Comment la Bible courbe-t-elle le temps pour ouvrir une fenêtre sur l’éternité?

      Culte et LiturgieDoctrine des temps de la finEspéranceSabbat
      9 min de lecture

      Dans un précédent article, je vous ai proposé de réfléchir au rapport entre l'éternité, le temps et Dieu. Mais que change cette vérité pour notre vie quotidienne? Beaucoup. Car si le temps n’est pas un simple cadre neutre, mais un instrument entre les mains de Dieu, alors notre manière de l’habiter est un enjeu spirituel majeur.

      Le disciple ne traverse pas les jours au hasard: il les sanctifie pour la gloire de Dieu.

      Dans ce deuxième article, j’explore comment la Bible transforme notre rapport au temps: par la mémoire, par le sabbat, par le culte, par l’espérance. Elle nous invite à vivre le présent et à marcher dans le temps avec la fin comme boussole.

      La Bible donne au temps une fonction liturgique

      Mais la Bible, elle, courbe le temps. Elle lui donne une épaisseur sacrée.

      Smith propose que le temps n’est pas une suite linéaire d’instants interchangeables. Il est théologique et liturgique: structuré, habité, orienté.

      Les Écritures montrent que les âges se chevauchent. Le passé ressurgit dans le présent, spécialement dans le cadre de la mémoire rituelle. L’Exode, par exemple, n’est pas qu’un souvenir: il est revécu.

      Ce jour-là, tu raconteras à ton fils: c’est en mémoire de ce que l’Éternel a fait pour moi quand je suis sorti d’Égypte.

      Exode 13.8

      Ce "moi" est significatif. Chaque génération se réapproprie l’histoire comme si elle l’avait elle-même vécue. Le prophète Jérémie convoque ce passé pour raviver la fidélité du peuple:

      Je me souviens de ton amour lorsque tu étais jeune mariée…

      Jérémie 2.2

      Paul va encore plus loin: il applique l’histoire d’Israël à des chrétiens d’arrière-plan grec comme si elle était la leur:

      Nos pères ont tous été sous la nuée… ils ont tous traversé la mer… Ces choses leur sont arrivées pour nous servir d’exemples…

      1 Corinthiens 10.2, 6, 11

      Ce ne sont pas de simples illustrations. Paul montre que l’histoire biblique forme une matrice archétypale: elle établit le sens même de l’histoire humaine. Elle devient opérationnelle dans notre propre trajectoire spirituelle.

      Dans cette logique, le passé éclaire le présent, et le présent anticipe l’avenir. Le "déjà-pas encore" crée une tension dynamique: le futur se déploie dès maintenant, entre les deux venues du Christ (Lc 17.1; Mt 13). La mémoire n’est pas tournée vers l’arrière, mais tendue vers l’accomplissement.

      La Bible courbe le temps pour nourrir notre foi

      Cette structure du temps n’est pas une pure architecture symbolique. Elle est destinée à nourrir la foi. La foi chrétienne s’enracine dans un événement passé — la mort et la résurrection de Jésus — mais elle en tire des effets vivants, ici et maintenant: pardon, adoption, espérance, communion.

      La Bible ne relate pas des faits pour l’archive. Elle est une parole vivante que l’Esprit actualise. Il les rend présents pour former le croyant.

      Paul le dit sans ambiguïté:

      Tout cela leur est arrivé à titre d’exemple et a été écrit pour nous avertir, nous sur qui la fin des temps est arrivée.

      1 Corinthiens 10.11

      L’histoire n’est pas figée. Elle nous est adressée. Elle vise à modeler notre confiance en Dieu pour aujourd’hui et demain.

      L’auteur de l’épître aux Hébreux actualise l’appel à la repentance du Psaume 95, en utilisant une expression forte:

      Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs.

      Hébreux 3.7-11

      Pour l’auteur, Abel, bien que mort, parle encore (Hé 11.4).

      Ce qui fut dit autrefois porte un sens aujourd’hui, car le Dieu qui parle est l’Éternel, notre Dieu. L’aujourd’hui de Dieu s’inscrit dans notre aujourd’hui à nous.

      La foi saisit donc les promesses passées comme garanties de l’espérance future. Elle inscrit notre présent dans l’histoire du salut.

      La foi est la ferme assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas.

      Hébreux 11.1

      Ainsi, les événements passés — accomplis une fois pour toutes — deviennent présents à travers l’Écriture. Ils réaniment notre confiance. Ils rappellent à notre foi que la vie éternelle, déjà, nous appartient en Christ.

