“Que ton futur mari ose seulement porter la main sur toi et je le tue!” De nombreux pères se limiteront à ce genre de commentaires pour aborder la question des violences domestiques. Cela semble efficace parce que c’est direct, protecteur et macho. Et puis, cela fait forte impression, dit comme ça. Pourtant, c’est insuffisant.
C’est le genre de bravade qui s’affiche, mais qui ne sert pas à grand chose. Cela sous-entend que l’abus est facilement identifiable et que la violence est la seule réponse valable. Pire encore, c’est un fantasme. C’est réduire l’amour à un acte romanesque, comme se prendre une balle dans une fusillade en voulant protéger un être cher. C’est ignorer les innombrables moyens concrets de « donner sa vie » (Jn 15.12-13) pour des personnes que nous aimons. Éduquer sa fille à identifier les signes avant-coureurs d’un agresseur potentiel n’a rien à voir avec un acte d’héroïsme.
Quand nous parlerons d’abus avec notre fille –et en fait, avec toutes les femmes dont nous sommes appelés à prendre soin dans nos Églises– ce ne sera pas de façon ostentatoire, mais avec discernement. Pourquoi du discernement? Parce que ce dont elles ont besoin, ce ne sont pas d’hommes qui s’emportent contre d’autres hommes, mais plutôt d’hommes qui les éclairent et les aident vraiment à reconnaître un homme bien d’un homme mauvais.
Je sais, techniquement, tous les hommes sont mauvais. Je connais la doctrine du péché. Mais, quand je parle de “mauvais”, je ne parle pas du péché universel. Je parle d’un péché spécifique: la propension à instaurer une relation toxique. Un homme manipulateur ou pervers narcissique, ce n’est pas le genre d’homme que l’on souhaite pour sa fille.
Un abus est aisément identifiable quand il se réduit à ce que tout le monde connaît: un coup de poing, une chute dans les escaliers, une séquestration dans un placard. Mais l’abus est beaucoup plus difficile à repérer quand il est associé à un leadership affirmé, une affection exclusive, une franche autorité.
Il est illusoire de vouloir anticiper un abus futur, mais connaître les ressorts psychologiques de l’abus peut vous aider à percevoir si un homme a des tendances dont il faut s’inquiéter. Un manipulateur voit la vie comme lui étant due. Il voit autrui, soit comme un obstacle, soit comme un outil pour satisfaire ses désirs, supposés légitimes. Il devient dangereux quand, pour obtenir ce qu’il veut, il se sert de son ascendant et de sa volonté pour affaiblir la volonté et le potentiel d’autrui.
Faire preuve de discernement, c’est distinguer dans sa vie ce qui plaît ou ce qui déplaît au Seigneur, selon ce que les Écritures nous apprennent de lui. Ce n’est pas naturel ni évident, cela demande un effort:
Sachez discerner ce qui est agréé du Seigneur.
Ép 5.10
Les droits fictifs sont plus durs à identifier que les torts manifestes. Il est bien plus facile de distinguer le sumac vénéneux1 de l’œillet d’Inde que de la vigne vierge.
Nos filles doivent connaître les valeurs prônées dans les Écritures. Elles les assimileront plus facilement si leur père et les autres hommes de l’Église manifestent ces valeurs dans leur vie. Paul insiste souvent là-dessus en parlant de la nécessité d’imiter ceux qui sont comme Dieu (1Co 11.1; 1Th 1.6; 2Th. 3.9). Au final, nos filles décideront elles-mêmes qui elles épouseront, à juste titre d’ailleurs. Ce que nous voulons en tant que pères, c’est qu’elles soient équipées pour prendre la meilleure décision possible. Pour moi, c’est ça le discernement.
Voici cinq critères à donner à nos filles pour les aider à reconnaître les hommes dignes de leur attention, surtout en vue du mariage. Et avec l’aide de Dieu, nous pouvons adopter ces mêmes qualités dans notre propre conduite.
