Le chrétien tend à considérer l’histoire humaine de façon binaire: le monde est livré à lui-même et Dieu regarde de loin, ou Dieu conduit cette histoire et les hommes sont des marionnettes. La Bible est beaucoup plus fine et allie sans ambiguïté la pleine souveraineté de Dieu à la pleine responsabilité humaine. Comment articuler cette tension? Ésaïe éclaire merveilleusement ce dilemme.
C’était au tout début de la pandémie. J’ai été touché par l’invitation de plusieurs frères qui organisaient une conférence en ligne sur le thème « Un Dieu bon dans un monde en crise ». Ils m’ont chargé de traiter du sujet de la souveraineté de Dieu sur le monde, en m’appuyant sur Ésaïe 46.9-16.
J’ai été porté par ce que j’ai découvert dans ce texte. C’était tellement encourageant. Bon, puisque le message enregistré durait 55 minutes, j’ai dû ôter pas mal de petites morceaux pour parvenir aux 45 min exigées. Désolé pour l’aspect un peu saccadé pour certaines parties.
En tout cas, voici un court résumé du message, que vous pourrez visionner ici:
C’est une pensée troublante quand on considère l’histoire tourmentée des hommes… Dieu s’est-il laissé dépasser par les événements ou les a-t-il contrôlés?
Le 14 mars 2011 Jean-Pierre Gauffre, alors journaliste à France Info s’est fendu d’une chronique intitulée « Lettre à Dieu »:
Monsieur Dieu, je me permets de vous écrire ce matin pour vous faire part de mon étonnement devant la multiplication des catastrophes, crises, guerres et autres plaisanteries du même genre qui fleurissent aux quatre coins de notre planète, notamment depuis cette année 2011… J’attire tout particulièrement votre attention sur le fait que ces événements semblent entrer en contradiction avec les déclarations et constats optimistes que vous faisiez vous-même sur l’état de notre planète, tels que je les ai relevés dans votre récit autobiographique intitulé « La Bible », où, dès la page 2 du premier chapitre, qui a pour titre « La Genèse » et qui relate la manière habilement stupéfiante dont vous vous y êtes pris pour créer la Terre à partir du néant, on peut lire cette phrase définitive, pleine d’autosatisfaction narcissique… Ouvrez les guillemets… Dieu vit tout ce qu’il avait fait: cela était très bon… Fermez les guillemets…
Curieux. Je n’ai jamais lu de chronique d’émerveillement sur la beauté de la création.
Dieu n’est jamais sur le podium pour les belles choses de la vie, et il est toujours sur le banc des accusés pour les pires choses de la vie. Une dysmétrie qui en dit long sur le cœur naturel de l’homme.
9 Souvenez-vous des premiers événements; car je suis Dieu, et il n’y en a point d’autre, je suis Dieu, et rien n’est semblable à moi. 10 J’annonce dès le commencement (ce qui vient par) la suite et longtemps d’avance ce qui n’est pas encore accompli. Je dis: Mon projet tiendra bon, et j’exécuterai tout ce que je désire. 11 J’appelle de l’orient un oiseau de proie, d’une terre lointaine l’homme qui accomplira mes projets, ce que j’ai dit, je le fais arriver; ce que j’ai conçu, je l’exécute. 12 Écoutez-moi, gens endurcis de cœur, si éloignés de la justice! 13 Je fais approcher ma justice: elle n’est pas loin, et mon salut: il ne tardera pas. Je mettrai le salut en Sion, pour Israël, ma parure.
Dieu opère tout selon la décision de sa volonté (cf. Ép 1.11)
9 Souvenez-vous des premiers événements; car je suis Dieu, et il n’y en a point d’autre, je suis Dieu, et rien n’est semblable à moi.
Pour comprendre correctement le règne de Dieu, il est fondamental de réaliser que Dieu exerce son règne, son contrôle, selon sa personnalité. Les théologies préfèrent le terme d’attributs, c’est-à-dire les qualités qui décrivent la personne de Dieu. L’œuvre de Dieu; le contrôle de Dieu; le règne de Dieu ne se réalise pas sur un coup de tête. Sur un coup de colère. Ni sur un coup de foudre. Chacune de ses décisions, chacun de ses actes s’exprime selon l’ensemble de ses attributs, dont voici quelques-uns:
Ésaïe enchaîne avec plusieurs qualités qui sont propres à Dieu:
Paul Wells: « L’incompréhensibilité de Dieu nous enseigne que nous ne pouvons pas connaître Dieu de façon compréhensive. L’infinité de Dieu résiste à un encadrement dans notre compréhension. »
10J’annonce dès le commencement (ce qui vient par) la suite et longtemps d’avance ce qui n’est pas encore accompli. Je dis: Mon projet tiendra bon, et j’exécuterai tout ce que je désire.