      Le culte est une fenêtre sur l’éternité

      Le culte chrétien n’est pas une activité parmi d’autres. James K. A. Smith le décrit comme un lieu de rencontre entre le kairos — ce moment chargé de sens, où Dieu parle et agit — et le chronos — le temps compté, ordinaire. Chaque dimanche devient alors une percée de l’éternité dans le temps. Dieu y convoque son peuple pour l’orienter à nouveau vers lui. Le temps profane se brise, et un rythme sacré s’installe.

      Le culte courbe le temps en récapitulant l’histoire du salut. Il raconte, chaque semaine, la grande histoire biblique — de la création à la nouvelle création — et invite le peuple de Dieu se rappeler de son identité et de sa mission dans le monde.

      La liturgie, dans sa forme comme dans son contenu, reflète l’histoire de la rédemption.

      • Convocation: Dieu ouvre le culte en nous appelant à lui. Par l’appel à l’adoration ou la lecture d’un psaume, il nous accueille comme son peuple. Ce moment rappelle la création: nous sommes créés à l’image de Dieu afin d’adorer Dieu.

      • Adoration: En réponse à son appel, l’Église chante, loue, élève le nom de Dieu. Elle contemple Dieu comme lui se contemple. Cette louange célèbre sa majesté, sa bonté, sa sainteté — et nous place, comme Isaïe, devant son trône.

      • Confession et rappel de la grâce: Face à la sainteté divine, le péché apparaît dans toute sa gravité. La louange conduit naturellement à l’immensité de la grâce. Par une prière de repentance, un chant d’assurance ou la Sainte-Cène, l’Église se souvient que Dieu a réconcilié les pécheurs en Christ. Ce moment n’écrase pas, il restaure.

        Faites ceci en mémoire de moi.

        Luc 22.19

        La mémoire liturgique ne se réduit pas à un souvenir mental: elle est un signe de communion réelle, aujourd’hui, avec Christ et son peuple en vertu de la Nouvelle Alliance scellée à la Croix. Dans le même mouvement, l’Église se projette vers l’avenir:

        Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le Royaume.

        Marc 14.25

        Le passé de la croix et le futur du festin de l’Agneau se rejoignent dans le présent de la Cène. Le temps est courbé.

      • Instruction: Vient ensuite l’écoute de l’enseignement de la Parole. La prédication centrée sur Christ témoigne que l’Écriture est vivante et que Dieu, auteur de toute l’Écriture, a légué sa Parole canonique pour qu’elle transcende le temps, afin que le peuple de Dieu entende Dieu lui parler aujourd’hui comme hier (Hé 4.12). Ainsi, le Dieu qui a sauvé son peuple le sanctifie par sa Parole (2Tm 3.16-17; 2Tm 4.1-2).

      • Intercession et consécration: Après avoir reçu la Parole, l’Église répond par la prière. Elle confie à Dieu son obéissance, ses luttes, ses besoins. C’est un moment de consécration communautaire, où le corps tout entier demande l’aide de Dieu pour vivre fidèlement à sa Parole dans le monde.

      • Bénédiction et envoi: Enfin, Dieu envoie son peuple dans le monde avec sa bénédiction pour qu’il soit sel et lumière dans le monde… avant de le rappeler, le dimanche suivant, pour le ressourcer à nouveau.

      Ainsi, chaque dimanche, jour de la résurrection, devient un sabbat chrétien — un temps mis à part pour adorer, faire mémoire, être renouvelé. Le culte dominical inscrit l’Église dans une pédagogie du désir, une discipline de l’espérance. Il ne répète pas mécaniquement les étapes: il façonne, semaine après semaine, une manière de voir le monde, de vivre le temps, de marcher vers la gloire.

      Le calendrier liturgique — Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte — n’est pas non plus une simple répétition cyclique. Il rythme l’année autour de la personne de Jésus. Il rappelle sa venue, célèbre sa victoire et anticipe son retour.

      Dieu façonne notre cœur par le temps. Si nous ne le structurons pas selon l’Évangile, d’autres le feront pour nous — par la pression, l’urgence ou l’agitation. Intégrer une discipline chrétienne du temps, c’est sanctifier nos journées par des rythmes saints: méditation du matin, prière du soir, sabbat hebdomadaire, fête annuelle.

      Ce n’est pas du légalisme, mais de la sagesse. En inscrivant nos habitudes dans une temporalité rachetée, nous faisons du temps un allié spirituel et non un tyran silencieux.

      La Bible courbe le temps pour nourrir notre espérance

      La foi chrétienne ne se contente pas de regarder en arrière. Elle se tourne vers l’avant, tendue vers l’accomplissement des promesses. Cette dynamique eschatologique structure toute la vie chrétienne. Le croyant vit dans une tension: sauvé, pardonné, justifié, mais encore pécheur. Déjà saint en Christ, mais pas encore glorifié.

