9 conseils pour frapper un homme déjà à terre

SouffranceAccompagnement biblique

Accident, maladie, handicap, violence, échec, trahison, deuil, solitude, précarité… le malheur se décline sous une multitude de formes. Le personnage de Job, dans la Bible, a connu beaucoup de ces souffrances simultanément. Or, un des enseignements à tirer de son histoire, c’est que l’entourage des malheureux détient un formidable pouvoir: celui d’empirer leur souffrance.

Les pseudos-amis de Job ont bien des leçons à nous donner en matière de cruauté, intentionnelle ou non. Voici neuf manières de les imiter si, à ton tour, tu veux augmenter les souffrances de ton prochain.

1. Ne l’écoute pas

Il y a de fortes chances que tu aies déjà analysé sa vie pour lui! Qu’est-ce qu’il pourrait te dire que tu ne sais pas déjà (Jb 15.9)? Il est vrai que les gens qui souffrent, comme Job, aimeraient être entendus et écoutés (Jb 21.2-3). Une simple présence, une oreille sincère, un regard attentif, voilà déjà le début d’une consolation pour le malheureux, car de cette manière, il se sent vu et reconnu dans sa souffrance. Alors, pour l’enfoncer, fais le contraire. Montre-lui que ses états d’âme ne t’intéressent pas, ou qu’il n’a pas besoin de te les exprimer puisque tu as déjà tout compris. En agissant ainsi, tu lui donneras l’impression qu’il ne compte pas beaucoup en tant qu’être humain.

2. Relativise ce qu’il traverse

Certes, il semble aller mal. Tu peux lui concéder cela. Mais fais-lui quand même remarquer que sa situation pourrait être pire. Il est en dépression? Au moins, sa femme ne l’a pas quitté. Sa femme l’a quitté? Au moins, il n’a pas un cancer. Il a un cancer? Au moins, il n’a pas perdu un enfant. Donne-lui, si possible, des exemples précis de gens qui souffrent plus que lui et qui ne s’en plaignent pas autant. Cela l’incitera à s’auto-censurer dans l’expression de sa souffrance, et augmentera du même coup son sentiment de culpabilité, puisqu’il s’en voudra de souffrir… pour si peu! Tu l’enfermeras ainsi dans son mal-être comme dans une geôle silencieuse (Jb 16.6).

3. Parle de sa souffrance à sa place

Puisqu’il souffre, n’a-t-il pas certainement perdu un peu de sa lucidité? S’il parle avec un tant soit peu d’émotion, tu peux supposer qu’il exagère, qu’il délire un peu, ou qu’il a des angles morts (Jb 8.2). Pour ne pas l’aider, ne tiens pas compte de ce qu’il t’exprime, et mets plutôt tes propres mots sur sa situation. Les malheureux se sentent souvent incompris, et ont déjà beaucoup d’appréhension à partager avec d’autres ce qu’ils traversent, de peur de ne pas savoir comment le traduire efficacement en paroles. Si tu le fais pour lui, tu l’en dissuaderas encore plus, et tu augmenteras son sentiment d’isolement. Montre-lui que tu te considères comme étant mieux placé que lui pour parler de son expérience.

4. Explique-lui la vie

Forcément, tu es certainement un plus grand spécialiste de la vie que ton prochain qui souffre. La preuve: il semble avoir quelques difficultés à gérer! Puisque les malheureux ont déjà tendance à se sentir humiliés à cause de ce qui leur arrive, vas-y, remue le couteau dans la plaie en philosophant sur un quelconque sujet qui n’a que très peu de rapport avec la situation de ton interlocuteur. Ne fais pas comme Élihou qui s’est mis au niveau de son ami pour le respecter (Jb 33.6), mais sois plutôt condescendant comme Éliphaz, le donneur de leçons (Jb 15.17-18). Avec un peu de chance, ton prochain se trouvera bête de s’être senti si personnellement concerné par ses propres souffrances.

5. Fais-lui la morale

Personne n’est irréprochable! Au minimum, il doit bien y avoir chez lui quelques traces d’ingratitude, d’orgueil ou d’incrédulité. S’il semble perplexe et désorienté à cause de ce qui lui arrive (comme c’est naturellement le cas pour les gens sur qui le malheur tombe sans prévenir), c’est le moment de lui rappeler quelques vérités fondamentales qui ne lui serviront strictement à rien, mais que personne ne pourra nier. Par exemple: tout le monde est pécheur, impur, et mérite au fond de souffrir (Jb 25.4-6). Ou encore: le péché, c’est mal, et la repentance, c’est bien (Jb 11.13-15). Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas le sujet non plus; et s’il trouve à répondre, il aura l’air suspect! Rien de tel pour le faire tourner en bourrique (Jb 26.1-4).