Ce qui est dit ici est au centre de notre thématique.
C’est en flagrante opposition à une théologie erronée, dit du « théisme ouvert » (défendu par Rice, Pinnock, Boyd, Sanders, et bien d’autres) ou Dieu aurait choisi de limiter sa connaissance… au passé et au présent!
Bruce Ware observe:
Il n’y a pas moins de 9 sections distinctes en Ésaïe 40 à 48, répétées de différentes manières, mais clairement pour relever un même objectif: le Dieu véritable et vivant, contrairement aux faux dieux imposteurs, se reconnaît comme le Dieu véritable parce que lui seul peut annoncer avec exactitude ce que le futur sera.
Their God Is Too Small , p. 36
Voici les sections en question (Es 41.21-29, 42.8-9, 43.8-13, 44.6-8, 44.24-28, 45.20-23, 46.8-11, 48.3-8 ; 48.4-16) avec cette annonce forte:
Dieu règne et contrôle…
Oui, Dieu contrôle tout. En reprenant les termes de Ép 1.11, il est celui qui « opère tout selon la décision de sa volonté ». Dieu est capable d’accomplir ce qu’il désire et n’est pas limité dans son pouvoir.
C’est ainsi que les théologies affirment:
Oui, assurément, Dieu « exécutera tout ce qu’il désire » (cf. 46.10)
11 J’appelle de l’orient un oiseau de proie, d’une terre lointaine l’homme qui accomplira mes projets, ce que j’ai dit, je le fais arriver; ce que j’ai conçu, je l’exécute.
La manière dont Dieu règne est complexe et compliquée! Ici Ésaïe nous dit que Dieu est la cause première, mais non la cause intermédiaire. Comment Dieu a-t-il poussé Neboukadnetsar à juger Israël, et comment a-t-il conduit Cyrus à faire l’inverse? Il y a un texte fascinant en Jérémie qui nous donne une petite idée de cela, Jérémie 51.20–24
20 Tu as été pour moi un marteau, des armes de guerre. J’ai martelé par toi des nations, j’ai détruit par toi des royaumes. 21 Par toi j’ai martelé le cheval et son cavalier; par toi j’ai martelé le char et celui qui le monte. 22 Par toi j’ai martelé l’homme et la femme; par toi j’ai martelé le vieillard et l’enfant; par toi j’ai martelé le jeune homme et la jeune fille. 23 Par toi j’ai martelé le berger et son troupeau; par toi j’ai martelé le laboureur et son attelage; par toi j’ai martelé les gouverneurs et les magistrats.
Et pourtant… verset 24:
24 Je rendrai à Babylone et à tous les habitants de la Chaldée tout le mal qu’il ont fait à Sion sous vos yeux – Oracle de l’Éternel.
On est devant une première évidence. L’analogie du parterre de Playmobil ou du joueur d’échecs tombe à l’eau. D’une part parce que Dieu est incomparable, on vient de le voir, mais aussi parce que si Dieu est cause ultime de l’action de Neboukadnetsar, ce dernier est pleinement responsable de ses actes. En sorte que le contrôle de Dieu est compatible avec la responsabilité de Neboukadnetsar.
Les gens s’offusquent de ce que Dieu contrôle toute chose – mais je dis l’inverse! Heureusement qu’il est au contrôle, notamment pour tempérer les ardeurs pécheresses de l’homme. Par son règne, Dieu réduit l’expression du mal.
Le problème n’est pas la souveraineté contraignante de Dieu, le problème c’est quand il enlève sa contrainte sur l’humanité
Ce serait l’horreur absolue que Dieu ôte son contrôle:
Le problème n’est pas quand Dieu exerce son contrôle, mais plutôt quand il cesse de l’exercer! C’est une expression de sa bienveillance, de la grâce commune, que notre humanité ne se dévore pas davantage! C’est une expression de son amour quand la terre ne s’effondre pas en tremblements de terre et en ouragans constants.
On parle ici de la providence de Dieu. Nisus, dans Pour une foi réfléchie, dit que « … ce mot « désigne la manière dont Dieu gouverne la création… parler de la providence divine, c’est souligner que Dieu ne s’est pas contenté de créer le monde, mais qu’il continue de s’en occuper » (pages 57-58)
Nulle part mieux que lors de la crucifixion de notre Seigneur Jésus, ne sont visibles cette souveraineté providentielle et la responsabilité humaine. Actes 4.27–28:
27 Car en vérité, contre ton saint serviteur Jésus, à qui tu as donné l’onction, Hérode et Ponce Pilate se sont ligués, dans cette ville, avec les nations et avec les peuples d’Israël, 28 pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient déterminé d’avance.
