Mickael J. Wilkins, l’un des spécialistes du Nouveau Testament, identifie trois étapes au discipulat de Jésus présent dans chacun des évangiles: appeler, former et envoyer¹. Dans cet article, je vous propose de faire une synthèse de ces trois points.
Dès que Jésus fut baptisé, des gens commencèrent à le suivre de leur propre initiative. Parmi eux, des disciples de Jean-Baptiste. Leurs motivations étaient diverses: attente messianique, curiosité, désir de voir des miracles (Jn 1.35-43). Voyager avec Jésus afin de l’écouter et de le voir accomplir des miracles fait-il pour autant de ces personnes ses disciples? Le récit de l’appel adressé par Jésus à la foule en Luc, chapitre quatorze, nous éclaire sur ce point. Luc relate que des foules faisaient route avec Jésus (et les disciples déjà engagés à ses côtés) alors qu’il se rendait à Jérusalem (Luc. 14.25-35). Jésus se retourne et leur adresse cet appel:
Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas ne peut pas être mon disciple.
Luc 14.26-27
Christ est à l’initiative, et contrairement à la tradition rabbinique, ce ne sont pas les disciples qui vont à lui, mais c’est lui qui va vers eux et les appelle2. Ne peut donc réellement être disciple de Jésus que celui qui a répondu à son appel. En effet, Jésus appelle lui-même des personnes en particulier à devenir ses disciples (Mt 4.18-22; 19.21-22; Mc 2.14; Lc 9.57-62) ainsi que des groupes de personnes, comme nous venons de l’observer.
Ainsi, la réponse de la personne est un point de pivot. Elle déterminera si elle devient son disciple en répondant à l’invitation et aux conditions imposées par Jésus ou si elle s’éloignera de lui3.
En outre, Jésus voulait que ceux qui veulent devenir ses disciples mesurent le prix à payer pour l’être. Ainsi, il n’a pas caché les difficultés inhérentes à la vie à sa suite (Lc 14.28-32). Suivre Jésus peut impliquer de renoncer à des choses légitimes (Lc 9.57-62; Lc 14.33).
Personne ne peut donc être son disciple, à moins qu’il ne place Jésus au-dessus de tout, même de sa propre vie (Lc 9.23-27). Peu importe le coût et les sacrifices et les épreuves. Suivre Jésus implique une consécration et un dévouement total. Pour entrer à son école, la personne doit accepter le renoncement décisif à ses droits sur sa vie, son autonomie et désirer une identification continuelle et quotidienne à lui, y compris dans la souffrance et la mort.
Répondre à l’appel de Jésus, c’est donc lui faire allégeance, en laissant derrière soi (de manière littérale ou figurée) ce que l’on était, afin de devenir ce que Jésus nous appelle à être: son disciple4.
Cet appel individuel aboutit à l’intégration au sein de la communauté de Jésus. En effet, suivre Jésus, c’est rejoindre le groupe des disciples que Jésus rassemble autour de lui. Certes, Jean-Baptiste, les esséniens et les qumrâniens créaient également des communautés autour d’un projet religieux ou politique. Mais Jésus crée une communauté dont il est le centre et, comme le souligne David Bosh, “devient l’objet de son propre enseignement pendant son ministère terrestre: c’est lui qui incarne le règne de Dieu, l’Évangile5”.
Henri Blocher l’observe par ailleurs:
Jésus constitue autour de sa personne une sorte de communauté. Ce n’est pas la seule présence de disciples qui est ici significative —il y en avait autour de Jean-Baptiste— mais la manière dont Jésus les appelle, les organise, les situe par rapport à lui-même et se situe lui-même par rapport à eux6.
Cette communauté, qui ne rassemble que des juifs durant le ministère terrestre de Jésus, muera après la Pentecôte, pour rassembler en un peuple nouveau, des disciples de toutes les nations (Mt 28.19; Ép 2.11-22).
Wilkins affirme:
La vie du disciple commence par la relation avec le maître et se déploie dans tous les domaines de la vie. […] Suivre Jésus signifiait être avec lui et le servir dans l’accomplissement de sa mission7.
