il doit la raffermir en utilisant la parole. » (p.67)
« Pour éduquer, il faut tenir compte de deux réalités: la zone de sécurité et la zone de risque. On ne peut pas éduquer à partir de la seule zone de risque, ni en ne se basant que sur les zones de confort. (…) Je commence à marcher le jour où je suis sensible à ce qui me manque; si rien ne me manque, je ne marche pas. » (p.58)
« Dans la situation actuelle, l’Église a besoin de transformer ses structures et ses approches pastorales en les orientant vers le geste missionnaire. Nous ne pouvons pas persévérer dans le clientélisme et attendre le « client », le fidèle; il nous faut des structures qui nous permettent d’aller vers ceux qui ont besoin de nous, là où sont les gens, vers ceux qui répugnent à frayer avec des structures et des formes caduques, qui ne répondent pas à leurs expectatives ni à leur sensibilité. Il faut (…) passer d’une Église « régulatrice de la foi » à une Église qui transmet et facilite la foi. » (p.83-84)
« Ce qui me fait le plus mal, c’est de ne pas avoir été compréhensif et impartial. Dans la prière du matin, au moment des requêtes, je demande à être compréhensif et impartial, après quoi je continue à demander des tas de choses qui ont plutôt à voir avec les défections de mon parcours. Ce que je veux, c’est atteindre la miséricorde, la bonté interprétative. Mais, j’insiste, j’ai toujours été aimé par Dieu, qui m’a relevé après chaque chute tout au long du chemin; il m’a aidé à le parcourir, surtout ces étapes les plus dures, et c’est ainsi que j’ai appris. Dans certaines circonstances, au moment d’affronter un problème, je me trompe, j’agis mal et je dois revenir en arrière et m’excuser. Au fond, cela me fait du bien parce que l’expérience m’aide à comprendre les erreurs des autres. […] J’avoue que, d’une façon générale et vue mon tempérament, la première réponse qui me vient à l’esprit n’est pas la bonne. Devant une situation, la première solution à laquelle je pense n’est jamais la bonne. C’est curieux, mais c’est ainsi que ça se passe. J’ai appris à me méfier de mes premières réactions. Une fois calmé, après être passé par le creuset de la solitiude, je suis plus près de ce qu’il faut faire. Mais personne n’échappe à la solitude des décisions. Vous pouvez demander un conseil, mais c’est vous qui devez décider. On peut faire beaucoup de mal avec les décisions que l’on prend. On peut être très injuste. C’est pourquoi il est si important de s’en remettre à Dieu. » (p.53-54)
« Lorsque de jeunes parents viennent se confesser, je ne manque jamais de leur demander s’ils jouent avec leurs enfants. Ils sont parfois surpris parce qu’ils ne s’attendaient pas à une telle question, mais souvent ils reconnaissent qu’ils ne se l’étaient jamais posée. Beaucoup partent au travail alors que leurs enfants ne sont pas réveillés et reviennent alors qu’ils dorment. Et à la fin de la semaine, épuisés, ils ne s’en occupent pas comme ils devraient. Le vrai loisir suppose que la mère et le père jouent avec leurs enfants. » (p.33)
« L’Église prêche ce qu’elle considère être le meilleur pour chacun (…). Des réductions dégradentes sont assez fréquentes. Je m’explique, l’important, dans un prêche, c’est l’annonce de Jésus-Christ qui, en théologie, s’appelle le kerygma. Ce terme signifie que Jésus-Christ est Dieu, qu’il s’est fait homme pour nous sauver, qu’il a vécu dans le monde comme chacun de nous, qu’il a souffert, qu’il est mort, qu’il a été enterré et qu’il est ressuscité. Voilà ce qu’est le kerygma, l’annonce du Christ qui provoque la stupeur, qui mène à la contemplation et à la croyance. Certains croient immédiatement, comme Madeleine. D’autres croient après avoir douté. Et d’autres encore ont besoin de mettre le doigt sur la plaie, comme Thomas. (…) La foi, c’est la rencontre avec Jésus-Christ. » (p.95-96)
« Je dirais que ce serait grave si cela [=la religion à la carte en vogue de nos jours] exprimait l’absence d’une rencontre personnelle avec Dieu. Je pense qu’il faut réinventer le fait religieux en tant que mouvement visant la rencontre avec Jésus-Christ. » (p.88)
« Parfois les médias ne retiennent que l’aspect conflictuel, approche pourtant très partielle. Pour moi, la désinformation est l’attitude la plus dangereuse, car dire seulement une partie de la vérité étourdit et désoriente le récepteur. La diffamation et la calomnie sont moralement plus graves que la désinformation, mais sans doute moins néfaste sur le plan de la rencontre. » (p.125)
« Vous ne pouvez pas nier qu’au cours de ses deux mille ans, l’Église a manifesté le martyre comme chemin de sainteté (le journaliste).
– Il faut préciser une chose: parler de martyrs veut dire parler de personnes qui ont laissé un témoignage, jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. « Ma vie est un martyre » devrait signifier « ma vie est un témoignage. » Or de nos jours, cette idée est associée à la cruauté. (…) le terme, si je peux me permettre a été minimisé. Mener une vie chrétienne, c’est donner un témoignage dans la joie, comme le faisait Jésus. » (p.39-40)
« (…) la volonté de notre société (est) de camoufler la mort. (…) c’est également le cas de cimetières qui sont devenus des musées, des œuvres d’art, de beaux endroits, tout ça pour dissimuler le drame qui se trouve en arrière-plan.