Le manque de confiance en soi peut ressembler à de l’humilité. Une jeune femme peut être attendrie par un homme qui a constamment besoin d’être rassuré sur sa place dans le monde ou sur ce que les autres pensent de lui. Sa vulnérabilité est séduisante. S’il cherche à être rassuré par cette jeune femme, elle se sentira valorisée. Elle peut considérer cela comme signe d’une relation privilégiée: ce pauvre gars a si peu d’estime de lui qu’il a toujours besoin de quelqu’un pour le rassurer, et il se tourne vers moi pour combler ce besoin.
Mais il ne s’agit pas là de l’humilité que décrit les Écritures. Avoir constamment besoin d’être rassuré est plutôt le signe d’une incapacité à savoir sur quoi fonder sa propre confiance. En cela Paul est un modèle: sa confiance ne vient pas de l’affirmation de sa propre valeur au regard des autres, mais plutôt de l’humble reconnaissance qu’il n’est qu’un serviteur et un intendant. Seule compte la bénédiction de Dieu (1Co 4.1-5).
Nous luttons tous, plus ou moins, contre notre manque de confiance en nous-mêmes. Mais un profond sentiment de mal-être est un signal d’alarme. Si un homme ne reçoit pas la reconnaissance qu’il recherche, il peut tenter de la puiser chez les autres, en particulier chez ceux qu’il peut dominer. Les hommes violents sont presque toujours profondément insatisfaits. L’humilité, en revanche, consiste à ne pas imposer ses désirs personnels aux autres (Jc 4.1-10).
La méfiance peut passer pour de la fermeté parce qu’elle permet de s’affirmer face à de l’opposition. Un homme sur la défensive semblera ferme et déterminé. Dans un monde rempli d’hommes plutôt faibles et passifs, ce trait de caractère peut attirer notre fille. Elle peut très bien le confondre avec une forme de courage. Mais ce n’est pas ainsi que Paul parle de la force:
Nous qui sommes forts, nous avons le devoir de supporter les faiblesses de ceux qui le ne sont pas et de ne pas rechercher ce qui nous plaît. Que chacun de nous cherche à plaire à son prochain, en vue de le faire grandir dans la foi. En effet, le Christ n’a pas recherché ce qui lui plaisait, mais, comme il est écrit, “les injures de ceux qui t’insultent sont retombées sur [lui]”.
Rm 15.1-3
La vraie force consiste à fournir un effort personnel- nous pourrions dire une énergie– pour accomplir le bien en faveur d’autrui et non pour soi-même. En ce sens, Jésus, à un moment où il paraissait le plus vulnérable, a manifesté la puissance la plus extrême jamais déployée par un homme.
La vraie force d’un homme se remarque s’il accepte volontiers de porter les fardeaux des autres. Être sur la défensive montre à quel point un homme est mesquin. Il mobilise toutes ses capacités uniquement dans son propre intérêt.
S’excuser est chose facile- du moins comparé au repentir. S’excuser, c’est reconnaître ses torts et en donner les raisons: “Je n’aurais pas dû être si dur; j’ai eu une longue journée.” On reconnaît le mal fait, mais juste pour expliquer, pas pour se repentir. De plus, on peut inclure un millier de mécanismes différents dans une excuse: blâmer ou culpabiliser autrui, minimiser les faits. Enfin, les excuses peuvent ressembler à de la repentance, mais l’abuseur s’excuse surtout pour empêcher une femme de s’éloigner ou de s‘enfuir.
Le repentir est bien différent. C’est reconnaître le mal que l’on a commis et en assumer la responsabilité: “Je n’aurais pas dû être si dur. J’ai péché contre toi et je t’ai blessée.” La repentance ne s’arrête pas seulement à des paroles. L’homme doit se détourner du péché et se sentir redevable. C’est le genre de redevabilité qu’un homme ne tourne pas à son avantage, mais à laquelle il doit se soumettre- le genre de responsabilité qui fait mal (Hé 12.11). L’homme de bien sait que le malaise ressenti à devoir rendre des comptes est une grâce de Dieu. Elle l’empêche de se complaire dans son égoïsme et son orgueil.