Puis, il propose quatre composantes à la suivance de Jésus dans les Évangiles. Premièrement, l’attachement continuel et total à Jésus. Deuxièmement, Jésus ne cache pas à ses disciples qu’ils devront payer le prix dans la durée. Troisièmement, la formation de disciples implique de devenir comme Jésus:
Devenir comme Jésus comprend le fait d’être envoyé proclamer le même message que lui, accomplir le même ministère et manifester la même compassion (Mt 10.5-42), pratiquer les mêmes traditions religieuses et sociales (Mt 12.1-8; Mc 2.18-22), appartenir à la même famille d’obéissance au Père (Mt 12.46-49), effectuer le même service (Mt 20.26-28; Mc 10.42-45; Jn 13.12-17) et avoir part aux mêmes souffrances (Mt 10.16-25; Mc 10.38-39)8.
Enfin, la formation des disciples produit leur croissance. Mais les Évangiles brossent un portrait sans concession de ces derniers. Ils ne sont pas présentés comme parfaits, mais en cheminement. Ils progressent, mais de manière oscillatoire. Wilkins décrit comment Jésus les aide à grandir:
Jésus les enseigne (Mc 4.10-12), les reprend (Mt 16.5-12), les met en garde (Mt 17.19-20), les soutient (Lc 22.31-34), les réconforte (Jn 20.19-22) et les relève (In 21.15-19). À leur tour, les disciples deviendront des exemples de ce que Jésus désire faire pour l’Église (Mt 28.19-20). Tous ceux qui croyaient vraiment en Jésus étaient appelés "disciples" du temps de Jésus; ils sont des exemples de la façon dont les chrétiens d’aujourd’hui peuvent et doivent grandir dans la foi9…
Colin Marshall et Tony Payne proposent de synthétiser le programme de formation de Jésus en trois domaines, "trois C". Caractère, Conviction et Compétences10:
Mûrir en caractère et développer une personnalité qui cherche à plaire à Dieu et qui est en accord avec la saine doctrine. Mûrir en conviction dans leur connaissance de Dieu et dans leur compréhension de la Bible. Mûrir en compétence dans la proclamation de la Parole de Dieu par divers moyens, mais toujours dans la dépendance de Dieu et la prière11.
Dans chacun des Évangiles, Jésus envoie ses disciples dans le monde afin qu’ils fassent à leur tour des disciples qui lui appartiennent12. Jésus le reformule au début du livre des Actes des Apôtres (Ac 1.7-8).
Chaque expression de cet envoi contient ses propres accents au sujet des dernières directives données par Christ à ses disciples. Celui de Matthieu 28.18-20 est le plus développé et appelé “le mandat missionnaire”. Nous l’étudions à la fin de notre survol de la formation des disciples dans l’Évangile selon Matthieu. Dans la deuxième partie du diptyque lucanien, le terme disciple est encore utilisé pour ceux qui se convertissent après la Pentecôte (Ac 4.32; 5.14; 6.1)13. En utilisant ce terme pour désigner ceux qui se convertissent à Christ grâce au témoignage de ses premiers disciples, Luc témoigne d’une continuité de compréhension de la vie chrétienne entre ceux qui ont suivi Jésus pendant son ministère terrestre et ceux de l’Église postérieure à la résurrection14.
1. Ibid., p. 291.
2. John H. OAK, Tous disciples, Excelsis, Charols, 2006, p. 99.
3. Michael J. Wilkins, Following the Master, p. 108.
4. Michael J. Wilkins, “Disciple et discipulat” dans Dictionnaire de Jésus et des Évangiles, p. 293.
5. David J. Bosch, Dynamique de la mission chrétienne, p. 91.
6. Henri Blocher, La doctrine de l’Église et des sacrements, Vaux-sur-Seine, Édifac, 2022, p. 28.
7. Michael J. WILKINS, op. cit., p.293.
8. Ibid., p. 293.
9. Ibid., p. 293.
10. Robert de Vries formule plus classiquement la transmission de la foi: “La foi chrétienne se manifeste de trois manières que l’on peut désigner par les termes: orthodoxie, orthopathie et orthopraxie.” (Robert De Vries, Transmettre la foi, Charols, Éd. Excelsis, 2002, p. 17).
11. Colin Marshall, Tony Payne, L’essentiel dans l’Église, p. 83.
12. Mt 28.19; Jn 20.21; Lc 24.46-49. Marc en contient également un, mais dans la fin longue qui est absente de nombreux manuscrits (Mc 16.15-16).
13. D’autres termes viendront enrichir le vocabulaire, par exemple: les "chrétiens" (Ac 11.26); ceux qui sont de la "voie" (Ac 9.2); les "saints" (Ac 9.13).
14. Michael J. Wilkins, Following the Master, p.249.