Le monde entier est (à peu près) d’accord sur une chose: nos systèmes éducatifs ne cassent pas des briques. Nous investissons des millions chaque année dans nos écoles et les résultats ne cessent de chuter. Faites entrer Salman Khan. Sa vision est simple et ambitieuse: “proposer une excellente éducation gratuitement à tous, partout.” Son livre, L’éducation réinventée est un livre plein d’idées et d’inspiration.
Le fondateur de la Khan Academy a écrit un manifeste pour un meilleur système éducatif. Convaincant et même émouvant par endroits, son plaidoyer destiné au grand public se lit facilement et rapidement. Une lecture que je conseille à tout enseignant (pasteur, prof, instit, etc.), mais aussi à tout chrétien qui veut apprendre à mieux apprendre (cf. plus bas quelques remarques sur son appel laïque à une Rébellution).
\n Avant d’aborder ses idées, quelques mots sur l’histoire étonnante de l’auteur. Salman Khan est devenu un peu par hasard l’un des pionniers contemporains de l’éducation. Travaillant dans la finance, il a commencé à donner des cours de maths par téléphone à sa nièce Nadia qui était en train de décrocher. Enseignant et pédagogue dans l’âme, Salman s’est découvert une passion (et des dons) pour l’éducation. Il a réussi à aider Nadia (et très rapidement d’autres de ses neveux, nièces et cousins) à dépasser son blocage avec les maths.
Khan a commencé à créer des petites vidéos d’explications pour les quelques élèves qu’il coachait sur Skype. Un jour, quelqu’un l’a encouragé à poster les vidéos sur YouTube. Très réticent, à cause de leur basse qualité (des vidéos tournées dans son appartement avec parfois son fils qui pleure dans l’arrière-plan), Salman Khan l’a quand même fait. C’est ce choix qui a tout changé.
Ses vidéos ont commencé à être vues des millions de fois. Faites une avance rapide de quelques années: Khan a quitté son boulot et après quelques mois de difficultés et de solitude durant lesquels il peine à trouver des investisseurs, il attire l’attention de plusieurs gros donateurs, dont Bill Gates et Google, et lance la Khan Academy comme on la connaît aujourd’hui: une fondation qui offre tous ses cours gratuitement au monde entier dans plus de 10 langues.
\n Comme je l’ai déjà dit, le but de Salman Khan est ambitieux: “Proposer une excellente éducation gratuitement à tous, partout." Comment compte-t-il réussir? De deux façons: par son école entièrement gratuite en ligne (KhanAcademy.org), mais surtout par une nouvelle philosophie éducative rendue possible par les nouvelles technologies et déployée dans les écoles.
Les idées de Salman Khan sont simples et nombreuses: former des classes où on mélange les âges, où les élèves plus avancés aident les élèves en difficulté, encourager chacun à avancer à son rythme et ne pas obliger tout le monde à adopter le rythme unique d’une classe entière, exiger la maîtrise d’un sujet avant de passer au suivant, montrer les interconnections entre les matières et au sein d’une matière, etc.
Mais s’il y a une idée qui ressort plus que les autres, c’est bien le rejet du format magistral où un prof livre sa science durant 60 minutes à ses élèves qui, au mieux, prennent des notes, et au pire sont passifs ou déconnectés. Je ne vais pas entrer dans les détails techniques que donne Khan (par exemple, sur les études concernant le temps moyen de concentration). L’essentiel me semble que Salman Khan préconise la responsabilisation de l’élève, qui reçoit toujours la matière de l’enseignant, mais à son rythme. En découpant la matière en petits modules de 10–15 minutes, suivis souvent d’exercices, l’élève n’a pas la pression de suivre le rythme de la classe, ni la honte d’avouer qu’il n’a pas compris. Il peut revoir la vidéo autant de fois qu’il faut jusqu’à ce qu’il comprenne la leçon et arrive à la mettre en pratique. En encourageant la maîtrise du sujet avant de passer au suivant, les élèves construisent des fondations solides pour mieux apprendre le module suivant.
Dans l’école idéale selon Salman Khan, les élèves ont 1 à 2 heures de cours théoriques (par vidéo). Les enseignants sont là pour aider à la mise en pratique de l’enseignement et pour le coaching personnalisé (rendu possible grâce aux logiciels d’exercices qui donnent aux profs des informations qu’ils n’ont jamais eues avant). Le reste du temps des élèves est consacré à des jeux éducatifs pendant lesquels ils apprennent sans s’en rendre compte, et aux arts sans pression (j’adhère a fond à ses pistes sur le problème de l’enseignement des arts aujourd’hui dans nos systèmes scolaires, mais la place manque pour en parler).
J’avoue que c’était facile de me gagner à la cause de Salman Khan. Par mon éducation et la formidable intuition de ma mère, j’ai été implicitement éduqué avec les valeurs que Khan défend explicitement. À de nombreuses reprises durant ma lecture, j’ai remercié Dieu d’avoir donné à ma mère tellement de bonnes intuitions.
S’il y a un concept qu’on devrait tous retenir, c’est le but de l’éducation, tel que Khan le voit. Je le paraphrase de mémoire, ayant déjà prêté le livre à un ami: le but de l’éducation, c’est de cultiver l’émerveillement. On n’aura jamais fini d’apprendre, l’émerveillement suscite une curiosité renouvelée et nous donne envie de continuer à apprendre toute la vie durant.
Khan est en train de tester ses idées dans des centaines d’écoles pilotes et avec des millions d’élèves en ligne. Les premiers résultats sont étonnants. Un aspect qui m’a particulièrement parlé, c’est la responsabilisation de l’élève constaté dans les projets pilotes. Les méthodes et la philosophie pédagogique de Khan ont pour effet de redonner à l’élève la responsabilité de son éducation. Khan semble aussi appeler à une Rébellution, puisqu’il dit qu’on sous-estime les capacités des ados, notamment dans leur capacité de coacher les plus jeunes.
Les motivations de Khan illustrent bien le paradoxe d’un homme créé par Dieu, mais aliéné de Dieu. Nous continuons à avoir des notions de bien et de mal, mais nous avons perdu les fondements pour toute moralité. Les fondements de Khan sont évolutionnistes-humanistes. Il est motivé pour le bien de la race humaine, pour notre survie. Il dit même que ce serait immoral de se soucier uniquement de l’éducation de ses enfants et pas des enfants (et des adultes) du monde entier. En bref, il n’est pas du tout convaincant sur pourquoi son projet est une cause noble, mais bibliquement, c’est vrai, sa cause est noble. J’ai noté un autre passage où il dit que la nature sait ce qu’elle fait, comme si la nature était une personne. Mais ces quelques passages n’ôtent en rien l’intérêt du livre de Khan.
Il est aussi important de noter que Salman Khan nuance ses positions dans un chapitre vers la deuxième moitié du livre. Son début de livre pourrait donner l’impression d’être trop noir et blanc, mais il n’est pas dupe sur la complexité du sujet de l’éducation.
Un livre original qui se lit facilement, je conseille sans hésitation L’éducation réinventée. Je suis sûr que ça générera des bonnes discussions et beaucoup d’idées, que vous soyez élève, institut, prof, pasteur ou théologien.
PS. Je ne suis pas naïf. Je ne m’attends pas à ce que l’éducation nationale de nos pays change prochainement. Mais la révolution se passe ailleurs en attendant.
PPS. J’ai lu le livre en anglais: The One World Schoolhouse.