Les hommes ne sont pas toujours capables d’être des dirigeants, soit par manque d’ambition, soit par excès. Dans une culture qui cajole souvent les hommes sans ambition, notre fille peut être, au contraire, attirée par un homme ambitieux. Elle peut y voir un homme exigeant envers lui-même et envers les autres; elle pense avoir trouvé un homme exceptionnel, avec assez de cran pour vraiment diriger.
Mais diriger n’est pas dominer. Paul, qui détenait l’autorité inégalée d’un apôtre et d’un témoin oculaire de Jésus, a été critiqué pour ne pas avoir été plus directif dans sa manière de conduire la communauté. Au lieu de cela, il a exprimé « la douceur et la bienveillance du Christ » en étant « humble en face » des Corinthiens (2Co 10.1). Il a refusé de se mettre en avant comme d’autres l’ont fait, pour qu’on lui reste fidèle plutôt qu’à ses rivaux (2Co 10.12). Il a préféré que son influence se limite à fonder la foi des croyants sur l’Évangile afin qu’ils puissent, ensuite, transmettre cet Évangile à d’autres (2Co 10.15).
Avez-vous compris? Paul voulait avoir peu d’influence sur son troupeau. Son seul désir était que les frères et sœurs lui obéissent dans la mesure où ils feraient ce qui plaît au Seigneur. Un vrai chef agit de la sorte: il ne force pas les gens à se conformer à ses propres désirs, mais il les influence pour que la volonté de Dieu s’accomplisse dans leur vie. Cela implique une profonde confiance en Dieu et la ferme volonté d’œuvrer pour le bien des autres sans en attendre un quelconque retour.
La responsabilité d’un mari est analogue- elle ne doit jamais être imposée. Une femme doit suivre, non par contrainte, mais en toute liberté. Le commandement de Paul, adressée aux femmes, de se soumettre à leurs maris (Ép 5.22-24), est semblable à tous les commandements adressés à tous les chrétiens dans la lettre aux Éphésiens. L’obéissance d’un croyant découle toujours de la confiance en l’Évangile de grâce de Dieu. Ensuite, il pourra exprimer son amour librement en retour.
C’est peut-être le point le plus important: un homme peut être en désaccord avec vous, même en grand désaccord, mais il ne doit jamais vous rabaisser. Un homme obstiné n’est pas nécessairement violent. Un homme peut avoir une opinion très tranchée, camper sur ses positions ou être intimement convaincu que son point de vue est le meilleur. Cela peut même parfois être source d’orgueil et d’arrogance. Mais, être en désaccord n’est pas être abusif en soi.
La frontière est franchie si un homme en vient à dénigrer ses proches pour les pousser à se soumettre à lui. Lorsqu’un conflit passe de l’objet du conflit à une attaque directe de la personne impliquée, un point de non retour est atteint. Insulter et menacer est plus qu’une simple offense personnelle; c’est une tentative d’éliminer l’opposition (Jc 3.1-4.10). Si un homme qui sort avec ma fille se fâche à propos d’un différend entre eux, je peux l’aider à trouver une solution. S’il commence à l’insulter et à la rabaisser, j’utiliserai d’autres moyens d’approche. Si déjà, par ses paroles, il se permet d’imposer son point de vue, ce n’est pas un homme en qui se fier et avec qui elle devrait partager sa vie.
Les hommes de bien ne contrôlent pas les femmes. Au contraire, ils leur donnent les clés pour repérer le genre d’homme qui pourrait les contrôler. Voici d’où vient la vraie virilité: c’est l’autorité donnée par Dieu pour le bien de ceux qui sont sous notre responsabilité. C’est la virilité d’un père s’opposant à la version lâche et manipulatrice d’une supposée virilité et qui pourra équiper sa fille de courage et de perspicacité.
1Ndlr: Plante nocive originaire d’Amérique du Nord, plus communément appelée « herbe à puce ».
Merci à Christine Davée pour la traduction de cet article.
webinaire
Comment survivre à la dépression spirituelle?
Découvre ce replay du webinaire de Pascal Denault enregistré le 18 mai 2019.
Orateurs
P. Denault