      C’est ce que la théologie désigne comme le déjà-pas encore: dans l’attente du retour de Christ, le salut est réellement inauguré, mais pas encore pleinement consommé. Et ce n’est pas un simple concept. C’est une réalité existentielle.

      Le don du Saint-Esprit en est lui-même une garantie:

      Il est un gage de notre héritage, en attendant la rédemption de ceux que Dieu s’est acquis.

      Éphésiens 1.14

      Le présent est donc déjà habité par l’espérance à venir. Cette tension ne rend pas la vie chrétienne abstraite. La foi ne flotte pas dans un flou spirituel: elle projette le croyant dans les réalités invisibles, avec assurance. Elle transforme le rapport au monde. L’espérance chrétienne ne pousse pas à désirer fuir la terre. Elle pousse à l’habiter, avec une conviction profonde que le Royaume vient, et qu’il est déjà à l’œuvre.

      Ainsi, la Bible courbe le temps. Elle le plie vers l’éternité, non pour nier sa structure, mais pour en révéler la finalité. Elle nourrit notre foi, soutient notre adoration et ouvre nos cœurs à ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.

      Vivons en prenant la fin comme point de départ

      Dieu nous a "enfermés" dans le temps, dans un corps et dans un monde. Nos limites ne sont pas des malédictions. Ce sont les conditions de notre expérience, et déjà, de notre communion avec l’Éternel.

      Dans un monde qui prône l’instantané, chaque clic promet l’oubli de nos limites. Mais à force de scroller, notre âme oublie d’attendre. Elle se perd dans une éternité numérique factice où le temps file droit en enfer. Dire non à l’immédiateté, c’est choisir la prière, la patience et l’espérance. C’est refuser la distraction pour revenir à une fidélité enracinée dans le temps que Dieu nous donne.

      “Tu ne tuera point”: le chrétien ne devrait donc jamais tuer le temps. Il ne s’agit pas simplement de subir les jours, mais d’y marcher à la suite de Christ.

      James K. A. Smith appelle cela une eschatologie pratique:

      Une eschatologie pratique, comme je l’appelle, est la sagesse vécue de savoir où nous nous situons dans le temps et de vivre ainsi une vie harmonieuse, individuellement et collectivement, qui tient ensemble la tension entre le déjà et le pas-encore comme un accord musical. […] L’eschatologie concerne principalement la manière dont nous nous situons dans le maintenant, la façon dont nous vivons dans "le temps présent" d’une manière qui témoigne de la réalité de ce que nous espérons lorsque nous aspirons à l’avènement du Royaume.

      Loin d’être une affaire spéculative ou personnelle, l’eschatologie devient ainsi une théologie de la vie publique: une manière d’habiter le monde dans l’entre-deux, entre la croix et le retour du Roi.

      Smith propose une image frappante: celle d’une boussole temporelle. Pas une montre qui égrène les secondes. Une boussole. Un instrument d’orientation:

      Imaginez un instrument curieux, une boussole temporelle. Pas une horloge ou une montre qui se contente de compter le temps, mais un dispositif d’orientation qui vous situe dans le courant de l’histoire, vous donnant une direction tout comme une boussole classique le fait. La révélation de Dieu en Christ recalibre la boussole temporelle de l’humanité, qui nous réoriente dans le temps.

      Dieu ne nous fait pas sortir du temps. Il nous y guide en Christ, par l’Esprit. Il transforme notre manière de l’habiter.

      Habiter le temps comme Dieu l’habite, c’est sanctifier chaque instant.

      C’est vivre pour que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

      C’est vivre en prenant la fin comme point de départ.

      Memento Mori.


      👇 Abonnez-vous pour ne pas rater mon prochain article!

      Raphaël Charrier

      À 17 ans, Raphaël s’engage dans l’armée dont il est renvoyé moins de deux ans après. Il reprend alors l’école et obtient le bac à 23 ans. C’est à ce moment qu’il découvre la personne et l’œuvre de Jésus-Christ et place sa foi en lui pour être sauvé. Il poursuit ses études et devient Éducateur Spécialisé. Il s’oriente ensuite vers des études de théologie à l’Institut Biblique de Genève, puis à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-Sur-Seine, afin de se consacrer au service de l’Évangile.

      Après un premier poste pastoral à plein temps à l’ECE de Grenoble pendant 9 ans, il partage aujourd'hui son ministère entre une charge pastorale à Sola Gratia, l'enseignement dans des institutions de formation théologique, l’écriture et le blogging. Il est marié à Marion et ils ont deux enfants. Il est auteur de plusieurs livres, dont Vivre pour Jésus qui a pour objectif d'aider les chrétiens à poser les bons fondements de la vie chrétienne.

      Ressources similaires