Pensez vous à votre propre mort? (le journaliste) – Ça fait longtemps que c’est devenu une compagnie quotidienne. » (p.42)
« Il est très difficile de pardonner sans se référer à Dieu, car la capacité de pardonner ne survient que si l’on a soi-même déjà été pardonné. Et, généralement, cette expérience, nous la tenons de Dieu. » (p.157)
« Je crois sincèrement que le rôle essentiel de l’Église, aujourd’hui, (…) est de sortir et d’aller vers les gens, de connaître chacun par son nom. Non seulement parce que c’est sa mission, sortir pour annoncer l’Évangile, mais parce que ne pas le faire lui est dommageable. Une Église qui se contente d’administrer est repliée sur elle-même, est dans la même situation qu’une personne enfermée: elle s’atrophie au physique et au mental. Elle se détériore, comme une pièce close envahie par la moisissure et l’humilité. Une Église qui ne parle que d’elle vit la même chose qu’une personne qui ne pense qu’à elle, elle devient paranoïaque, autiste. Il est vrai qu’en descendant ds la rue on risque, comme n’importe qui, d’avoir un accident. Mais je préfère mille fois une Église accidentée plutôt qu’une Église malade. (…) le berger qui s’enferme n’est pas un véritable pasteur, mais un « peigneur » qui passe son temps à faire des frisettes au lieu d’aller chercher de nouvelles brebis. » (p. 80-81)
« Pour moi, se sentir pécheur est un des plus beaux sentiments qu’une personne puisse éprouver, à condition de l’assumer jusqu’au bout. Je m’explique: Saint Augustin, en parlant de la rédemption et en pensant au péché d’Adam et Eve, à la Passion et la résurrection de Jésus, commentait: « heureux péché qui nous valut la rédemption. » (…) quand un être prend conscience qu’il est pécheur et qu’il est sauvé par Jésus, il s’avoue cette vérité et découvre la perle cachée, le trésor enterré. Il découvre une nouvelle dimension de la vie: il existe quelqu’un qui l’aime profondément et qui a donné sa vie pour lui.
Il y a des gens qui pensent être justes, qui, d’une certaine manière, acceptent la catéchèse, mais qui n’ont pas expérimenté le salut. Que l’on vous raconte qu’un jeune garçon était en train de se noyer dans un fleuve et que quelqu’un s’est jeté à l’eau pour le sauver est une chose, que quelqu’un assiste à la scène en est une autre, mais si moi-même, je suis en péril et que l’on me sauve de la noyade, la perspective est tout autre. Certaines personnes qui ont entendu l’histoire n’ont pas vu, n’ont pas voulu voir, ou n’ont pas voulu savoir ce qui arrivait à ce garçon, ils ont suivi la tangente pour esquiver le sujet de la noyade; par conséquent, ils n’ont aucune idée de ce que c’est en vérité. Seuls, nous, les grands pécheurs, possédons cette grâce. J’ai l’habitude de dire, comme le souligne Saint Paul, que notre état de pécheur est notre unique gloire (…) le péché assumé avec justesse est le lieu d’une rencontre intime avec Jésus-Christ le Sauveur, de la redécouverte du sentiment profond qu’il a envers moi. Enfin, c’est la possibilité de vivre la stupeur d’avoir été sauvé. » (p.108-110)
« Je dois me mettre en présence de Dieu et, aidé par sa Parole, progresser dans ce qu’il voudra. Le cœur de tout cela, c’est la prière, et c’est un des points qui, selon moi, doit être abordé avec davantage de courage. » (p.50)
« L’Église ne s’oppose pas à l’éducation sexuelle. Personnellement, je pense qu’elle doit accompagner l’évolution des enfants, avec une adaptation à chaque étape. (…) le problème, c’est qu’aujourd’hui, tous ceux qui brandissent la bannière de l’éducation sexuelle la conçoivent comme séparée de la personne humaine. Alors, au lieu d’avoir une loi sur l’éducation sexuelle pour le bien-être de la personne, au nom de l’amour, on a une loi destinée au plaisir génital. Telle est notre objection. Nous ne voulons pas que la personne humaine soit dégradée. Voilà tout. » (p. 101)
« Une certitude n’est pas seulement un conseil, une conviction intellectuelle, une phrase. C’est aussi un témoignage, une cohérence entre ce que l’on pense, ce que l’on sent et ce que l’ont fait. Il est fondamental (…) d’utiliser le langage de la tête, du cœur et des mains. Il existe des personnes qui sont peut-être limitées dans leur culture, en termes de connaissances, mais qui utilisent correctement trois ou quatre certitudes, je veux dire d’une façon cohérente, testimoniale (…). » (p. 60-61)
« Le problème, c’est que l’homme sans travail se sent misérable à ces heures de solitude, parce ce qu’il « ne gagne pas sa vie. » C’est pourquoi il est très important que partout dans le monde, les gouvernements, à travers des ministères compétents, cherchent à favoriser la culture du travail, plus que la culture de la générosité. » (p.31)
« Je ne crois pas qu’on puisse, à l’heure actuelle, penser à la réunion, ou à l’unité totale, mais plutôt à une diversité réconciliée qui implique que l’on marche ensemble, en priant et travaillant ensemble, et qu’ensemble nous cherchions la rencontre dans la vérité. » (p.196)
webinaire
Islam: 7 choses que les chrétiens devraient savoir
Découvre le replay du webinaire de Karim Arezki, enregistré le 6 mars 2017.
Orateurs
K. Arezki