6. Ne te remets pas en question

La souffrance est une expérience intimement personnelle que nul n’est en droit ni en capacité d’interpréter à la place de celui qui en fait l’expérience. Afin d’être un soutien pour le malheureux, il faut se laisser enseigner par lui (Jb 27.11-12). Inversement, si tu veux pousser le malheureux un peu plus près du gouffre, n’accepte jamais qu’il corrige ce que tu penses de lui. Quoi qu’il arrive, ne reconnais jamais que tu as tort ou qu’il te manque des éléments pour comprendre sa situation. N’accepte surtout pas de leçons de celui qui est manifestement en échec dans sa vie; il risquerait de se sentir écouté, compris, voire même respecté!

7. Dis-lui que c’est de sa faute

S’il y a bien une tactique qui peut conduire le malheureux au désespoir, c’est de corréler ses souffrances à son péché. Les trois conseillers de Job ont assumé cette approche jusqu’au bout. Pour que le préjudice soit particulièrement efficace, n’hésite pas à soupçonner ton prochain de péchés présumés, à l’accuser de déni ou de manipulation, et à juger son cœur et ses motivations. Plus il s’en défendra, plus il passera pour quelqu’un d’orgueilleux, ce qui confirmera ton hypothèse (Jb 11.4-6). Or, la réalité ici-bas, c’est que beaucoup d’innocents souffrent et que beaucoup de coupables mènent une vie tranquille (Jb 21.7-9). Donc, pour vraiment accabler ton prochain, tu peux lui inventer un principe de rétribution fallacieux, qui serait que dans un monde gouverné par la providence d’un Dieu juste, il ne peut pas y avoir de châtiment sans désobéissance préalable. Autrement dit, il n’y a pas de fumée sans feu! S’il y a souffrance, c’est qu’il doit forcément y avoir eu, en amont, un péché, une faute ou au moins une petite erreur dont le malheureux porte la responsabilité, non?

8. Dis-lui ce qu’il doit faire

Ah, les solutions toutes faites: voilà une arme redoutable pour décourager le malheureux. Fais-lui comprendre qu’il pourrait aller mieux, si seulement il faisait ceci ou cela. Est-il fidèle dans sa lecture personnelle de la Bible? Fait-il le nécessaire pour avoir une bonne hygiène de vie? Ne devrait-il pas essayer de penser à autre chose? Les personnes croyantes qui souffrent se sont probablement déjà examinées mille fois devant Dieu, et si elles avaient été aptes à faire de tels changements, elles les auraient faits il y a belle lurette. C’est pourquoi, pour lui mettre un bon coup au moral, n’hésite pas à lui donner la recette de sa guérison. Si en plus, tu peux le faire en enrobant ton langage de prétention spirituelle (Jb 5.17), ce sera d’autant plus efficace.

9. Impatiente-toi

Le coup de grâce, si l’on peut dire, consistera à faire comprendre à ton interlocuteur que ses jérémiades à lui te poussent à bout! Puisqu’il ne veut pas t’écouter, puisqu’il ne veut pas se remettre en question et prendre les bonnes mesures pour se sortir de là, eh bien tant pis! Laisse-le tomber. Dis du mal de lui. Tu ne vas pas tolérer qu’il te manque de respect comme cela. Par un tour de force, tu pourras t’affirmer comme victime de ses mauvais traitements à lui (Jb 18.3), et tu auras ainsi renversé les rôles avec succès. Non seulement était-il en souffrance, mais maintenant, c’est lui le bourreau!

En suivant ces conseils relativement simples (et somme toute assez intuitifs…), tu pourras marcher dans les traces d’Éliphaz, de Bildad et de Tsophar, les "médecins de néant" (Jb 13.4) et les "consolateurs pénibles" (Jb 16.2) que Job a eu le malheur d’avoir dans son entourage. Toi aussi, tu peux devenir un spécialiste des "vaines consolations" (Jb 21.34) qui contribuent au désespoir des malheureux.

Surtout, en suivant ces conseils, tu ne ressembleras en rien à Jésus-Christ, le compatissant par excellence, qui "s’est chargé de nos douleurs" (És 53.4) alors qu’il aurait pu, lui, sans aucune injustice, nous juger et nous abandonner. En vertu de son amour pour les malheureux, nous qui souffrions avons eu "droit à la compassion de notre ami, alors même que nous avions abandonné la crainte du Tout-Puissant" (Jb 6.14).

Alexandre Sarran

Alexandre Sarran est pasteur de l’Église Lyon Gerland, une Église réformée évangélique située depuis 2011 dans un quartier lyonnais en plein renouveau. Après des études de musicologie qui l’on conduit jusqu’à la maîtrise, il a suivi une formation théologique à distance avec la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Alexandre est le mari (privilégié) de Suzanne et le père (débordé) de six enfants. Il est également l’auteur du livre Job, le malheur et la foi publié en avril 2024.

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