Après une étude poussée du livre, Cédric Eugène propose une méthode pour mieux comprendre le Cantique des Cantiques: c'est une appréciation de la structure du livre qui nous aide à en ressortir le sens principal. Pour en savoir plus, découvrez notre webinaire 1 heure pour comprendre le Cantique des Cantiques en replay.
Nous suggérons que la structure du Cantique nous invite à une lecture en spirale (des extrémités vers le centre):
A → A’ → B → B’ → C → C’ → D → D’ → E → E’ → F
En A, la bien-aimée exprime son désir d’union avec celui qu’elle aime (Ct 1.7-8). Nous apprenons que pendant un temps, elle n’a pas pu s’occuper de sa propre vigne (sens figuré) car ses frères l’avaient faite gardienne de vigne (sens littéral, Ct 1.5-6). Pourtant, dans les versets qui suivent, elle semble dorénavant décidée à s’en occuper.
Elle veut être auprès de celui qu’elle aime et cherche à savoir où il est afin de ne pas errer à sa recherche parmi ses compagnons (Ct 1.7-8). Les voici ensemble (Ct 1.92.5). Ils chantent leur admiration mutuelle. Dans ces instants d’intimité, les bras de l’homme enlacent la jeune femme (Ct 2.6), ou tout au moins le voudrait-elle. Soudain, elle se ressaisit et adjure les filles de Jérusalem de ne pas réveiller, c’est-à-dire de ne pas exciter, l’amour trop tôt.
Il semble que la bien-aimée voudrait laisser libre cours à la passion de l’amour. Mais elle est en grande tension, car elle reconnaît que le temps approprié n’est pas encore venu. L’abjuration [le reniement, Ndlr] de Ct 2.7 est autant pour elle-même que pour les filles de Jérusalem.
En A’, les versets 5-11 semblent constituer une séquence analeptique [qui donne des forces, Ndlr]. Le premier épisode de cette séquence est le souvenir du moment où la bien-aimée a éveillé la passion du bien-aimé (Ct 8.5). Par le discours direct, les versets 6 et 7 livrent probablement les paroles par lesquelles la bien-aimée a éveillé la passion du bien-aimé. Comme dans le reste du Cantique, c’est elle qui prend l’initiative. Elle y exprime son désir d’union dans des termes qui rappellent une alliance (cf. Dt 6.7-8; Pr 7.1-4). Elle semble, ici, suggérer au bien-aimé de l’épouser.
Le thème du mariage introduit le deuxième épisode (Ct 8.8-9). Nous assistons alors à une discussion des frères qui, selon la coutume, se demandent ce qu’ils devront faire quand on viendra demander leur sœur en mariage1. Cette discussion a lieu en un temps où la bien-aimée est encore prépubère (« Nous avons une petite sœur, qui n’a point encore de seins » Ct 8.8). Le fruit de la discussion nous est livré: si elle sait garder son honneur (et donc celui de la famille. N’oublions pas que nous sommes dans une culture de l’honneur et de la honte) alors ils la rendront encore plus désirable en vue des noces (« Si elle est un mur, nous bâtirons sur elle des créneaux d’argent », Ct 8.9a); s’ils l’estiment trop légère, ils prendront des mesures drastiques (« Si elle est une porte, nous la fermerons avec une planche de cèdre. » Ct 8.9b).
L’ordre des épisodes nous amène à penser que suite aux paroles de la bien-aimée, le bien-aimé est allé la demander en mariage. Les frères ont alors agi comme ils l’avaient résolu. Les liens entre les sections A et A’ suggèrent que les frères ont craint que leur petite sœur ne soit trop accessible en matière d’amour et qu’ils l’ont astreinte à la garde des vignes (Ct 1.5-6) pour l’empêcher de s’occuper de questions d’amour jusqu’au temps jugé opportun (certainement celui de la maturité sexuelle et des noces, puisque c’est le repère souligné par la discussion des frères).
Il faut supposer une ellipse en Ct 8.10. Le temps a passé et nous apprenons que non seulement la jeune femme a su se préserver (« je suis un mur » Ct 8.10) mais qu’elle est désormais sexuellement mature (« mes seins sont comme des tours » Ct 8.10). En cela, elle à été pour le Bien-aimé une source de joie et de paix2 (Ct 8.10). Voilà pourquoi elle peut désormais s’occuper de sa vigne (sa relation amoureuse). Cela ne signifie pas qu’elle ait une totale liberté de la part de ses frères.
La séquence terminée, nous revenons au temps présent des bien-aimés. Les versets Ct 8.13-14 semblent prolonger la scène de jardin décrite en A (Ct 1.7-2.6). La bien-aimée semble avoir trouvé le chemin jusqu’au bien-aimé, parmi les compagnons (cf. Ct 1.7). Le bien-aimé veut entendre sa voix mais le cadre n’est pas propice à l’intimité (« des compagnons t’écoutent » Ct 8.13). Elle l’invite à fuir (Ct 8.14), probablement pour quitter les compagnons qui prêtent l’oreille à leur discussion3. Ce thème de la fuite sur les montagnes parfumées se prolongera tout naturellement en B avec le thème de l’invitation à partir dans la campagne.
En B (Ct 2.8-17), la bien-aimée se trouve dans une maison4. Son bien-aimé est arrivé jusqu’à elle. Il est juste à l’extérieur et désire que sa bien-aimée parte avec lui à la campagne. II voudrait voir son visage, entendre sa voix; ses désirs se portent vers elle. Mais il y a encore des empêchements au plein épanouissement de leur amour (Ct 2.14-15).