Et cela nous conduit à une ultime remarque…
12 Écoutez-moi, gens endurcis de cœur, si éloignés de la justice! 13 Je fais approcher ma justice: Elle n’est pas loin, et mon salut: il ne tardera pas. Je mettrai le salut en Sion, Pour Israël, ma parure.
Le contrôle de Dieu s’exerce selon un axe rédempteur. Il contrôle toutes choses en vue d’accomplir un objectif: « que nous servions à célébrer sa gloire, nous qui d’avance avons espéré en Christ » (Ép 1.12). C’est-à-dire que Dieu appelle à lui les élus de tous les temps. Dieu ne reviendra pas établir son règne avant que toutes les nations ne soient touchées par l’Évangile. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés – tous les types d’hommes, les riches, les pauvres, les dirigeants, le peuple, les hommes, les femmes, les noirs, les blancs… (cf. Ac 13.48).
John MacArthur est calviniste dans sa sotériologie. Il observe cependant qu’il y avait beaucoup plus de conversions après des tremblements de terre. Comme quoi, la souveraineté de Dieu dans son appel est médiée par des événements très humains. Dieu a choisi de sauver les élus:
La psychologie spirituelle des élus varie d’un homme qui toute sa vie cherche la perle rare à celui qui tombe sur un trésor sans l’avoir cherché (cf. Mt 13.44-45).
En sorte que nous ne pouvons pas nous dire: « Je ne fais rien puisque Dieu règne. » C’est l’inverse. Parce que Dieu règne, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour aimer ceux qui m’entourent, pour parler avec ceux qui m’entourent, et pour que le commandement de l’Évangile retentisse à toutes les oreilles!
Quelques chapitres plus loin, Ésaïe 61.10–11
10 Je me réjouirai pleinement en l’Éternel, mon âme sera ravie d’allégresse en mon Dieu; car il m’a revêtu des vêtements du salut, il m’a couvert du manteau de la justice, comme le fiancé s’orne d’une parure tel un sacrificateur, comme la fiancée se pare de ses atours. 11 En effet, comme la terre fait sortir son germe, et comme un jardin fait germer ses semences, ainsi le Seigneur, l’Éternel, fera germer la justice et la louange, en présence de toutes les nations.
Son règne est bon. Son contrôle est intelligent. Son contrôle est rédempteur. Même s’il est incompréhensible souvent.
Dans le jardin de Gethsémané, le Fils de Dieu démontre l’absurdité du théisme ouvert et démontre la difficulté de vivre avec un Dieu souverain dans l’adversité. À Gethsémané, Jésus nous montre comment vivre dans l’adversité avec un Dieu souverain.
Jésus est là. À quelques heures de la crucifixion. Il sait ce qui se passera. Il avait dit qu’il serait crucifié et qu’il ressusciterait. Il savait qui le trahirait. Il savait qu’il deviendrait le bouc émissaire, le sacrifice expiatoire, l’objet de la colère du Père à notre place. Quelle folie de penser que l’avenir était ouvert! L’avenir était fermé. Sombre. Déterminé. Contrôlé.
Dans ce jardin, Jésus s’écrie: « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe. Toutefois que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne, qui soit faite » (Lc 22.42)
Je suis convaincu que le grand défi de la maturité chrétienne c’est de reconnaître ce règne, parfois dans la douleur et la souffrance, et de maintenir la foi que ce règne vient d’un Dieu bon, qui essuiera toute larme de nos yeux.
Dieu permet, Dieu décrète. Son règne est mystérieux, mais bien réel. La confession de foi dite de La Rochelle (1559) affirme:
Ainsi, en confessant que rien ne se fait sans la providence de Dieu, nous adorons avec humilité les secrets qui nous sont cachés, sans nous poser de questions qui nous dépassent. Au contraire, nous appliquons à notre usage personnel ce que l’Écriture sainte nous enseigne pour être en repos et en sécurité; car Dieu, à qui toutes choses sont soumises, veille sur nous d’un soin si paternel qu’il ne tombera pas un cheveu de notre tête sans sa volonté. Ce faisant, il tient en bride les démons et tous nos ennemis, de sorte qu’ils ne peuvent nous faire le moindre mal sans sa permission