L’idolâtrie du monde

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Je me demande quelle pertinence peuvent avoir les Dix Commandements de nos jours. Si on se penche sur le premier des commandements, en quoi celui-ci concerne-t-il le monde?

Tel qu’il apparaît dans la Bible, le terme "monde" revêt deux significations différentes. Tantôt, il désigne l’humanité au sens large et universel, tantôt, il pointe vers une communauté, ou plutôt une contre-communauté qui s’oppose à l’Église.

Lorsque j’examine comment les Dix Commandements s’appliquent au "monde", j’entends ce terme comme un ensemble qui inclut toutes les cultures, y compris les chrétiens. Mon propos s’attardera toutefois plus spécifiquement sur les cultures occidentales.

Mais revenons dès à présent au premier des Dix Commandements:

Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face.

Exode 20.3

Reconnaissons qu’il est difficile d’exiger que le monde adhère à ce premier commandement (et aux neuf autres par conséquence logique)! À moins de revenir à l’âge d’or du catholicisme (où nous chercherions à réveiller les hérétiques qui font la grasse matinée le dimanche), il nous faut accueillir le pluralisme.

Cependant –et c’est là un grand sujet de débat dans le monde– quelles sont les limites du pluralisme?

Le plus grand danger de nos jours ne vient pas des fausses religions, mais de la difficulté à reconnaitre ce qui est religieux ou non. Or, sans le vouloir, le monde rend un culte à deux autres dieux au-dessus du vrai Dieu, qui sont le sécularisme et la science. La plus grande menace pour notre sphère morale et relationnelle n’est pas le Musulman fervent qui adore le dieu Allah; c’est bien plutôt l’homme moderne qui adhère au "sécularisme", parce qu’il pense justement que c’est le meilleur moyen de rester neutre sur le plan religieux!

Le sécularisme

Opérons une distinction: le pluralisme, ce n’est pas le sécularisme. Le pluralisme exige la liberté et le respect de toutes les religions. Le sécularisme quant à lui est une religion.

La "religion séculière" ne serait pas si terrible si ses adeptes n’avaient pas le sentiment d’avoir totalement échappé au dogme religieux. Ils croient qu’ils sont parvenus au plus haut sommet de l’humanité, pensant rester neutre sur le plan religieux. De ce "sommet", ils se désignent en observateurs ou en juges des doctrines des différentes religions. En réalité, le sécularisme possède, lui aussi, son propre ensemble de valeurs morales, qu’il affirme ou réfute. Il a un code, une confession, même si celui-ci est perpétuellement en train d’évoluer, et que cela reste souvent implicite.

Prenons un exemple hypothétique. Lors d’une réunion de conseil d’administration, Didier propose, en raison de ses convictions religieuses, que l'entreprise instaure un code vestimentaire obligeant les femmes à se couvrir les cheveux et à porter des robes longues. Le conseil informe Didier que l'entreprise est séculière. En conséquence, elle ne fait respecter aucune attente religieuse. Quelques semaines plus tard, un représentant des ressources humaines informe Didier que l'entreprise ne tolérera pas les blagues vulgaires ou offensantes.

Il ne s’agit pas ici de savoir quelles décisions sont bonnes ou mauvaises. La plupart d'entre nous approuveraient ces paramètres politiques. Le point est que, subtilement et sans le reconnaître, la religion s’est invitée dans ces décisions. Des jugement moraux ont été imposés. L'entreprise ne souhaitait pas limiter la liberté vestimentaire des employés pour se conformer à une préférence morale particulière, mais elle était prête à limiter la liberté d'expression des employés pour se conformer à une autre préférence morale. Les responsables de l’entreprise n’ont pas fait mieux qu’exprimer une pensée religieuse au travers de recommandations morales. C’est bien là l’idolâtrie de notre siècle: supposer que le sécularisme est neutre.

Nous devrions retrouver un certain consensus à ce propos: nous fonctionnons tous sur la base de convictions morales (et donc religieuses). Personne ne garde ses convictions morales sous le manteau quand on entre dans la sphère publique. Une telle personne n’aurait sinon plus rien à dire du tout dans la société. Cela ne veut pas dire que le compromis est impossible; pas plus que nous entrons forcément dans un dialogue de sourds avec les autres. En réalité, c’est quand nous communiquons clairement nos présupposés que nous pouvons viser une compréhension mutuelle.

La pensée scientifique

Nous devons également examiner l’aspect religieux de la science. Aucun être sensé n’oserait s’attaquer à la science: la science, ce sont des faits! Mais quand quelqu’un prétend que son avis est basé sur la science, que veut-il vraiment dire? Se réfère-t-il au pourcentage de probabilités qu’un phénomène se déroule comme prévu, avec des ensembles de données précis et contrôlés? Souvent, le mot science impose une autorité empirique et objective, alors qu’en fait, il faut se souvenir que le monde a été aliéné à une autre force! Il n’est pas rare que l’on avance certains dogmes sous couvert de la "science".

Par exemple, quelqu’un pourrait se référer au monde animal et dire: “En observant le modèle d’accouplement prédominant dans la nature, nous savons aujourd’hui que les humains ne sont pas faits pour les relations monogames (avec un seul partenaire); cette façon de faire a seulement été une construction sociétale nécessaire pour assurer la préservation et le développement de la race humaine, grâce à la stabilité et la protection que peut offrir une structure familiale.”

Ce postulat repose sur un grand nombre de croyances scientifiques, philosophiques et théologiques, qui sont seulement… des croyances. Mais l’affirmation se pare sournoisement d’autorité scientifique. Elle parait certaine et irréfutable, car des phénomènes ont été observés, des tests ont été réalisés: on doit donc arriver à ces conclusions-là.

Avouons-le: dès que l’on essaie de répondre aux "pourquoi" des choses, nous ne sommes plus sur le terrain de la science observable, mais nous transformons la science en religion.

Tout comme pour le sécularisme, il n’y a rien de mal à avancer des affirmations morales, ou à essayer de répondre aux "pourquoi", mais il faut juste être honnête sur ce qu’on est en train de faire.

De même, nous chrétiens n’avons pas à laisser notre foi à la maison, sinon ce serait une sorte de compromis avec le dieu du sécularisme. Au contraire, une partie de notre mission consiste à aider notre prochain à reconnaitre l’aspect religieux de leurs affirmations, pour une meilleure compréhension mutuelle.

Note de la rédaction: Dans une première version de cet article, nous avions traduit le terme anglais "secularism" par "laïcité". Après révision, nous avons constaté cette erreur et l’avons corrigée. Le terme "sécularisme" exprime plus fidèlement l’idée développée dans cet article, alors que la laïcité concerne principalement la séparation entre les institutions religieuses et l'État. Le sécularisme va plus loin en prônant une société dans laquelle la religion ne doit avoir aucune influence sur les décisions publiques.

Article publié pour la première fois le 28 décembre 2022, mis à jour le 24 septembre 2024.

Justin Poythress

Justin Poythress (MDiv, WTS) est pasteur adjoint de la Westminster Presbyterian Church à Fort Myers, en Floride

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