Derrière le treillis, elle est semblable à une colombe cachée dans les fentes des rochers, inaccessible. Les empêchements sont tels des petits renards qui ravagent les vignes, ils empêchent le libre épanouissement de leur relation amoureuse.
B’ (Ct 7.11-8.2) continue la scène. Le désir de partir est réciproque. Et si elle le pouvait, elle le rencontrerait à l’extérieur5 et le ferait entrer dans la maison, mais les conventions sociales s’y opposent (Ct 8.1-2).
La bien-aimée rassure toutefois son bien-aimé: elle se garde pour lui (« nous avons à nos portes tous les meilleurs fruits, nouveaux et anciens: mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi » Ct 7.14).
En attendant le jour des noces, la bien-aimée fait un rêve récurrent6 en C (Ct 3.1-5): elle cherche son bien-aimé. Elle vit en rêve ce qui lui est encore interdit en réalité: emmener son bien-aimé chez sa mère. Mais ce n’est pas encore le temps, d’où à nouveau le refrain d’adjuration (Ct 2.7).
Peut-être à cause de l’anxiété provoquée par l’attente, le rêve devient cauchemar en C’ (Ct 5.2-8): la bien-aimée cherche celui qu’elle aime sans pouvoir le trouver. Pire encore, elle en est empêchée par les gardes de la ville qui l’agressent. Elle n’en peut plus d’attendre. Aussi, le refrain d’adjuration se modifie-t-il: « Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous trouvez mon bien-aimé, que lui direz-vous? Dites-lui que je suis malade d’amour. » (Ct 5.8).
En D (Ct 3.6-11), le jour des noces est enfin arrivé, c’est la procession nuptiale marquée par la beauté unique du fiancé que la bien-aimée ne cesse de célébrer. Le passage de D à D’ focalise les regards sur le Bien-aimé, nous faisant passer du plan large (D) au plan rapproché (D’). La bien-aimée souligne le prestige du bien-aimé en D; il est à ses yeux tel le roi le plus glorieux, Salomon. Puis elle décrit sa beauté physique en D’. Il était au loin en Ct 3.6 (« qu’est-ce qui monte du désert… »); il est à ses côtés en Ct 6,3 (« Il fait paître ses troupeaux parmi les lis. »).
À son tour, le bien-aimé chante la beauté unique de celle qu’il aime en E (Ct 4.1-15). Il l’invite à se donner à lui (Ct 4.8: « Viens ») et célèbre sa virginité (Ct 4.12). Pour la première fois, il l’appelle « ô mariée, ma sœur » (Ct 4.8, 9, 10, 11, 12) ce qui était autrefois impossible, puisque les noces n’avaient pas encore eu lieu. En E’ (Ct 6.4-7.10), l’homme continue de célébrer la perfection de celle qu’il aime. Alors que le bien-aimé a appelé sa bien-aimée à partir avec lui (« viens! »), les filles de Jérusalem semblent vouloir la retenir encore quelques instants pour l’admirer (Ct 7.1: « Reviens, reviens pour que nous te regardions! »). Le bien-aimé met alors fin à l’attente; le moment est venu de cueillir les fruits (Ct 7.9-10)7.
En F (Ct 4.16-5.1), le rythme du Cantique ralentit et les bien-aimés ne forment enfin plus qu’une chair. Une voix d’approbation se fait entendre « Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, Bien-aimés! ».
Le point d’arrivée du Cantique n’est donc pas une exhortation à fuir (Ct 8.14) mais une invitation à s’unir. Ce qui est en vue ne devrait pas être limité à la relation sexuelle. Ici, l’intimité dans l’amour qui ne rencontre enfin plus d’empêchement.
Cette lecture « nouvelle » du Cantique des cantiques en « spirale », permet de rendre compte d’une certaine logique de l’œuvre. Les périodes prénuptiales et postnuptiales ne sont plus, respectivement, Ct 1.1-3.6 et Ct 5.2-8.14 avec tous les paradoxes qu’une telle répartition engendre. La période prénuptiale s’étend de A à C’ selon le parcours A–A’–B–B’–C–C’. Elle est caractérisée par le désir d’union qui consume les amoureux de passion, d’impatience. La période postnuptiale s’étend quant à elle de D à F, selon le parcours D–D’–E–E’–F.
Le Cantique des cantiques ne trouverait donc pas sa « fin » dans la fuite de Ct 8.14 mais dans l’amour pleinement éveillé en Ct 4.16-5.1. Cette « fin » n’est pas un point final dans la dynamique de l’amour, mais un point qui n’appartient qu’aux bien-aimés et dont le lecteur se trouve exclu. Le mouvement continue (« buvez […] mangez ») mais dans l’intimité enfin trouvée.
La démarcation entre les périodes pré et post-nuptiales, que fait apparaître la lecture en spirale du Cantique, illustre ce que le refrain d’adjuration fait entendre implicitement: il y a un temps pour attendre et un temps pour s’aimer pleinement. Structure et lecture seraient ainsi au service de l’intention sapientiale [de sagesse, Ndlr]. En amour, ce n’est pas seulement la fin qui compte, mais également « le chemin » que prend l’amour.
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`webinaire
COCA: une méthode simple pour comprendre et appliquer la Bible
Découvre ce replay du webinaire de Stéphane Kapitaniuk enregistré le 13 octobre 2016.
Orateurs
S. Kapitaniuk